Naïri Zadourian : « L’article 24, c’est la VAR de la police qu’on veut proscrire » (2/2)

De son versant pour la célèbre émission « Faites entrer l’accusé » à son estime pour Maître Delphine Boesel, Naïri Zadourian, avocate au Barreau de Paris, a fait de sa vocation son art. Singulière et activiste, cette admiratrice de Gisèle Halimi, qui n’a de cesse de ferrailler contre toute forme de discrimination et de violence, cause sans détour de sa tendresse pour le ballon rond. Et ce, tout en revenant sur quelques sujets bouillants relatifs au football donc, mais aussi à la société dans son ensemble. Deuxième partie.


Ces dernières semaines ont été marquées par un contexte social et sociétal très particulier, et certains joueurs français se sont élevés contre certaines dérives. On pense par exemple à Antoine Griezmann, sur les violences policières ou le travail forcé des Ouïghours. Qu’en pensez-vous ?

C’est mignon et intéressant, mais il y a des choses que l’on remarque objectivement et dont ils ne parlent pas non plus. Notamment sur ce que révélait Patrice Evra dernièrement au sujet des photos des joueurs de l’Equipe de France prises en compagnie d’un officiel ou du président de la République, et sur lesquelles les joueurs noirs sont placés dans le fond. Ça les concerne directement et pourtant, personne ne s’en est vraiment ému.

Je suis plus sensible aux actions de Bryan Soumaré par exemple, et j’ose espérer qu’un garçon comme Antoine Griezmann agisse de la sorte de son côté. Et s’il ne communique pas dessus, c’est d’ailleurs tout à son honneur, car cela rend l’action encore plus belle à mes yeux. Les joueurs, dont Griezmann ici, ont d’autres formes de responsabilités. Et il ne faut pas l’oublier. Je trouve que c’est tellement injuste de demander à des footballeurs de se muer comme les sauveurs d’une société en détresse. Ils ne sont pas engagés politiquement, et s’ils voulaient opérer sur ce terrain, ils auraient tout simplement fait de la politique. Mais si ces derniers veulent prendre position, ce qu’ils ont le droit de faire, qu’ils ne le fassent pas à moitié. Et encore plus si c’est aux fins d’objectifs de communication. Il règne aussi, selon moi, une certaine forme d’hypocrisie. 

Comment avancer noblement sur ces questions ?

C’est sur un autre terrain et sujet, mais j’ai envie de remercier Demba Ba par exemple. Quel courage de sa part, bravo ! Lors de ce fameux PSG – Istanbul Başakşehir, c’est sous l’impulsion d’un joueur noir, encore, qu’on a dû interrompre le match. Aucun des arbitres n’a bougé le petit doigt, alors qu’ils avaient pourtant tout entendu ! Mais ils n’ont rien fait. Et ce sont toujours les mêmes qui doivent se défendre, parce que personne ne l’ouvre et n’a le courage de le faire. Mais c’est seulement grâce à ce genre d’actions quotidiennes et systématiques – j’insiste – que l’on pourra avancer.

Si racisme il y a sur un terrain, et bien c’est simple : arrêtons le match. C’est le chemin à suivre. Lorsque Dani Alves recevait une banane en pleine face, il fallait arrêter le match. Cela demande de la solidarité et que les autres joueurs, qui ne sont pas victimes, bougent enfin, en prenant conscience de ces problèmes graves. Et si les joueurs de cette rencontre sont sortis du terrain et ne sont pas revenus, j’aurais aimé aussi qu’ils viennent tous faire bloc aux côtés de Demba Ba lorsque celui-ci s’expliquait rudement avec le quatrième arbitre coupable de ces immondes propos. J’ai trouvé ça triste.

Cela aurait changé quelque chose selon vous ?

Oui, bien sûr ! On a tendance à omettre la symbolique, mais de mon point de vue, c’est important. Il faut montrer aux victimes et à ceux qui les défendent qu’ils ne sont pas seuls. Il ne faut plus laisser faire cela, comme il ne faudrait plus laisser passer les violences faites aux femmes. Il faut envoyer un message fort, et montrer qu’ils ne sont pas seuls à mener ce combat. Il n’y a rien de drôle ou de léger dans le racisme ou dans toute autre forme de brutalité. L’individu a un prénom et un nom, et personne n’a à être désigné par sa couleur de peau. D’autant plus, dans ce cas, que les personnes présentes sur et aux abords du terrain sont censées être connues des arbitres. C’est leur travail et c’est le b.a.-ba.

