Le futur Stade Bauer, ou le difficile équilibre entre utopie et Réalités
Après plusieurs années d’attente et de tergiversations, le Stade Bauer devrait être rénové à l’horizon 2024. La ville de Saint-Ouen et le Red Star ont annoncé le 23 octobre un accord pour la rénovation du stade, sur la base du projet présenté par l’entreprise Réalités. Mais la réalisation s’annonce complexe, entre un club qui construit et valorise son altérité, et un projet urbain standardisé.
À Saint-Ouen, le Stade Bauer tient une place spéciale dans le cœur des habitants et des supporters du Red Star. Ce club historique fondé en 1897 s’est installé en 1909 au Stade de Paris, le nom officiel du Stade Bauer, après avoir été chassé du terrain de Grenelle par la mairie de la capitale. Cette enceinte, c’est avant tout une architecture marquante. Un stade dit « à l’anglaise », rectangulaire, avec des tribunes très proches du terrain. Des tribunes, en l’occurrence trois, et un immeuble, en forme d’escalier, qui prend place derrière un but et traduit la proximité du stade avec son environnement.
Un stade historique
Mais le Stade Bauer dépasse le seul équipement sportif et le seul football : il représente l’identité même du Red Star. Construit sur d’anciens jardins ouvriers, dans le centre-ville de Saint-Ouen où les usines s’installent dans l’entre-deux guerres, il est en pleine « banlieue rouge ». Au cœur de la Seine-Saint-Denis, le Stade Bauer et le Red Star portent une image populaire, mais aussi un engagement politique : ceux de Jean-Claude Bauer et de Rino Della Negra, respectivement résistant et joueur du club, tous deux fusillés durant la Seconde Guerre Mondiale.
Pour Nicolas Kssis-Martov, journaliste à So Foot, la spécificité du stade réside dans deux dimensions, son territoire et son histoire : « Le fait d’avoir un stade en pleine ville, c’est rare, et là il y a une identité double : c’est un des plus vieux clubs français, historique, et on a l’image d’un club de banlieue nord, populaire. Il y a quelque chose de singulier dans ce stade ».
Si le Red Star et ses supporters portent fièrement cet héritage historique et politique, Bauer porte pour sa part le poids des années. Vétuste, il n’est plus homologué pour accueillir les matchs organisés par la LFP. Les récentes montées en Ligue 2 du Red Star ont été ternies par une délocalisation forcée des matchs à domicile : lors de sa dernière saison au deuxième échelon, en 2018-2019, le club s’est exilé à Beauvais, à 80 kilomètres de Saint-Ouen.
Seulement voilà, la rénovation du Stade Bauer revient régulièrement dans le débat, sans pour autant se concrétiser. Le Collectif Red Star Bauer a produit en 2012 un projet de rénovation du stade et du quartier, sans concrétisation. Des études produites en 2015 et 2016 ont estimé le montant des travaux, mais les écarts de chiffrage n’ont pas permis l’émergence d’un consensus politique sur le projet à privilégier. Lassés de s’exiler sans perspective d’avancée au sein du club, les supporters réunis au sein du collectif ont lancé en 2016 un financement participatif pour une étude complémentaire sur les travaux. Sans plus de succès.
La construction d’un projet de club audonien
Si cet enjeu prend de plus en plus de place dans l’actualité du Red Star, c’est que sa direction est engagée dans la structuration d’un projet global, dont le stade est un axe majeur. Selon Luc Pontiggia, Directeur Général du Red Star, le stade « ne doit plus être un frein au développement sportif du club », comme il a pu l’être lors des dernières saisons passées en Ligue 2. L’identité « à part » du Red Star et du Stade Bauer est aussi cultivée par le président Patrice Haddad. « L’ambiance est une des plus-values du club, il y a ce côté historique et des supporters subversifs, explique Nicolas Ksiss-Martov. Notamment dans le marché du football où il faut se distinguer, forcément dans toutes les cultures de masse, il y a une quête de distinction, comme dans l’art, et on cherche des choses qui sont plus authentiques ».
Pour renforcer cette spécificité du club, la direction n’hésite pas à investir localement, de sorte à renforcer son ancrage en Seine-Saint-Denis. Ainsi, le Red Star a lancé un projet de centre de formation sur le site de Marville, à La Courneuve, un territoire fortement marqué par sa dimension populaire. Mais dans une logique d’héritage du modèle fondé par Jules Rimet, le club a également développé un programme intitulé « Red Star Lab’ » qui vise à former, au-delà de simples joueurs de football, des citoyens à part entière. Le slogan du programme « Travailler le corps, éveiller l’esprit » traduit la volonté du club de porter un projet social à destination de ses licenciés, en particulier des plus jeunes.
Au Red Star, le football est un moyen, et non une fin. Le stade, le centre d’entrainement et le futur centre de formation doivent être selon Luc Pontiggia « un poumon du club et des acteurs du territoire, un lieu d’expression sportif, mais également économique, social et culturel, ouvert sur la ville ». Pour Nicolas Kssis-Martov, cette politique vise à renforcer la spécificité du club, en montrant son altérité : « Il y a Red Star Lab, il y a quelqu’un qui vient du monde de la communication, il n’a pas repris un club artificiel, et les projets « hors-football » c’est aussi pour créer un public. Il construit un environnement autour du club, sur l’art, et donc on investit autrement que dans le club stricto-sensu. C’est l’idée que le football n’est plus seulement un sport, et pour faire des affaires il ne faut pas être borné. Si on veut que le produit marche, à savoir le club, il faut travailler autour. »
Un projet urbain très standardisé
En 2018, la rénovation du Stade Bauer est intégrée à l’appel à projets « Inventons la Métropole du Grand Paris » , qui centralise l’ensemble des territoires à la dynamique de la capitale par des programmes urbains. Ces appels à projets innovants représentent un moyen pour les acteurs de développer des « programmes privés d’intérêt collectif », réunissant un équipement public et un programme marchand.
