La Chine et le football : « le Grand Bond » en avant global

Au sortir des Jeux Olympiques 2008 de Pékin, l’ancien président de la République Populaire de Chine Hu Jintao rappelé l’importance de lancer des politiques publiques en matière de sport pour passer d’« un pays de premier plan en terme d’organisations sportives à une puissance sportive de renommée mondiale ». Cette notion de puissance sportive signifie la reconnaissance de tous dans l’un des sports les plus populaires au monde : le football. Connu pour sa passion pour le ballon rond, le président chinois actuel Xi Jinping s’inscrit dans les pas de son prédécesseur et nourri son rêve des « trois Coupe du monde » : participer à la prochaine édition de la Coupe du monde, en accueillir une et gagner une à moyen terme. Il voit à travers ces trois objectifs une opportunité unique de réaffirmer la position de la Chine en tant que puissance internationale dans un monde toujours plus globalisé. Outre le fait d’offrir à la Chine une nouvelle vitrine après celle des Jeux Olympiques, c’est aussi le moyen d’attirer les investisseurs et les touristes du monde entier. Ainsi, depuis la présidence de Hu Jintao et encore plus clairement depuis que Xi Jinping a pris en main le pays, la Chine à travers l’exemple du football, semble développer ce que Joseph Nye à appeler le « soft power ». 

« Le pouvoir c’est l’habilité d’influencer les autres à son avantage par la force (coercion), l’argent (payment) ou la séduction (attraction) », écrit Nye. À contrario du « hard power » symbolisé par la force (pouvoir militaire) ou l’argent (puissance économique), l’auteur développa l’idée que l’on peut obtenir des résultats sans faire usage de la force (menaces) ou à l’argent. « Un pays peut obtenir les résultats voulus à l’échelle internationale quand d’autres pays voudront suivre son exemple », à cet égard, le sport apparaît être un instrument de premier plan dans l’exercice d’un « soft power ».

Le développement du football en Chine et par la Chine : une politique étatique ambitieuse 

En avril 2016, la République populaire de Chine a mis en place le « plan de développement du football à moyen et long terme (2016-2050) ». Le but du gouvernement chinois est clair : faire du pays une terre de football de premier plan. Pour se faire, la stratégie chinoise s’apparente à une valse de trois temps correspondant au « three World Cup dreams » : se qualifier pour la prochaine Coupe du monde, accueillir une édition dans les années à venir et à terme gagner une Coupe du monde ce qui achèverait de faire de la Chine une nation à part entière dans le football mondiale. Le 15 mars 2019, la Chine a annoncé sa candidature en vue de l’organisation de la prochaine Coupe d’Asie en 2023. Organiser un tel événement serait une opportunité unique pour « populariser le football en Chine et le développer ». Mais le chemin pour la sélection chinoise est encore long, en témoigne la seule participation à une Coupe du monde en 2002, co-organisée par la Corée du Sud et le Japon, qui avait été un véritable désastre sportif : trois défaites en autant de matchs et zéro buts marqués. 

Grâce à une économie chinoise qui a été florissante pendant plusieurs années de suite, les clubs ont pu participer au rayonnement de la Superleague chinoise en recrutant des joueurs étrangers de renom, synonymes à la fois de cibles marketing et de source d’inspiration pour les jeunes footballeurs chinois. Ainsi, un club comme le Hebei China Fortuna s’est développé considérablement grâce à des joueurs étrangers comme Stéphane Mbia (ex- Séville FC, à présent au Wuhan Zall), Gervinho (ex-Roma, à présent à Parme), ou encore Lavezzi (ex-PSG). Il y a aussi le club de Guangzhou. C’est dans ce club que le premier joueur étranger a signé un contrat en 2011 : l’attaquant argentin Darío Conca. Le club de Guangzhou a été acheté il y a quelques années par le groupe immobilier Evergrande et depuis ce rachat il est devenu l’un des meilleurs en Superleague avec cinq titres de champion et deux Ligues des Champions asiatique. Les stars étrangères apparaissent comme les moteurs des équipes, tant sur le terrain qu’en dehors mais cela n’est pas sans créer une inquiétante dépendance.

