The Old Firm : le total derby
Ce n’est certainement pas le match le plus relevé du football moderne, ni le plus attendu par les spécialistes de tactique pure, mais il reste néanmoins parmi ces rencontres pas comme les autres qui fascinent à travers les temps : le derby de Glasgow, le Celtic face aux Rangers. Une opposition totale ancrée dans l’histoire du XXème siècle, deux peuples qui s’affrontent sur tous les fronts, qu’ils soient religieux, politiques ou culturels et qui n’ont finalement qu’un point commun : la passion du ballon rond.
Disons-le, ce qui fait l’intérêt de l’Old Firm, ce n’est pas vraiment l’aspect sportif. Au-delà des tacles très appuyés, le championnat écossais est d’un niveau assez faible et peu médiatisé hors Grande-Bretagne. Néanmoins, ce derby passionne encore à travers le monde car il s’inscrit dans un contexte unique : une rivalité écrite dans le temps, et qui fait la richesse ainsi que la légende du football.
De l’indifférence à la haine
Contrairement à ce que l’on pourrait s’imaginer, cette détestation réciproque ne date de la création des deux clubs, comme c’est souvent le cas pour les derbies. Pour preuve, l’appellation « Old Firm » signifie littéralement « ancienne entente », « vieille société », ou encore « vieille compagnie ». Cette appellation se moque du fait qu’à leurs débuts, la rivalité entre les deux clubs de Glasgow était artificielle et servait essentiellement des intérêts économiques. Ainsi, au début du XXème siècle, les deux clubs s’affrontaient épisodiquement sans haine majeure à l’occasion de matchs amicaux. Cependant, les relations se sont vite tendues, pour plusieurs raisons.
La religion est le principal moteur de la rivalité entre les deux clubs de Glasgow. Le Celtic a toujours été l’équipe des catholiques, principalement des Irlandais immigrés, qui étaient à l’origine de sa fondation. Le club a été créé par des prêtres dans le but premier de récolter des fonds pour les paroissiens les plus démunis. Les Rangers sont quant à eux historiquement liés au protestantisme. Si cette opposition religieuse ne posait dans un premier temps pas de problèmes, les relations se sont peu à peu crispées. Le Celtic progressait vite sportivement tandis que les Rangers stagnaient. La jalousie s’est installée et l’antagonisme a grandi. Peu à peu, le clivage entre catholiques et protestants s’est profondément établi dans le rapport entre les deux clubs. Les fans des Glasgow Rangers ont développé des liens forts avec l’Ordre d’Orange, une organisation fondée en 1795 en Irlande et ayant pour objectif de défendre les intérêts du protestantisme. Si les Orangistes ne sont aujourd’hui plus très influents, ils furent puissants au début du XXème siècle et surtout très actifs. La lutte fut violente et marquée par le sang, notamment lors d’attaques d’églises.
À cela vient s’ajouter une fracture politique et culturelle, toujours en lien avec la question religieuse. Car si le Celtic est catholique, il est aussi pro-Irlandais, comme le suggère la couleur verte omniprésente sur les maillots, dans le stade ou encore le trèfle associé à St Patrick, patron quasi légendaire de l’Irlande, sur le logo du club. Aujourd’hui encore, le drapeau irlandais vert, blanc et orange est omniprésent dans les tribunes du Celtic Park. Si le Celtic, comme son nom l’indique, fut fondé par des immigrés Irlandais, le Glasgow Rangers est le club des soutiens de la couronne d’Angleterre face à la lutte indépendantiste. De très nombreux dirigeants du Celtic ont soutenu la cause irlandaise, et la Green Brigade, le groupe ultra des Verts et Blancs a parfois entonné des chants à la mémoire des « héros » de l’IRA, mouvement préconisant la lutte armée pour la cause irlandaise. Les Rangers sont eux dans le camp des unionistes, soutiennent la royauté et donc la Couronne d’Angleterre. On raconte aussi que de nombreux fans des Rangers ont entretenu des liens avec l’UDA, l’Ulster Defence Association, un groupe paramilitaire protestant loyaliste préconisant la lutte armée et responsable de dizaines de morts en majorité des catholiques. L’UDA est aussi proche des réseaux des francs-maçons, et elle était considérée comme une organisation terroriste par l’Union Européenne jusqu’en 2004. Si les fans du Celtic exhibent le drapeau irlandais, les supporters des Rangers brandissent eux l’Union Jack avec fierté. Le Old Firm met en évidence donc deux Écosse que tout oppose : les Irish Scott face aux British Scott.
