FC Andorra, propriété de Gérard Piqué « businessman »

Alors que l’Équipe de France reçoit la modeste sélection andorrane mardi prochain à Saint-Denis, le football de la principauté pyrénéenne a connu une émergence toute particulière cet été avec l’avènement du FC Andorra. Seule entité autorisée à jouer dans les championnats espagnols, le club présidé par un certain Gerard Piqué vient d’enchaîner deux montées en un même été. Récit d’une aventure folle, qui pourrait bien faire du FC Andorra une nouvelle place forte du football espagnol.

Fondé en 1942, le FC Andorra a connu une vie avant Gerard Piqué, c’est certain. Au gré de sa naissance avant même qu’un championnat andorran n’existe, le club avait été autorisé d’office à évoluer dans les championnats régionaux catalans. Historique parmi les historiques, l’équipe peut se targuer d’arborer fièrement sur son maillot les trois couleurs du drapeau de la principauté, et d’avoir longtemps compté parmi ses rangs de nombreux internationaux. Rien d’extraordinaire à noter au niveau sportif, à l’exception d’onze saisons consécutives disputées en Segunda B dans les décennies 1980 et 1990 ainsi que d’une Copa Cataluña gagnée au nez et à la barbe des géants Barça et Espanyol. Après être rentré dans le rang, le club fut plus proche de la disparition que de la consécration, touché comme beaucoup d’autres par la dévastatrice crise de 2008. 

Un président (très) spécial

Il y a six mois encore, rien ne laissait présager que le club se retrouve si vite sous le feu des projecteurs. Plongé dans son paisible quotidien de Preferente Catalana (5èmedivision), le FC Andorra était néanmoins la cible de rumeurs évoquant l’arrivée d’un investisseur prestigieux, la mise en vente du club étant alors de notoriété publique. Le 29 décembre 2018, l’annonce tombe : Kosmos Sports devient le nouveau propriétaire du FC Andorra. Ce fonds d’investissement qui focalise son business sur le sport est alors loin d’être inconnu, puisqu’il s’est fait connaître quelques mois plus tôt en rachetant les droits de la très controversée nouvelle formule de la Coupe Davis. Son président, lui non plus, ne sort pas vraiment de nulle part. Champion du Monde, double champion d’Europe et triple vainqueur de la Ligue des Champions, Gerard Piqué est l’un des meilleurs défenseurs du XXIème siècle. 

Gerard Piqué dans son costume d’homme d’affaires (© Kosmos Holding)

Étrange car orchestrée en parallèle d’une carrière sportive de haut niveau, l’arrivée de Piqué à la tête du FC Andorra a énormément fait parler en Espagne. Dès les premières semaines de l’ère Kosmos, des joueurs liés au Barça ont rejoint le club, comme le fils du regretté Tito Vilanova, ou encore l’entraîneur Gabri, arrivé de Sion (D1 suisse). Le club eut à peine le temps de dévoiler ses grandes ambitions qu’il était déjà dans le viseur de nombreuses critiques. Il faut dire qu’en n’alignant aucun andorran sur le terrain pour son premier match en tant que coach, Gabri n’a pas franchement facilité son adaptation au club. Alors huitième de Preferente Catalana à douze points du leader et seul promu, le FC Andorra n’est pas vraiment pris au sérieux lorsqu’il indique haut et fort ses ambitions de montée. Sauf qu’avec une phase retour quasi parfaite (14 victoires et 4 nuls), le club accède en Tercera Division (4èmedivision, comme son nom ne l’indique pas) et réussit son premier pari. Piqué se félicite de cette grande réussite, et prépare un recrutement pour bien figurer à l’échelon supérieur.

Parallèlement à cette émergence tonitruante, un autre club catalan se retrouve plongé dans les méandres du football espagnol. Après une première saison réussie en Liga 123 (2ème division), le CF Reus, en proie à de graves soucis financiers, n’a pas pu terminer la saison et est rétrogradé administrativement en Tercera Division. Ayant déclaré forfait à partir du mois de janvier, le club finit « sportivement » dernier et n’a pas besoin d’être remplacé en Liga 123. En revanche, la question de son remplaçant en Segunda B (3ème division qu’aurait dû rejoindre Reus après sa relégation) se pose. Alors qu’en France le repêchage du dernier relégué en 4ème division aurait été automatique, la donne est différente en Espagne. « C’est très compliqué de trouver une méritocratie dans ce genre de cas, car la Segunda B est divisée en quatre groupes de vingt équipes, explique Max Franco Sanchez, correspondant à Madrid pour Foot Mercato ». Ainsi, la fédération espagnole a décidé de mettre en vente la place de Reus en Segunda B, moyennant un montant de 452 022 € correspondant à la compensation estimée des dettes du club catalan. 

Deux montées pour le prix d’une

Une somme pharamineuse quand on sait que le budget moyen d’un club de Tercera Division oscille en moyenne entre 100 000 et 200 000 € – le plus gros budget enregistré l’an passé n’excédait pas un million d’euros. Plusieurs clubs se sont cependant montrés intéressés par le « rachat » d’une place en Segunda B. Pour trancher parmi les différents candidats, la fédération a respecté plusieurs critères, en vertu de l’article 194 de son règlement. Le plus important d’entre eux se base sur la localisation du siège social du club, qui doit être situé dans la même Communauté Autonome que l’équipe en faillite – la Catalogne, en l’occurrence. Footballistiquement rattaché à la région, le FC Andorra pourrait être dès lors prioritaire. Seulement, le mérite sportif rentre également en compte, et la fédération indique également privilégier, fort logiquement, les équipes ayant raté de peu la montée. Premier de son groupe avec 90 points, le club de Zamora a loupé le coche en barrages et souhaitait se rattraper en s’offrant une montée qui, sportivement, aurait pu paraître logique. Cette demande fut finalement refusée par la fédération, au motif que l’équipe de Castille et Leon ne présentait pas les garanties financières nécessaires. C’est donc le FC Andorra du multimillionnaire Piqué qui obtient, le 29 juillet, sa montée en Segunda B. 

