Julien Dive : « Le foot amateur n’est en aucun cas secondaire »

Député de l’Aisne, Julien Dive est passionné de football. Malgré un emploi du temps très chargé, le jeune élu Les Républicains (35 ans) est toujours licencié aux Ecureuils d’Itancourt, le club de son village. Se définissant comme « footballeur » jusque dans sa biographie Twitter, le fan de Steve Savidan se livre sur un foot amateur qu’il connaît par cœur. Entretien.


On schématise souvent le football comme un sport populaire, absent d’une certaine culture légitime dans les sphères de pouvoir. Pour autant, nombreux sont les députés passionnés de foot… Vous parlez souvent foot à l’Assemblée ?

Presque toutes les semaines ! Avec des collègues des Républicains, on a une boucle WhatsApp sur laquelle on partage nos avis sur la dernière sélection de Deschamps, la feuille de match contre la Finlande ou le Portugal. En revanche, je ne sais pas si on peut dire que les députés méprisent le sport. Beaucoup de députés ont pratiqué du sport amateur, certains professionnel. De l’intérieur, je vois qu’on a une fibre sportive, par attrait ou pratique.

L’entretien est à retrouver en version longue, sur le site de nos confrères de La Manita

Un député a-t-il le temps de suivre ce flot de compétitions ? Entre Ligue 1, Ligue des Champions et Ligue des Nations, ça n’arrête jamais…

C’est compliqué. On suit car des applications nous donnent des résultats, et le confinement nous donne quelques temps morts pour suivre le week-end. J’aime aller dans les stades, en kop où l’on sent l’âme d’un stade, et je le fais beaucoup moins depuis que je suis député. Je vais voir l’équipe que je supporte (Valenciennes, NDLR) au mois d’août et en fin de saison, car c’est là où j’ai moins d’activité. Entre les deux, c’est très complexe. Néanmoins, je me sacralise des moments avec la famille, mais aussi le dimanche matin pour faire des matches. Cela fait partie de mon hygiène de vie !

On évoque souvent une fracture entre le foot amateur et le foot professionnel. Pour vous, c’est une tendance aujourd’hui ?

Oui. Je n’ai rien contre les Qataris, c’est bien qu’on ait un club de haut niveau financier et sportif, mais je pense que cela a créé une rupture au sein même des clubs pros. Forcément, cela les éloigne encore plus du football amateur. Cela me fait penser à l’Angleterre, où vous devez presque vous saigner pour aller voir un match de Chelsea, Arsenal ou Manchester United car cela coûte excessivement cher. On se retrouve en tribunes avec des gens aisés, ou alors des personnes qui doivent faire un sacrifice. On observe d’ailleurs un regain vers les divisions inférieures, qui sont pour moi les plus beaux championnats. J’ai le sentiment que cette rupture s’est opérée à cause du fric qui tue le foot amateur. L’équipe première du club où je joue, dans mon village de 1000 habitants, est en Régional 1. En R1, on paie des joueurs ! C’est une dynamique qui peut tuer le football.

Vous développez l’exemple anglais, mais la même tendance est visible en France. Les droits TV sont éparpillés, les abonnements sont chers et les tribunes s’embourgeoisent. Pourquoi ne voit-on pas ce regain vers les championnats amateurs ? Les stades de National sont vides…

On n’a pas cette culture du sport amateur. La France a une culture football, avec énormément de licenciés et de clubs. Seulement, la culture anglaise est tournée vers le club de la ville ou du quartier, tandis que chez nous, tout est tourné vers l’Equipe de France, peut-être par un « effet 1998 ». On est tous supporters des Bleus, et on n’apporte pas la même ferveur pour la Ligue 1 ou les divisions inférieures. Tant et si bien que les stades de Ligue 2 sont vides, alors qu’on peut y voir du spectacle ! Certains matches finissent en 4-3 ou 5-4. On peut toujours revenir sur le déchet technique, mais vous avez le même en Championship ou ailleurs.

Le tableau du foot amateur n’est pas très joyeux, avec l’arrêt des compétitions qui engendre une perte des rentrées d’argent. Le foot amateur est-il en grand danger aujourd’hui ?

Des clubs risquent de mourir financièrement. Beaucoup de clubs, qui ne sont pas professionnels, sont structurés de manière professionnelle. Par exemple, des clubs de R1 comme le mien ont des salariés, comme des secrétaires ou des agents. Dans ma commune, les collectivités publiques jouent le jeu et apportent leur soutien, mais ce n’est pas le cas partout. D’autant que cela ne compense pas tout. Quand les matches ont repris à l’automne, les buvettes étaient fermées, ce qui diminue les recettes. Or, ces recettes permettent par exemple de financer les déplacements des arbitres, des joueurs ou des staffs.

Le modèle économique du foot amateur se base sur les subventions, la billetterie et le sponsoring. Beaucoup d’activités, comme les restaurateurs sont à l’arrêt, et les clubs sont plus réticents à demander une contribution cette année. Tout cela pénalise le sport amateur en général. Il y a une responsabilité, et des dispositifs fiscaux momentanés peuvent être mis en place. Par exemple, les dons sont déduis à 66%, et j’ai déposé un amendement, malheureusement refusé par le gouvernement, pour agrandir ce taux de remboursement à 75% pour permettre d’être plus attractifs pour les donateurs.

Dans mon club, on a mis en place une section pour accueillir des enfants en situation de handicap et favoriser l’insertion. Le gardien de mon équipe est sourd et muet, et joue contre des réserves d’équipes de Ligue 2 en R1, comme Chambly ! 

