L’équipe du FLN au cœur de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie

En avril 1958, l’équipe de football du Front de libération nationale algérien (FLN) est créée. Des joueurs évoluant en première division française ont fui la France pour défendre le drapeau de leur pays d’origine. Mais quel a été l’impact politique de l’équipe du FLN pendant la guerre d’Algérie ? Récit d’une épopée sportive et politique.

« Neuf footballeurs algériens disparaissent » titre le quotidien L’Equipe le mardi 15 avril 1958. La nuit du 13 au 14 avril 1958, des joueurs algériens évoluant en première division du championnat de France quittent le pays en franchissant les frontières suisse et italienne. Parmi ces joueurs, des stars du championnat tels que Rachid Mekhloufi, la « pépite » du milieu de terrain de l’AS Saint-Etienne, Mohamed Maouche, attaquant du Stade de Reims, ou Mustapha Zitouni, défenseur de l’AS Monaco. Le club de la principauté est le plus touché, avec cinq joueurs perdus. Entre 1958 et 1961, des vagues de départs successives de footballeurs algériens ont lieu, et une trentaine de joueurs rejoint l’équipe du FLN, un mouvement politique, créé en 1954, qui revendique l’indépendance de l’Algérie face au colonialisme français. Ce mouvement est la principale force d’opposition et d’insurrection contre la présence française dans le pays.

L’ancien joueur et entraîneur Mohamed Boumezrag est souvent cité comme étant l’instigateur de la formation de cette équipe du FLN. C’est lui qui a pris contact avec les joueurs algériens et qui les a convaincus de rejoindre le « onze de l’indépendance ». Ainsi, en avril 1958, les joueurs recrutés rejoignent Tunis, où la base du FLN est installée, grâce au soutien du président tunisien Habid Bourguiba. Quelques jours plus tard, le 9 mai 1958, ceux que Paris Match a surnommé « les fellaghas du football » remportent leur première rencontre face au Maroc 2 à 0.

« Réveiller les consciences françaises »

Mais pourquoi avoir créé cette équipe précisément en avril 1958 ? Selon Kader Abderrahim, chercheur à l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques) et maître de conférences à Sciences Po Paris, avril 1958 constituait le « creux de la guerre d’Algérie » après la victoire française lors de la bataille d’Alger en octobre 1957. L’objectif de la fédération de France du FLN était alors de « réveiller les consciences françaises » et de « marquer les esprits ». À l’époque, une majorité des Français ignoraient ce qui se passait en Algérie.

Une du quotidien L’Equipe du mardi 15 avril 1958.

La fuite de ces grands joueurs algériens a provoqué une certaine stupéfaction au sein de la société française. D’autant plus que cette « évasion » s’est produite quelques semaines seulement avant le début de la Coupe du monde 1958 en Suède. Mustapha Zitouni, Abdelaziz Ben Tifour, Mohamed Maouche et Rachid Mekloufi étaient jusqu’alors sélectionnés en équipe de France et devaient participer à la compétition. En exfiltrant ces joueurs « vedettes » du championnat, le FLN a privé de fait la sélection française de certains de ses joueurs. Plus tard, Rachid Mekloufi rappela l’importance de cet acte : « C’était le coup politique qu’il fallait faire pour réveiller les consciences des Français, remonter le moral des maquisards et la meilleure preuve c’est que, après l’indépendance, on rencontrait des maquisards à Alger. Des gens qui m’ont dit : « Vous savez pas comment vous nous avez remonté le moral quand on a su que vous étiez partis » ».

Le « onze de l’indépendance » non-reconnu par la FIFA

Le « onze de l’indépendance » était également une arme de propagande pour le FLN. L’organisation avait la volonté de jouer des matches contre les meilleures sélections du moment. Dans un premier temps, le plan a été contrecarré par la Fédération française de football (FFF). Cette dernière a porté plainte auprès de la FIFA, ce qui a entrainé la non-reconnaissance de l’équipe algérienne. La FFF a également exigé la résiliation des contrats des joueurs algériens dans leurs clubs français. En cette période de guerre froide, l’absence de reconnaissance de l’équipe du FLN par la FIFA était synonyme d’impossibilité de jouer contre des sélections du bloc occidental. La FIFA a menacé de sanctions les sélections qui joueraient contre l’équipe du FLN. Ainsi, des pays comme l’Egypte ont préféré renoncer à un affrontement contre les joueurs algériens. La sélection n’a été reconnue que le 5 juillet 1962, après la reconnaissance de l’indépendance de l’Algérie.

En quatre ans, l’équipe du FLN a disputé 91 matches pour 65 victoires, 13 matchs nuls et 13 défaites. L’ « équipe de la liberté » a effectué plusieurs tournées, notamment au Moyen-Orient, en Asie et en Europe de l’Est. Selon Vincent Jacquet, la doctrine du panarabisme, en vogue à l’époque, a assuré à l’équipe du FLN le soutien de la Tunisie, du Maroc et de la Libye ainsi que des pays du Moyen-Orient, avec notamment des matches joués à Bagdad. C’est d’ailleurs dans la capitale irakienne, en février 1959, que le drapeau algérien est hissé pour la première fois avant un match de football. De plus, les joueurs algériens ont été reçus par Ho Chi Minh au Vietnam et ont été accueillis en Chine, en URSS et en Yougoslavie, au nom du refus de l’impérialisme. Par ailleurs, la fin des années 1950 et le début des années 1960 ont été marqués par le développement du mouvement des « non-alignés » dans les États visités par le « onze de l’indépendance ». Ce dernier récoltait des dons lors de ses tournées internationales et participait ainsi au financement du FLN.

L’équipe du FLN reçue au Vietnam.
Un discours idéologique avant le coup d’envoi

Ces tournées étaient l’occasion de sensibiliser les populations locales sur la nature du conflit opposant la France et l’Algérie. Avant le coup d’envoi de chaque match, un discours idéologique était prononcé par un commissaire du FLN. La propagande effectuée par le biais des tournées de l’équipe de football a conduit à une volonté croissante de reconnaissance de la cause algérienne à l’international. Ainsi, il ne s’agit sans doute pas d’une coïncidence si tous les États adversaires du FLN dans les stades de foot ont voté favorablement à la perspective d’indépendance de l’Algérie à l’Assemblée générale des Nations unies en 1961 et ont reconnu le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA).

S’agissait-il d’États déjà acquis à la cause algérienne, ou bien ont-ils été sensibilisés suite aux matches joués contre l’équipe du FLN ? Il est difficile d’évaluer le poids de l’équipe algérienne auprès des dirigeants des pays affrontés. Toutefois, les rencontres ont permis de porter la situation en Algérie à la connaissance des populations d’Europe de l’Est, d’Asie, et du Moyen Orient. La qualité du jeu de l’équipe ainsi que le fait que ses joueurs aient connu le niveau professionnel en France ont attiré la sympathie dans les pays visités. Pour Kader Abderrahim, le mérite revient au FLN d’avoir « compris très tôt à quel point le sport et plus spécialement le football peut avoir un rôle géopolitique ». Si le FLN avait un objectif politique en créant cette équipe, la plupart des joueurs algériens qui ont pris part à l’épopée s’intéressaient peu à la politique avant leur départ de France en 1958.