Célébrer deux montées à la fois, mode d'emploi (© Twitter FC Andorra)

Deux montées en un été, voilà le bilan absolument incroyable du nouveau président du club. Là encore, le choix a fait jaser en Espagne. Le mérite relatif du FC Andorra a par exemple été fustigé par de nombreux observateurs. « Il faut aussi savoir qu’énormément de clubs connaissent des problèmes financiers dans cette division, continue Max Franco Sanchez. On assiste chaque année à des relégations administratives qui faussent les championnats. Je pense que la fédération a souhaité jouer la sécurité et donner la place au club présentant le plus de garanties financières. On peut comprendre les clubs qui sont mécontents, mais aussi la fédération ». 

N’en déplaise à ses détracteurs, le FC Andorra dispute bien cette année la Segunda B, au même titre que certains historiques du ballon rond ibérique comme Hércules, Murcie ou Cordoue. Désormais, tout laisse à penser que ce passage au troisième échelon national n’est qu’une étape dans l’ascension fulgurante du club. Cet été, et en marge des négociations pour obtenir la montée sur tapis vert, le président Piqué a souhaité organiser une réunion avec le gouvernement andorran visant à construire un stade de 15 000 personnes, qui serait homologué pour accueillir des rencontres de Liga. Le rêve « d’entendre l’hymne de la Ligue des Champions à Andorre » dixit Piqué est encore loin, mais le FC Andorra peut s’appuyer sur la réussite similaire du Basket Andorra, passé en dix ans du statut d’équipe anonyme de troisième division à membre de la très fermée Euroligue. Un succès rendu – entre autres – possible par la fiscalité très avantageuse qu’offre le pays, avec un impôt maximal n’excédant pas 10% pour les plus grosses fortunes

« Proyecto Champion’s »

Reste que, pour l’heure, le principal défi du FC Andorra est de conquérir un public susceptible de remplir les fameuses 15 000 places. « Je n’ai pas vraiment senti d’engouement dans le pays, affirme Rafael Escrig, reporter espagnol ayant tourné plusieurs vidéos sur le sujet. C’est un pays sans réel lien avec le football, et le rachat n’a pas engendré un changement radical impactant tout le pays. Néanmoins, le FC Andorra a suscité beaucoup plus d’intérêt qu’auparavant, entre les fans de football du pays et quelques curieux qui assistent aux matchs ». Il faut dire qu’avec seulement 76 000 habitants sur le territoire et la présence du monstrueux FC Barcelone à quelques dizaines de kilomètres, la fan-base du FC Andorra demeure pour l’heure assez limitée. En revanche, ce lien géographique mais également personnel avec le Barça peut devenir un réel avantage pour le club. Incarnées par la figure de Piqué mais également par d’autres figures blaugranas – certaines rumeurs ont fait part d’une présence de Cesc Fabregas ou Lionel Messi dans le capital du FC Andorra, ces relations aideraient grandement le club, parfois même abusivement. « Le FC Andorra pourrait utiliser sa relation avec Piqué pour se faire prêter des joueurs ou en obtenir à moindre prix, confirme Max Franco Sanchez. On pourrait s’inquiéter sur l’équité entre les clubs ».

Dans les coulisses du premier match du FC Andorra en Segunda B (© Youtube : Rafael Escrig)

Le journaliste balaie en revanche toute présomption de conflit d’intérêt, rendu par exemple possible par un match entre les deux équipes, dans la mesure où le club pyrénéen se trouve cette année dans le même groupe que la réserve du Barça : « La situation où Piqué affronterait son équipe n’est pas possible sauf si les deux équipes s’affrontent en Coupe du Roi, car les joueurs inscrits au sein de l’équipe première d’un club ne peuvent pas jouer avec la réserve dans des matchs officiels. Piqué reste un joueur très professionnel, et le Barça a l’habitude de faire tourner en Coupe du Roi, donc ça ne devrait pas arriver a priori ». 

Encore loin de ce type de polémiques, le FC Andorra a débuté sa saison en Segunda B par une défaite puis une victoire, et ce dans un relatif anonymat. Le retour du calme après la tempête médiatique survenue cet été pourrait porter ses fruits, et mener, à plus ou moins long terme, le club dans les sphères professionnelles du football espagnol. De là à voir le club disputer la Ligue des Champions dans un futur proche avec un Piqué durablement installé au poste de président ? Rien n’est moins sûr, comme l’indique Max Franco Sanchez : « De nombreuses personnes voient en Piqué le futur président du Barça, il faudra donc voir comment les choses évoluent ». Imaginer le FC Andorra comme un tremplin pour la carrière du défenseur catalan n’est ainsi pas impossible, et la réussite sportive du club pourrait conditionner la durée de son engagement. A ver si se queda…

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Elio Bono

Papa de la famille FootPol. Amateur d'Italie, de bonne nourriture, de balle ovale et d'Espagne.