En effet, l’un des grands enjeux du renouveau chinois sur un sport comme le football est d’inscrire ce développement dans une perspective locale. Ainsi, le gouvernement chinois et sous sa houlette des entreprises ont investi des sommes pharaoniques dans des infrastructures. L’un des exemples les plus parlants est la Guangzhou Evergrande Football Academy de Qingyan qui est la plus grande académie de football au monde avec dans ses rangs plus de 2800 pensionnaires, âgés de 8 à 17 ans. Depuis sa création en 2012, l’académie a coûté plus de 280 millions d’euros totalement pris en charge par l’entreprise Evergrande. L’école a la particularité d’entretenir un partenariat avec le Real Madrid qui a envoyé régulièrement des entraîneurs espagnols pour qu’ils importent leur savoir-faire et apportent des conseils aux entraîneurs locaux. C’est un exemple de « bottom-up » investissements. 

Dans cette perspective de promouvoir le football en Chine et la Chine à travers lui, il semble intéressant de s’arrêter sur le nom des clubs chinois qui ont la particularité de comporter le nom d’une entreprise chinoise. Ainsi le Jiangsu Suning porte le nom d’une entreprise chinoise de distribution spécialisée dans la vente de produits d’électroniques par internet ; le Shanghai Shenhua porte lui le nom d’une entreprise énergétique d’état, leader mondial de la production de charbon. 

L’une des clés du succès pour le gouvernement est de susciter un intérêt pour le football chez les chinois et chinoises. Avant d’avoir des visées émancipatrices, la Chine doit d’abord séduire dans ses frontières. Ainsi, Xi Jinping et son gouvernement essaient de développer de nouvelles façons pour toucher un public toujours plus grand : la jeunesse. L’un des meilleurs exemples est l’énorme succès de la série télévisée « Super Successor », une télé-réalité mettant en scène 16 jeunes joueurs chinois voyageant dans le monde entier à la rencontre de leurs idoles. La Chine est un véritable marché à ciel ouvert et le gouvernement l’a bien compris : s’ils arrivent à intéresser le public, c’est presque 20% de l’humanité qui est touchée. 

L’Empire contre-attaque : le football comme outil pour accroître l’influence internationale de la Chine

Le football d’aujourd’hui est en mutation perpétuelle et à ce titre l’année 2015 est une année charnière puisque c’est à partir de cette date que des investisseurs chinois sont arrivés dans les actions des clubs européens. Ainsi, presque 30 clubs européens seraient en partie détenus par des actionnaires chinois. Le magazine Financial Times a calculé que des hommes d’affaire chinois ont investi plus de 2,5 milliards de dollars sur les quatre dernières années dans l’acquisition ou la prise de parts de clubs européens. Par exemple, depuis 2011, des groupes privés comme le Dalian Wanda Group ou l’Evergrande Real Estate Group se sont illustrés. Le premier a ainsi acquis ces dernières années 20% du capital du club de l’Atlético Madrid. Il a aussi signé avec les colchoneros un accord pour le naming du nouveau stade madrilène : le Wanda Metropolitano Stadium. 

Les raisons des investissements chinois dans le football européen sont liées à une politique d’État. Sous l’impulsion du président Xi Jinping, réputé grand amateur de football, le gouvernement chinois a dévoilé en 2015 un « Plan de développement du football en Chine à moyen et long termes (2016-2050) » ayant pour but de faire de la Chine une « superpuissance » du football : objectif de 50 000 écoles de football de football accueillant 50 millions d’enfants en 2025, organisation d’une Coupe du monde en 2030, victoire en Coupe du monde d’ici à 2050. Pour la Chine, les ambitions concernant le football sont liées à une stratégie d’affirmation de sa puissance sur la scène internationale et constitueraient, si elles se concrétisaient, un outil de soft power.  Le football est instrumentalisé à des fins économiques et politiques. Cela conduit par exemple au grand projet du gouvernement « One Belt, One Road Initiative » (OBOR). C’est un projet à visées économiques et géopolitiques décidé par les autorités chinoises et qui cherche par le développement de routes maritimes et terrestres à relier la Chine avec l’Europe, le Moyen Orient. Ces « nouvelles routes de la soie » ont aussi permis de renforcer les relations sino-africaines et une là encore, le football a été un vecteur privilégié.