C’est du mépris de classe, voilà tout. Le football est un sport populaire et ils l’ont en horreur. Tout ce qui concerne de près ou de loin ce sport, car il est notamment suivi et pratiqué par une certaine classe, ils s’en foutent ! Alors oui, Macron, Sarkozy et d’autres sont de grands fans. Mais c’est drôle de voir Nicolas Sarkozy dans les tribunes du Parc des Princes quand on sait qu’il aurait voulu passer la moitié des tribunes au kärcher.

A propos des réticences de certains politiciens sur la prise de position des sportifs.

À vous écouter, certains ne se sentiraient pas concernés par ces violences, même lorsqu’elles se déroulent devant eux. Comment l’expliquez-vous ?

Prenons l’exemple d’un policier, témoin de racisme ou de violence, qui n’agirait pas pour y mettre fin : premièrement on se demanderait pourquoi il porte l’uniforme et deuxièmement, j’estime qu’il est aussi responsable que l’auteur des violences ou des propos racistes, misogynes… Bon malheureusement, on a aussi vu ce que risque un policier lorsqu’il dénonce cela, et ce n’est pas toujours aussi simple.

C’est ensemble que nous devons avancer et lutter contre ces discriminations et il faudrait que tout le monde se saisisse de ces soucis-là, c’est très important. Certaines victimes sont fatiguées de se battre, parce que rien ne change. C’est donc pour cela que d’autres doivent prendre la relève. Et il faut le faire quand on le peut. C’est ainsi qu’on avancera, j’en suis certaine. Le danger, c’est de s’y habituer. Et je pense malheureusement qu’on y est trop habitués. Ce n’est pas normal.

Revenons en au sujet des violences policières, contre lesquelles Antoine Griezmann s’est insurgé. Le ministre de l’intérieur n’a pas vraiment apprécié les propos du joueur français. Existe-t-il un dédain à l’égard des joueurs, du foot dans son intégralité et de ses fans au sein de la société et de cette « élite » qu’est le gouvernement ? Et si oui, comment s’explique-t-il ?

Déjà, elle n’est en rien une élite intellectuelle à mes yeux. Et c’est du mépris de classe, voilà tout. Le football est un sport populaire et ils l’ont en horreur. Tout ce qui concerne de près ou de loin ce sport, car il est notamment suivi et pratiqué par une certaine classe, ils s’en foutent ! Alors oui, Macron, Sarkozy et d’autres sont de grands fans. Mais c’est drôle de voir Nicolas Sarkozy dans les tribunes du Parc des Princes quand on sait qu’il aurait voulu passer la moitié des tribunes au kärcher. Et je vais prendre plus globalement pour exemple le cas Benzema. Pour avoir travaillé sur le sujet durant mes études de droit, j’ai constaté certaines « irrégularités ».

Lesquelles ?

Pour un devoir en droit de la peine, j’avais analysé sa non-sélection en Equipe de France comme une sanction disciplinaire qui s’apparentait à une suspension. Sauf qu’ici, on s’est fait l’économie de la procédure disciplinaire permettant de prononcer ladite sanction. Et, A fortiori, on a purement privé à Karim Benzema la possibilité d’exercer un recours contre cette suspension déguisée. On ne l’a juste pas sélectionné et c’est passé comme si de rien n’était. Noël Le Graët, président de la FFF, avait d’ailleurs déclaré à l’époque qu’il fallait que « la juge décide que le dossier est vide ou que Valbuena et lui redeviennent copains après que la juge ait décidé de les confronter ». Mais la raison pour laquelle ils avaient justifié la non-sélection de Benzema, c’est ce fameux devoir d’exemplarité et son manquement à la charte des Bleus, placardée un peu partout à Clairefontaine. Visiblement ici, on semble plus tenir à une charte écrite sur un post-it qu’au code de procédure pénale.

D’une certaine manière, la carrière internationale de ce garçon a été sabotée. Et pourtant, légalement, lorsqu’un individu est mis en examen, ce dernier est présumé innocent. Je regrette que tout le monde n’ait pas bénéficié de ce principe fondamental, comme ce fut le cas par exemple pour Nikola Karabatic mis en examen dans l’affaire des paris truqués, ou encore Monsieur le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin. Exemplarité, n’est-ce pas ?

Un joueur international ne se doit-il pas d’être exemplaire pourtant ?