Dans le cadre de la rénovation de Bauer, le projet retenu, présenté par Réalités, s’inscrit dans cette logique de programme privé d’intérêt collectif. Alors que le premier projet du groupe a été contesté par la précédente municipalité, le nouveau maire de Saint-Ouen, Karim Bouamrane, a présenté le 23 octobre, en présence de Patrice Haddad et de Yoann Choin-Joubert, président de Réalités, les grandes lignes du nouveau projet de rénovation du stade et de son quartier, en fixant l’horizon 2024.
Cette concentration spatiale et temporelle de projets urbains, portés principalement par des promoteurs immobiliers, laisse peu de place à l’innovation urbanistique. Ainsi, le format initialement présenté par Réalités proposait d’intégrer le Stade Bauer à un complexe urbain de 40 000 m², comprenant un centre commercial, un centre de santé ou une salle de concert. Cette programmation économique s’inscrit dans la logique récente de diversification des activités économiques autour des équipements sportifs, afin de faire vivre ces quartiers en dehors des périodes de match, s’inspirant à une autre échelle du Groupama Stadium à Lyon ou du Stade Vélodrome à Marseille. Mais si la volonté de diversification des activités au sein des quartiers se justifie, les service proposés restent extrêmement standardisées.
Cette standardisation s’explique également par les évolutions démographiques en cours sur la commune de Saint-Ouen, et plus globalement sur le territoire de Plaine Commune. La relative proximité de la commune avec la capitale et l’arrivée récente de la ligne 14 du métro – automatique et rapide – attirent de plus en plus de Parisiens fuyant les loyers mirobolants de la capitale. S’il semble prématuré de parler de gentrification à Saint-Ouen, les projets en cours visent très clairement à proposer une offre immobilière et commerciale correspondant aux attentes de futurs habitants issus de CSP +.
En novembre dernier, le nouveau maire Karim Bouamrane a lancé une consultation publique à destination des habitants sur la programmation du quartier, au-delà du stade. Plus de 2000 personnes y ont répondu, mettant en avant la volonté de réduire la dimension du projet urbain, en termes de surface mais également de dimensionnement et de capacité d’accueil du stade. Les répondants souhaitent aussi conserver un stade à l’anglaise, aménagé avec des murs en brique. Les commerces de proximité ont également été plébiscités, tout comme une librairie.
Quelle place pour l’altérité ?
Si l’on peut s’interroger sur l’impact réel de cette concertation, qui se déroule en ligne, pendant moins d’un mois, et qui permet aux habitants et usagers de se positionner sur des aspects annexes de la programmation, cette démarche permet à la commune de faire face aux critiques remettant en question la dimension participative du projet. De plus, celle-ci a montré son attachement à la culture et à l’histoire du Red Star en nommant une rue du quartier des Docks « Rino Della Negra ». Pour Nicolas Kssis-Martov, le projet représente un vrai enjeu politique pour Karim Bouamrane : « Il a repris la ville à la droite, c’est un socialiste, et il est supporter du Red Star, donc il y a un vrai enjeu pour lui de conserver ce stade ».
Justement, ceux qui investissent dans le club, ce sont les lauréats de l’appel à projets de la Métropole du Grand Paris, le promoteur immobilier Réalités. Ce groupe, déjà engagé dans le projet de YelloPark finalement abandonné par la Métropole de Nantes, ne souhaite pas voir un nouveau complexe urbain lui échapper. Et pour cela, il a convenu d’un partenariat innovant dans le monde du football : Réalités est entré dans l’actionnariat du Red Star et est devenu un partenaire majeur pour trois ans. Cette démarche traduit autant la volonté pour le groupe que pour le club de voir le projet urbain et le nouveau Stade Bauer enfin aboutir, en s’engageant dans un partenariat de longue durée. De plus, en complément de la rénovation du stade, le Red Star s’est également positionné sur le rôle social que celui-ci doit jouer dans le quartier, en étant accessible à tous.
Derniers acteurs de ce projet, les supporters du Red Star font également entendre leur voix. Ces derniers sont fortement engagés depuis les premières réflexions sur la rénovation du stade, et ont sollicité très rapidement le club et la mairie de Saint-Ouen pour s’assurer que le projet corresponde aux valeurs et à l’histoire du Stade Bauer. Le collectif « Red Star Bauer » a lancé une consultation auprès de ses membres, pour connaître leurs attentes. Les premiers résultats indiquent un refus du naming du stade, une mise à disposition de locaux, la possibilité de se déplacer dans le stade, appliquer une charte tarifaire ou encore disposer d’une tribune debout pour le kop. Les supporters se limitent ainsi à la dimension « supportériste » de leur activité, en ne se prononçant pas sur les aménagements urbains autour du stade.
Alors que le projet de nouveau Stade Bauer ressemblait depuis plusieurs années à un serpent de mer, l’élection de la nouvelle municipalité au printemps 2020 a permis de rabattre les cartes entre les différents acteurs. Le promoteur, les pouvoirs publics, le club et même les supporters semblent en accord afin de permettre au Red Star de disposer d’une nouvelle enceinte, permettant d’envisager sereinement la progression sportive du club. Reste toutefois à observer la façon dont ces acteurs combinent un projet urbain standardisé au sein d’un territoire et d’un club qui cultivent leur spécificité.