Ainsi, on peut évoquer la « diplomatie des stades » : depuis les années 1980, la Chine finance et bâtit la plupart des grandes enceintes africaines. C’est le cas du stade de Libreville au Gabon baptisé « L’arène de l’amitié sino-gabonaise » car fondé en 2011 par les gouvernements chinois et gabonais ou encore du grand stade d’Abidjan qui accueillera la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) en 2021. 

« Tout pays désireux d’investir massivement dans le sport et d’y peser le fait à dessein. Il souscrit à une stratégie propre qui vise l’acquisition de notoriété, de reconnaissance et d’influence par le sport, dans le sport et au-delà. C’est donc à un usage géopolitique qu’on assiste. Une telle logique (…) instrumentalise le sport pour atteindre plusieurs objectifs : exister sur la scène internationale, s’y affirmer, montrer qu’on en fait partie et qu’on la domine. » Jean-Baptiste Guégan, Mercato : L’économie du football au XXIe siècle

La démarche des autorités chinoises semble s’inscrire dans ce cadre. Lors du 19e Congrès du Parti communiste en octobre en 2017, le président Xi Jinping a appelé à renforcer « le soft power et l’influence internationale » de la Chine. Le sport et le football en particulier sont clairement un axe de cette politique. Ainsi, la Chine veut développer son statut de puissance sportive en investissant massivement dans le football, sport le plus important en termes de pratique et de médiatisation.

L’ampleur de la tâche à accomplir pour parvenir aux avants-postes du football mondial est colossale, la sélection chinoise faisant pâle figure lors des rencontres internationales. La sélection chinoise n’est pas parvenue à se qualifier pour la Coupe du monde 2018. En juillet 2019, la Chine était classée 71e au classement FIFA, juste derrière l’Afrique du Sud. Ce défi permet d’expliquer les montants très importants investis pour essayer de favoriser une progression rapide. L’un des symboles de cette politique d’État a été le selfie pris par l’attaquant de Manchester City Sergio Agüero avec le président Xi Jinping et le Premier ministre britannique de l’époque, David Cameron, lors de la visite du président chinois en Angleterre. Moins de 2 mois après cette visite, China Media Capital (CMC) acquérait 13% de City Football Group pour 400 millions de dollars. En décembre 2017, Manchester City a annoncé le lancement à partir de sept 2018 d’un programme de formation commun avec la Kaiwen Academy basée à Pékin.

Le football est souvent présenté comme le sport le plus populaire du monde. Les championnats européens, où se concentrent la quasi-totalité des meilleurs joueurs mondiaux, présentent un attrait pour tous les amateurs de football, y compris pour ceux se trouvant de l’autre côté du globe. Les matchs des grands championnats, de la Ligue des champions sont désormais diffusés dans la plupart des pays, notamment en Chine. Les ligues professionnelles ont organisé la programmation des matchs afin que plusieurs fuseaux horaires puissent visionner des matchs en direct chaque semaine. Cela a été le cas par exemple pour le match Nice-Paris comptant pour la 30e journée de Ligue 1 de la saison 2017-2018, qui a été programmé à 13h pour permettre aux téléspectateurs chinois des grandes villes de le regarder en prime time à 20h. Autre match et autre horaire inhabituel (14h30), pour le Lyon-Montpellier (3-2) du dimanche 17 mars 2019 qui a enregistré une audience impressionnante en Chine, où la rencontre était diffusée en prime time (à 21h30 heure de Pékin). Alors que le match avait été décalé en raison de manifestations de gilets jaunes, une moyenne d’1,2 million de Chinois l’a suivi sur la chaîne nationale dédiée au sport CCTV5, le record de la saison.

Outre l’essor des droits télévisés, les autorités chinoises essaient aussi de promouvoir la culture de leur pays et les clubs européens y ont vu un intérêt économique. Ainsi, par exemple, pour le Nouvel An chinois, il n’est pas inhabituel de voir des noms de joueurs écrits en mandarin sur leur dos. 

