Sacha Houlié : « Le supporter de foot n’a pas à être traité comme un terroriste »

Député LREM de la Vienne, Sacha Houlié a fait de la défense des supporters l’un de ses principaux combats à l’Assemblée. Dans un contexte de répression du mouvement ultra, ce supporter de l’OM tente d’inverser la tendance. Avec Marie-George Buffet (PCF), il a remis en mai dernier un rapport sur les interdictions de stade et le supportérisme. Entretien.


Vous êtes député et membre du Commando Ultra de l’OM. Un député ultra, ce n’est pas très commun… Pourquoi Marseille, vous qui venez des Deux-Sèvres ?

Je ne suis pas membre du Commando ! Ils n’ont pas voulu de mon adhésion car je suis un homme politique. Je suis supporter de l’Olympique de Marseille depuis plus de vingt ans. Cela remonte à une soirée d’août 1998, lors d’un OM – Montpellier au Vélodrome. Mes parents m’avaient laissé devant la télé. J’étais un gamin qui n’avait pas le droit de regarder le foot normalement, et je tombe sur ce match où l’OM perd 4-0 à la mi-temps et finit par gagner 5-4, avec un penalty de Laurent Blanc à la dernière minute.

Cela m’a marqué, et j’ai suivi toute cette saison 1998-99 lors de laquelle l’OM se fait voler le titre par Bordeaux. Paris s’est un peu couché au Parc (les Girondins obtiennent le titre en battant le PSG lors de la dernière journée, NDLR) ! Et puis, on perd en finale de Coupe d’Europe contre le Parme de Cannavaro, Buffon, Crespo, Boghossian, Vieira…

Dans les sphères de pouvoir, on a parfois tendance à prendre de haut les supporters, à les réduire à des beaufs alcooliques. Or, il y a beaucoup de fans de foot parmi les élus à l’Assemblée nationale. Pourquoi les politiques renvoient-ils cette image de mépris vis-à-vis des supporters ?

On a construit la législation sur la base de l’expérimentation sur les supporters de foot. Regardez la loi de 2006 qui est une loi antiterroriste, ou la loi de 2011 de programmation de la sécurité. On a créé des mesures de police administrative interdisant l’accès au stade, qui sont prononcées par les préfets et qui ne sont destinées qu’aux supporters de foot. Elles ont ensuite été transposées sur la loi anti-casseurs, qui a été censurée par le conseil constitutionnel.

On a voulu enfermer les supporters dans des cases qui correspondaient à tout le monde. C’est facile de se dire que comme on a un comportement dans un stade qui peut conduire à l’excès, il y a toujours des problèmes ! En miroir, les supporters ont dit « vous nous prenez pour des beaufs ? on va vous montrer qu’on est même au-delà de ça ». Ce que l’on a voulu montrer avec Marie-George Buffet, dans le rapport que l’on a écrit, c’est que c’est monsieur-tout-le-monde ou madame-tout-le-monde qui est supporter de football, et qui n’a pas à être traité comme un terroriste.

Y a-t-il une méconnaissance du supportérisme à l’Assemblée nationale, qui pourrait expliquer les mesures répressives plutôt que de chercher à comprendre le supporter ?

Heureusement, de moins en moins. Avec le renouvellement du Parlement, de plus en plus de députés sont déjà allés en virage. Même dans les administrations, l’ex-patron de la DLNH (Division de lutte nationale contre le hooliganisme, NDLR), Antoine Mordacq, était un commissaire de police fan de foot, qui cassait cette image. Mais pendant très longtemps, dans la police, dans la justice et chez les politiques, il y avait une méconnaissance totale qui a conduit aux textes problématiques que l’on connait aujourd’hui.

Aujourd’hui, on essaie de lever les dispositions. On a rétabli le principe de liberté de circulation pour les déplacements, on a fait des préconisations pour alléger les interdictions administratives de stade, on a obtenu l’expérimentation des fumigènes… Des pas sont faits dans ce sens, et on va continuer pied à pied.