Cela fait référence à la bonne représentativité dont chaque joueur doit faire preuve lorsqu’il revêt le maillot de l’équipe de France. Pardonnez-moi, mais si un attaquant français se doit d’être exemplaire et est soumis à ce devoir, et qu’il est suspendu pour une mise en examen, en quel honneur un homme politique, mis en cause pour avoir demandé des faveurs sexuelles en échange de quelque chose, peut-il être nommé ministre de l’Intérieur et donc, chef de la Police ? Tous deux bénéficient de la présomption d’innocence. Mais eux, selon toute vraisemblance, ne sont pas soumis au devoir d’exemplarité. Où est donc leur charte posée sur leur petite porte de bureau ? C’est cela qui m’énerve. Il n’y a rien qui va dans cette histoire.

L’article 24 de la proposition de loi de « sécurité globale » ; ce n’est ni plus ni moins la VAR de la Police qu’on veut proscrire. C’est comme si on interdisait à la population d’utiliser la VAR contre les policiers… Si la VAR présente quelques problèmes, elle a au moins été instaurée sur le terrain dans l’objectif d’avoir un peu plus de justice. Et bien c’est pareil dans l’espace public, quand on utilise notre téléphone pour filmer, on met l’accent et on dénonce certains dérapages. Et nous voudrions seulement qu’ils ne se reproduisent plus.

Tournons-nous du côté des tribunes désormais. Que pensez-vous des mesures prises par les pouvoirs publics ces dernières années, concernant les restrictions de déplacements de supporters ?

Il y a deux manières de restreindre les libertés des personnes en France. La première, c’est la condamnation judiciaire prononcée par un juge judiciaire. La deuxième, c’est une mesure administrative, donc préventive, prononcée par un préfet par exemple. Et ce, avant la commission d’une infraction donc. Pour prévenir la commission d’un délit autour des stades, des mesures particulièrement restrictives et attentatoires aux libertés sont prises, dans l’espoir d’éviter tout débordement. Sauf qu’on a bien vu que ça ne marche pas aussi bien qu’on l’espérait.

Ces violences, lorsqu’elles existent, nous les retrouvons ailleurs. Loin des stades certes, mais elles ne disparaissent pas. Le problème se retrouve seulement autre part. On dit juste à ces éléments violents de se bagarrer plus loin et on ne fait rien pour y mettre un terme. Il y a d’ailleurs un pan du droit qui se développe et s’intéresse de plus en plus au supportérisme. La Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs été saisie sur la conformité de ces mesures ultra-répressives à l’endroit des supporters à la Convention européenne des droits de l’Homme. Et étonnamment, la Cour justifie ces mesures ultra-répressives. On en revient toujours à ce débat sur la liberté et le besoin de sécurité. Malheureusement, le football aussi est victime du « toujours plus sécuritaire ». Voyons comment cela va évoluer, mais je suis ravie que des confrères se battent pour les supporters et leurs droits.

©  LP/Frédéric Dugit

Par ailleurs, je ne parle même pas des interdictions plus aberrantes les unes que les autres pendant les compétitions sportives de grande échelle. Souvenez-vous lors du dernier Euro lorsqu’il était interdit de vendre de l’alcool à Paris selon des horaires prédéfinis. En quel honneur on interdit, à des fans, ou à d’autres qui ne consomment pas le football d’ailleurs, de boire ? Visiblement, tout le monde était puni d’apéro, supporters ou non. Mes amis qui n’aiment pas le foot nous ont détestés pour cela. Mettons d’abord des moyens pour sécuriser les stades et leurs alentours – ou une fan zone quand il y en a – plutôt que d’être dans cette idée de privation permanente.

Le combat pour les libertés fondamentales est donc encore long ?

Bien sûr, et nous pouvons élargir cela à la société dans son ensemble. On le voit avec l’article 24 de la proposition de loi de « sécurité globale » ; ce n’est ni plus ni moins la VAR de la Police qu’on veut proscrire. C’est comme si on interdisait à la population d’utiliser la VAR contre les policiers… Si la VAR présente quelques problèmes, elle a au moins été instaurée sur le terrain dans l’objectif d’avoir un peu plus de justice. Et bien c’est pareil dans l’espace public, quand on utilise notre téléphone pour filmer, on met l’accent et on dénonce certains dérapages. Et nous voudrions seulement qu’ils ne se reproduisent plus.

Pensez-vous qu’on enferme les supporters dans des cases et qu’ils font l’objet de pratiques et expérimentations pour construire une législation plus tenace ?