Le ralentissement de l’économie chinoise et de possibles nouvelles pressions à la baisse sur la devise chinoise, le renminbi, pourraient mettre en péril les prises de participation dans les clubs européens. De plus, la campagne anti-corruption initiée par le président Xi Jinping a également incité certains citoyens chinois fortunés à transférer une partie de leurs richesses à l’étranger pour les mettre hors de portée des enquêteurs du Parti communiste. Les autorités chinoises souhaitent mieux contrôler les investissements à l’étranger. Ainsi, elles ont mis la pression sur de grands groupes tels que Wanda et Fosun International afin qu’ils freinent leurs activités à l’étranger. Le conglomérat Wanda a coopéré avec les autorités et a vendu en 9 mois pour 4 milliards de dollars d’actifs détenus à l’étranger et a promis de se recentrer sur l’économie domestique. 

Par ailleurs, en terme de mercato, la régulation et la modération sont devenus les maîtres mots. La fédération chinoise a décidé en janvier 2017 un durcissement de ses règles en limitant le nombre de joueurs étrangers, notamment pour réagir aux « investissements irrationnels » des clubs de SuperLeague : à partir de la saison 2017, les clubs n’ont pu aligner au maximum que 3 joueurs non chinois par match et il faut au moins 2 joueurs chinois de moins de 23 ans par onze de départ. 

En mai 2017, une luxury tax a été imposée par l’équivalent du ministère des sports chinois : tout club chinois dépensant plus de 45 millions de renminbis (environ 6 M d’€) pour recruter un joueur à l’étranger doit s’acquitter d’une taxe correspondant à 100% de l’indemnité de transfert, dont le produit sera utilisé pour le développement du football en Chine (le transfert du joueur Cédric Bakambu de Villarreal au Beijing Guoan a été l’un des premiers en ce sens). Par ailleurs, les autorités chinoises se sont également montrées tatillonnes en ce qui concerne les finances des clubs. Leur solvabilité et leur santé financière sont devenus des critères de premier plan. Les conséquences d’une marche arrière des autorités chinoises dans leur programme de développement du football seraient très négatives pour le football européen. Cela pourrait conduire à la vente simultanée de dizaine de clubs en Europe et occasionnerait un manque à gagner pour les clubs européens sur le marché des transferts. 

Le lancement du « football development plan in the medium and long term (2016-2050) » semble être un tournant dans l’histoire non seulement du football professionnel sinon dans toute l’industrie du sport en Chine. L’État chinois a mis en place une stratégie de politique publique qui vise à incorporer le football dans la culture chinoise. Par ailleurs, en plus d’agir directement sur l’évolution du football, en ouvrant des écoles de football entre autres, le plan du gouvernement chinois appelle à une coopération avec le secteur privé pour participer au développement du ballon rond. La politique de développement du football en Chine, souhaitée et orchestrée par les plus hautes autorités du pays, a largement profité au football européen depuis 2015. Cela a conduit tant à des recrutements de joueurs étrangers pharamineux par les clubs chinois qu’à des achats de parts dans les clubs européens. Cependant, le durcissement des conditions d’investissement à l’étranger pourrait remettre en question l’acquisition de parts dans les clubs européens. De plus, malgré des mesures prises pour limiter le nombre de joueurs étrangers dans les clubs, une forte dépendance subsiste envers ces têtes d’affiche étrangères que ce soit en dehors ou sur le terrain.

Pour aller plus loin :

Bastien Drut, Économie du football professionnel, 2014 et Mercato : L’économie du football du XXIe siècle, 2018 (co-dirigé avec Jean-Baptiste Guégan)

Alex Duff and Tariq Panja, Football’s Secret Trade : how the Player Transfer Market Was Infiltrated, 2016

Jean-Baptiste Guégan, Géopolitique du sport, une autre explication du monde, 2017

James Montague, The Billionaires Club : the Unstoppable Rise of Football’s Super-Rich Owners, 2017

Joseph Nye, Soft Power: The Means to Success in World Politics, 2004

Simon Chadwick, « How One Belt, One Road is guiding China’s football strategy », South China Morning Post, 2016

Emission de radio de France culture « Géopolitique du football, premier sport globalisé » du 01/06/2019

0 Partages

Une pensée sur “La Chine et le football : « le Grand Bond » en avant global

Commentaires fermés.