Justement, pourquoi criminalise-t-on autant les fumigènes en France ?

On était partis d’un postulat selon lequel ils étaient blessants. Avec Marie-George Buffet, on a essayé de voir si des accidents étaient survenus avec des fumigènes. La réponse est non ! Quand vous faites le tour des clubs, des associations de supporters et de ceux qui assurent la sécurité autour des matches, et que vous leur demandez le nombre de blessés en une année dans les stades, ils donnent des chiffres. Combien sont imputables aux fumigènes ou à des brûlures ? Zéro.

Pour autant, des mecs utilisent des fumigènes, alors que c’est interdit ! Il suffit de voir le dernier Saint-Etienne – PSG en décembre 2019, ou l’anniversaire des 120 ans de l’OM. Il n’y a pas de blessés, les gens savent les utiliser. Plutôt que de les interdire, il faut trouver un moyen de les utiliser de manière encadrée. Cette interdiction, c’est d’abord de la méconnaissance, mais aussi cette idée que le tout répressif doit prévaloir.

Cette logique prédomine depuis le drame de Furiani en 1992, et a été renforcée autour des événements du Parc des Princes en 2006 puis en 2010. On était vraiment à contre-courant, même si la dynamique a commencé à s’inverser en 2016, avant que je ne sois élu. L’Instance nationale du supportérisme, qui a réuni des gens autour de la table, a été créée, et on renverse désormais la vapeur, avec notamment la mise en place de tribunes debout à Lens, Saint-Etienne, Amiens, Sochaux ou Paris.

Une tribune debout au stade de la Licorne, à Amiens (© Laurent Rousselin-Amiens Métropole)

Vous dites « on », mais même au sein de votre majorité, ça n’a pas fait consensus. Par exemple, Edouard Philippe appelait à durcir les sanctions contre les supporters. Avez-vous dû sensibiliser votre majorité sur la question ?

Totalement ! Quand Edouard Philippe l’a dit au journal télévisé de TF1, mon sang n’a fait qu’un tour. Je me suis dit que l’on faisait tout l’inverse de ce que l’on devrait faire. J’en ai profité pour déposer des amendements sur les supporters, pour montrer que le dispositif était stupide. Ils n’ont pas été jugés recevables, mais c’est à ce moment que je tenais ma mission d’information avec Marie-George Buffet.

D’ailleurs, trois choses montrent qu’on a été entendus. D’abord, la circulaire Castaner, en octobre 2019, qui dit que le principe est le déplacement de supporters. Ensuite, l’annonce de Roxana Maracineanu sur l’expérimentation des fumigènes. Enfin, le travail que l’on a mené et qui a réuni tous les acteurs, des ligues aux supporters, au sein de l’Instance nationale du supportérisme. Le tout fait que l’on a posé les sujets, que chacun les connaît et que personne n’a été surpris par notre rapport. Cela a permis aux choses d’avancer vite, même si ce n’est pas assez pour beaucoup.

A priori, on retourne dans les stades en janvier, et on serait sur des jauges allant jusqu’à 30%. Pour le Vélodrome, cela ferait quasiment 20 000 places : on est bien au-delà des 5000 !

Avec la crise sanitaire, on n’a que très peu de recul sur cette circulaire Castaner. Pensez-vous qu’elle aura un réel effet ? Que demain, lorsque les stades seront plein, les parcages visiteurs le seront aussi ?