Oui bien sûr, on l’a vu ces dernières années, et c’est sans compter le mépris de certains à l’égard des supporters qui s’additionne à tout cela. On s’en fiche de restreindre leurs libertés à la vue de tout le monde. Ces gens-là, qui prennent ces décisions, se pensent supérieurs aux fans de foot parce qu’ils ont lu trois bouquins dans leur vie. Qu’ils aient lu Oui-Oui ou l’œuvre de Maupassant, c’est du pareil au même hein. On dépeint les supporters comme des ivrognes, des fous, « des beaufs » et c’est insupportable. On n’en a que faire de leurs droits, on s’en tape ! Ce n’est pas possible d’agir ainsi. Et il en est de même pour les footballeurs d’ailleurs quand on rappelle avec dédain « qu’ils ne courent que derrière un ballon pour quelques millions ».

Je mets au défi ces personnes d’être présentes à chaque entraînement et de s’y tenir. Chacun son domaine, chacun sa forme d’intelligence. Aucun footballeur ne s’est permis de mépriser d’illustres intellectuels parce qu’ils mangent nombre de bouquins et qu’ils seraient à l’inverse incapables de courir 90 minutes, sans même parler de mettre un but. On en revient encore à ce mépris de classe, dont a souffert par exemple Franck Ribéry au cours de sa carrière. Ils sont tous moqués. Et le danger il est bien là, tant que l’on méprisera ces personnes, des mesures insensées, on en retrouvera encore. On a complètement déshumanisé les joueurs et les fans.

Le député LREM Sacha Houlié nous disait récemment que les supporters n’ont pas à être traités comme des terroristes. Vous le rejoignez ?

Oui, on les criminalise trop souvent malheureusement. On préfère utiliser tout un arsenal répressif plutôt que d’user de pédagogie, plutôt que d’encadrer. Il n’y aucune raison de les réprimer de la sorte. Je pense que le député voulait faire le parallèle avec les lois toutes plus répressives et insensées les unes que les autres pour lutter contre le terrorisme, alors que le code pénal et le code de procédure pénale contenaient déjà toutes les mesures nécessaires. Il ne faut pas de nouvelles lois, mais bien des moyens pour les mettre en application. On espérait que notre nouveau Garde des sceaux ouvre les yeux de nos personnalités politiques sur le manque de moyen et l’existence de lois déjà très répressives. Mais bon, on ne peut tout avoir. 

Comment faire alors ? Par exemple, le Parc des Princes, que vous avez fréquenté, a été le théâtre de décisions politiques âpres et du fameux plan Leproux après une série d’évènements tragiques. Mais n’y avait-il pas d’autres moyens que d’assainir le Parc en éjectant d’un coup d’un seul 13 000 abonnés pour punir les agissements de quelques-uns ?

Je ne sais pas si ma réponse va être intelligente. J’évoquais ces rivalités dans le foot et elles en font partie intégrante, avec leurs excès malheureusement. Mais il ne faut pas nier non plus le fait que certains petits groupes, apparentés notamment à la tribune Boulogne, sévissaient énormément. Que ceux-là soient chassés, ça ne me dérange pas, évidemment. Et c’est plus compliqué qu’il n’y paraît de trouver le ou les fauteurs de trouble en question. Je comprends donc dans l’absolu qu’ils se soient sentis contraints, dans un premier temps, d’agir ainsi. Le problème encore une fois, c’est que cette mesure, temporaire à la base, a duré des années (six ans, NDLR). Qu’ils nous expliquent l’intérêt de l’avoir faite durer si longtemps ! C’est à eux de faire ce travail. Le plan Leproux aurait dû être une simple mesure de transition. Il y avait sans aucun doute une volonté politique derrière pour l’étendre si longuement, sans oublier les velléités de pouvoir de certains. Et il y a eu des « sacrifiés » dans cette histoire, assurément.

Pour finir sur une note positive, il reste tout de même un peu d’espoir, n’est-ce pas ?

Bien sûr (rires). Quand je pense aux actions de quelques personnes, il y en a. Et je pense particulièrement à un ami, Assane Thiam, qui est très investi sur le terrain. Avec des proches, il a monté une association, « LE MONDE FC », laquelle est notamment sponsorisée par Adidas. Ils prennent en charge 40 élèves de collèges de la ville de Nanterre et leur proposent des cours de soutien scolaire, en plus de les entraîner intensément au Five de Bezons. Ils leur font découvrir les métiers en lien avec le monde du foot. J’invite tout le monde à suivre ce beau projet qui allie football et projets sociaux sur les réseaux. Ils sont vraiment admirables, ils méritent qu’on les soutienne. C’est aussi ça la banlieue et c’est aussi ça le foot.

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