Sur ce tifo déployé dans le Kop de la Green Brigade à l’occasion d’un match de Ligue des Champions face au Milan A.C., figurent deux personnages liés à la culture irlandaise des fans du Celtic. Sur la gauche est représenté William Wallace, chevalier écossaisayant vécu à la fin du XIII siècle, figure de la résistance et vainqueur de l’armée anglaise lors des guerres d’indépendances. Pour les cinéphiles, William Wallace est le personnage dont le très célèbre film Braveheartraconte l’incroyable aventure. En Ecosse, les monuments à la mémoire de Wallace sont très nombreux, c’est une figure légendaire de l’histoire écossaise. À sa droiteBobby Stands, nationaliste irlandaiset un temps membre de l’IRA. Il meurt en mai 1981 après 66 jours de grève de la faim en prison alors qu’il a été élu député malgré sa détention. C’est une icône de la cause irlandaise et catholique. Ses funérailles attirent près de 100 000 personnes et ont été suivies par plusieurs jours d’émeutes. Ces banderoles ont créé la polémique à travers toute la Grande-Bretagne. Le Kop du Celtic a également rendu plusieurs fois hommage aux victimes du massacre du Bloody Sundaypar des banderoles et des tifos. L’on pouvait notamment y voir Edward Daly, évêque mondialement réputé pour avoir agité un mouchoir blanc lors des fusillades meurtrières du 30 Janvier 1972 où 13 hommes dont 7 adolescents ont été mortellement touchés par les tirs britanniques.
Effritement du sectarisme et nouvelles rivalités
Comme toute l’Europe, l’Ecosse a connu un recul de la pratique religieuse. En 2016, plus de la moitié des Ecossais se déclare sans religion. Par ailleurs, le conflit irlandais n’étant plus réellement à l’ordre du jour, le soutien à un camp n’a plus vraiment de sens. Le sectarisme, à l’échelle des institutions et des clubs officiels, s’estompe. Néanmoins cette opposition culturelle, religieuse et politique demeure dans les tribunes tant elle fait partie de l’histoire des deux clubs, de la ville et du pays en général. Cette rivalité se traduit donc d’avantage par la haine de l’autre que par la défense de sa propre cause. En clair, l’on va plus au stade pour hurler sa détestation à son adversaire que pour défendre sa propre cause. Les Rangers multiplient les chants insultants envers le Pape et les moqueries sur les affaires de pédophile dans l’Église catholique, alors que les Verts et Blancs exhibent des drapeaux du Vatican par pure provocation. Pourtant, beaucoup de supporters du Celtic avouent ne pas « aller à la messe le Dimanche », et les fans des Rangers sont d’avantages anticatholiques que fervents protestants.
Les supporters des Rangers se sont ainsi récemment fait remarquer pour des comportements haineux lors de la rencontre face au club polonais du Legia Varsovie, avec des chants anticatholiques en l’occurrence. En guise de réponse les ultras du Legia ont déployé un tifo représentant le pape Jean-Paul II au match retour en Ecosse. On notera que l’ancien gardien du Celtic Arthur Boruc était présent dans le parcage polonais à Ibrox Park, histoire de prouver que la rivalité est éternelle, même au-delà de la carrière sportive.
Cette opposition totale entre les deux géants écossais se retrouve également dans les relations qu’entretiennent les supporters des deux clubs à travers l’Europe. Il existe des liens entre les différentes associations, notamment les ultras, et ces amitiés s’inscrivent parfois dans un contexte historique et politique. Ainsi il existe de nombreux rapports entre les supporters du Celtic et ceux de Sankt Pauli, le fameux club de Hambourg, célèbre pour son engagement politique très à gauche. Le club de Sankt Pauli est en effet mondialement réputé pour ses engagements politiques, antifascistes, antisexistes, ou encore contre l’homophobie (en 2017, lors du G20 à Hambourg, le club ouvre ses portes aux manifestants altermondialistes anti G7). De leur côté,les Unions Bears, principal groupe ultra des Rangers, entretiennent des liens forts avec ceux du HSV,l’autre club de Hambourg ennemi juré de Sankt Pauli. La rivalité Celtic-Rangers se retrouve ainsi au-delà de la frontière écossaise.
Autre illustration, lors d’un match de Ligue des Champions entre Barcelone et le Celtic, une banderole est déployée par les supporters Blaugranas, où l’on peut y lire : « Welcome to Catalonia »avec les drapeaux irlandais et catalans de part et d’autre, en écho aux velléités d’indépendances et l’identité régionale forte des deux clubs.
Le derby de Glasgow n’a donc pas fini de déchainer les passions en Ecosse et même au-delà. Il continue d’écrire les pages de son histoire de légende et avance à travers les siècles pour le meilleur et pour le pire. Le « Old Firm » prouve à lui seul que le football est tellement plus qu’une opposition entre 22 joueurs sur un terrain en herbe.