On a encore du boulot là-dessus. Ce dont j’ai pu me rendre compte, c’est qu’il y avait des choses pragmatiques à régler. Si vous allez au Parc des Princes, le patron de la sécurité vous dit qu’avant, le parcage était en J, et qu’il est désormais en A pour empêcher qu’il y ait une rencontre entre supporters, et donc des rixes. À Marseille, le préfet de police vous dit qu’il faut contourner le parc Chanot pour arriver au Vélodrome, et qu’à l’angle droit, s’il y a des bus de supporters adverses qui croisent d’autres supporters qui veulent en découdre, cela va poser problème. À Lyon, la tribune visiteurs a une contenance de 1 000 personnes, mais le parking visiteurs n’a été prévu que pour 200 personnes ! Merci, monsieur Jean-Michel Aulas ! À Saint-Etienne, vous faites descendre les supporters sous la tribune des Magic Fans de Geoffroy-Guichard…

Oui, cela va détendre les choses sur le principe, mais il faut trouver des aménagements locaux via les préfectures.

En début de saison, la fameuse jauge à 5 000 supporters par stade a été décriée. Vous proposiez de proportionner l’affluence à la capacité de l’enceinte. Pourquoi cela n’a pas été fait ?

Je vais vous dire la vérité : l’administration avait construit son modèle sur des jauges forfaitaires, en disant « si vous voulez introduire des jauges proportionnelles, nous devrons refaire tout notre édifice juridique, et comme nous sommes en crise nous n’avons pas le temps ». Bref, des mauvaises raisons. Par ailleurs, comme les situations sanitaires se sont dégradées, ils n’ont pas souhaité passer à des jauges proportionnelles.

Finalement, j’ai eu gain de cause. A priori, on retourne dans les stades en janvier, et on serait sur des jauges allant jusqu’à 30%. Pour le Vélodrome, cela ferait quasiment 20 000 places : on est bien au-delà des 5 000 !

Les supporters sont-ils promis à un bel avenir ? Va-t-on vers une harmonisation des relations entre instances et supporters ?

J’aimerais bien ! Mais tous les combats pour des droits ou libertés fondamentales ne sont jamais gagnés. Il faut continuer à se battre, et montrer ce qui se fait de bien. À Lens, les associations de supporters ont monté une bibliothèque coopérative. À Marseille, ils font des associations d’aides aux démunis. C’est aussi ça qu’il faut faire connaître.

Regardez la ferveur autour de l’OM sur les tifos, les banderoles… C’est une richesse, car ce sont des endroits où l’on peut s’adresser à des gens qui ont des difficultés sociales, scolaires ou administratives. Il n’y a pas forcément de raisons d’être très inquiets, mais il faut construire les raisons de notre optimisme.

Mais vous n’avez pas peur que cela se retourne contre vous au premier cas de violence ?

Pour tout vous dire, cela a déjà été fait ! On a remis notre rapport au moment des débordements entre Sainté et l’OM. On nous a dit : « vous voyez, on détend les choses et ça ne marche pas ! » Je leur explique qu’il s’agit d’un cas isolé, pour 30 déplacements qu’ils ont autorisé et qui se sont bien passés. Si vous voulez faire de la statistique, je peux leur expliquer que tout ce qu’ils ont fait permet de détendre l’atmosphère, et qu’ils ont évité trois mauvais cas en en autorisant 30 où ça s’est bien passé.

Vous êtes plutôt optimiste sur le futur des supporters. Mais depuis que les matches se jouent à huis-clos, on entend des bandes son dans les stades. Les clubs ont trouvé un moyen de « remplacer » les supporters. Est-ce que cela peut mettre en péril l’avenir des groupes ultras ?

C’est du factice ! Les joueurs ne se trompent pas, et je peux vous garantir que sur les billetteries, cette ambiance ne remplace pas les recettes pour les clubs. Par ailleurs, cela prive les gens de ce pourquoi ils vont au stade. Avant d’aller voir le match, beaucoup y vont pour retrouver les copains, chanter ou animer. C’est quelque chose que l’on ne remplacera pas, et c’est pour ça que je suis optimiste. Mais cet optimisme implique un combat et une mobilisation. C’est un optimisme de militant. C’est là que se joignent politique et supportérisme !

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Elio Bono

Papa de la famille FootPol. Amateur d'Italie, de bonne nourriture, de balle ovale et d'Espagne.