En ce moment, tous les secteurs sont touchés de plein fouet par la crise. Dans ce contexte, le foot amateur apparait-il comme secondaire ?

On peut le voir sous le prisme d’un monde associatif qui palie l’absence de l’Etat. Je vais faire un parallèle : dans le secteur du handicap, des associations accompagnent les parents des personnes en handicapées. Et heureusement qu’elles sont là, car c’est une absence de l’Etat qu’elles comblent ! Ces associations sont donc vitales. Le sport suit cette logique, et peut combler des manques éducatifs en véhiculant des valeurs positives, ou en termes d’inclusion avec le développement de la pratique féminine. Dans mon club, on a mis en place une section pour accueillir des enfants en situation de handicap pour favoriser l’insertion. Le gardien de mon équipe est sourd et muet, et joue contre les réserves d’équipe de Ligue 2 en R1, comme Chambly ! Le sport amateur n’est en aucun cas secondaire, il représente aussi des leviers économiques. Payer les déplacements des joueurs et des arbitres, ou consommer son sandwich à la fin du match, cela ruisselle dans l’économie.

Aujourd’hui, quels leviers législatifs peuvent être employés pour sauver le foot amateur ?

Certaines aides peuvent accompagner des projets, comme celui de l’inclusion. On peut aussi aider les collectivités dans le développement d’infrastructures, qui n’appartiennent pas aux clubs, sauf à Lyon. Dans le département de l’Aisne, il n’y a que 5 terrains synthétiques pour 500 000 habitants. Ce n’est pas assez. On peut aussi prendre des mesures réglementaires plus souples, comme la pratique collective ou individuelle du sport en temps de confinement.

Le plan de relance du gouvernement apporte une aide de 120 millions d’euros au secteur du sport. Est-ce quelque chose de suffisant ? Pensez-vous qu’il bénéficiera au sport amateur, ou qu’il permettra de compenser les pertes au niveau professionnel ?

Il faut évidemment sauver le sport professionnel, qui est la locomotive du train. Mais il ne faut pas oublier que, si on a des centres de formation compétitifs au niveau européen, il faut aussi des clubs amateurs qui tournent. Cette enveloppe doit être éclatée entre le sport pro et le sport amateur. Elle aurait pu être suffisante s’il n’y avait eu qu’un seul confinement. J’ai peur qu’avec ce deuxième confinement, elle ne soit largement insuffisante.

Professionnaliser le championnat de National, à travers une « Ligue 3 », peut-il être une solution ?

C’est de la cosmétique pour faire avaler un passage à 18 clubs en Ligue 1 et Ligue 2 ! Je ne suis pas certain que cela change grand chose. Les clubs de National sont déjà bien organisés, quasiment au niveau pro. Pour avoir côtoyé par le passé des présidents de National, comme à Chambly, Epinal ou Amiens, ce championnat est très complexe car il ne rapporte pas de fric. Il n’y a pas de droits TV. On pourrait par exemple offrir une vitrine au National en assurant une diffusion télé gratuite. Au passage, je regrette la disparition de la Coupe de la Ligue qui, malgré son hérésie au niveau du calendrier, offrait un spectacle gratuit.

Si l’on veut donner de l’attractivité au National, une proposition pourrait être d’y autoriser les réserves de clubs professionnels de Ligue 1. Elles sont aujourd’hui bloquées en N2, ce qui est un trop grand écart lorsqu’il s’agit de compenser une blessure dans l’équipe première. Cela marche comme ça en Espagne, et le championnat espagnol est hyper compétitif ! Cela pourrait aussi renforcer le spectacle.

Vous faites partie de l’Equipe de France des députés, qui représente une curiosité. Pourriez-vous nous la présenter ?

C’est Régis Juanico qui a lancé ça, avec une trentaine de personnes. Chaque année, on fait un match phare en septembre – sauf cette année – contre le Variété Club de France, où l’on prend des tôles monumentales ! L’an dernier, je suis même sorti car cela m’énervait trop ! On fait aussi des matches contre des journalistes ou des collaborateurs, et on est coachés par Guy Roux puis Gérard Houllier depuis cette année. C’est une équipe hétéroclite, avec des gens qui jouent bien au football, et d’autres pas du tout (rires). C’est très compliqué de jouer collectif avec des écarts aussi importants, mais ça reste sympa.

En plus des différences de niveau, se pose aussi la question des clivages politiques. Comment faire jouer Olivier Véran et François Ruffin ensemble ?

On fait abstraction des clivages. Une équipe reste une équipe, on a le même maillot. Mais ça ne nous empêche pas de chambrer après ! Je ne me souviens pas de Véran. Je me souviens surtout du secrétaire d’Etat Taquet (en charge de l’Enfance et des Familles, NDLR), passé par le centre de formation du PSG et qui est sans doute le meilleur. Ruffin est comme dans la vie politique, éparpillé ! Il est chiant car il ne reste pas à sa place et veut jouer partout (rires) ! Il court, il est endurant et franchement pas mauvais, mais il ne respecte aucune consigne. C’est le personnage !

Cette équipe a été créée en juin 2014, juste avant le Mondial au Brésil dans un contexte de réconciliation entre le public français et les Bleus. A l’époque, Le Figaro écrivait que l’objectif était de « montrer un autre visage de la politique par le football ».

Peut-être. Je n’y étais pas, puisque j’ai été élu en partielle en 2016 puis réélu en 2017. C’est certain que cela peut briser quelques tabous, même si ce n’est pas comme ça que l’on va améliorer l’image des élus.

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Elio Bono

Papa de la famille FootPol. Amateur d'Italie, de bonne nourriture, de balle ovale et d'Espagne.