Le football, un projet politique à Madagascar

L’exploit de l’équipe nationale malgache lors de la dernière CAN soulève l’espoir. À Madagascar, le football est devenu le symbole de la réussite sportive du pays. Depuis quelques années, ce sport se développe avec le soutien du gouvernement. Mais les affaires de corruption ternissent l’image d’un football en plein essor sur l’île.

Le 13 juillet 2019, les joueurs malgaches ont reçu un accueil triomphal à leur arrivé dans leur capitale, Antanarivo. Les Barea – surnom de l’équipe malgache – venaient de disputer pour la première fois de leur histoire la Coupe d’Afrique des Nations (CAN). En Égypte, les Malgaches ont fait sensation en se hissant en quart de finale. Un parcours historique pour ce pays du sud de l’Océan Indien, qui faisait figure de petit poucet. Après le tournoi, le président Andry Rajoelina, a décerné à chacun des joueurs une médaille de Chevalier de l’Ordre National, la plus haute distinction du pays.

Une professionnalisation des structures

Le succès de l’équipe nationale a insufflé un nouvel élan au football sur la Grande Île. Plusieurs stades sont en rénovation, dont le Stade National de Mahamasina dans la capitale, en travaux depuis janvier 2020. Sous l’impulsion du gouvernement malgache, le stade est rénové pour pouvoir accueillir jusqu’à 40 000 spectateurs, et sera renommé Stade Barea, tout un symbole. Cette rénovation était nécessaire pour satisfaire les exigences de la FIFA. Lors d’une visite en novembre 2019, son président Gianni Infantino avait déploré la vétusté des infrastructures, en particulier celle du Stade National de Mahamasina qui ne répondait à aucune norme internationale, les bousculades mortelles y étant fréquentes.

« Madagascar possède un incroyable talent de footballeur. Le parcours des Barea pour leur première CAN, cette année, a été magnifique et j’espère qu’en continuant de soutenir nos amis de la FMF (NDLR, Fédération malgache de football) et avec les encouragements du gouvernement malgache, les résultats seront encore plus positifs à l’avenir. » Gianni Infantino lors de sa visite officielle à Madagascar en novembre 2019.

Un des piliers du programme du président malgache est le velirano n°13 (promesse). Il prévoit un investissement public dans le sport, afin de faire rayonner la Grande Île à l’international. Véritable outil de soft power pour Madagascar, le sport, et plus particulièrement le football, permet de donner une image positive du pays à l’étranger. Le gouvernement surfe sur le succès des Barea à la CAN pour faire du football une priorité de l’agenda politique. Depuis son élection en 2019, Rajoelina a promis la construction d’une trentaine de terrains sur toute l’île. Le projet phare de ce programme va sortir de terre en 2021. Il s’agit de l’Académie Barea qui permettra à des jeunes joueurs de se former sous la direction de Nicolas Dupuis, à la tête de l’équipe nationale depuis 2016 ; le Français est aussi consultant du ministère de la jeunesse et du sport.

© @SE_Rajoelina / Twitter

Les infrastructures ne sont pas les seuls chantiers sur la Grande Île. Le développement du football local passe aussi par le renforcement du championnat national. Longtemps amateur, le championnat malgache a connu une évolution importante cette année. La donne a changé avec l’arrivée de l’Orange Pro League. Mise en place par la Fédération (FMF) et l’Association de football élite de Madagascar, cette nouvelle ligue marque une avancée majeure vers la professionnalisation du football dans le pays. Les douze meilleurs clubs du pays peuvent désormais évoluer dans une structure professionnelle, où les joueurs sont rémunérés.

Mais comme dans le reste du continent, la crise sanitaire de la COVID19 a forcé les instances à suspendre le championnat. Un manque à gagner pour les clubs malgaches, dont certains ne peuvent plus verser de salaires aux joueurs. La situation économique induit un ralentissement dans l’évolution de la nouvelle ligue qui conclut sa première saison avec un bilan mitigé. La prochaine saison débute le 9 janvier 2021, et elle sera l’occasion de repartir sur des bases plus sereines.

La relève arrive à grand pas

Le futur du football malgache est en bonne voie. Plusieurs jeunes joueurs commencent à s’imposer en Europe. Le gardien de but Mathyas Randriamamy (17 ans) est appelé à faire les beaux jours de la sélection nationale. Cette saison, il a été convoqué dans le groupe pro du PSG à trois reprises, dont deux fois pour la Ligue des Champions. Il a aussi été sélectionné avec les Barea lors des deux derniers matchs contre la Côte d’Ivoire, dans le cadre des éliminatoires à la CAN 2022. Cette année un autre espoir, Rémy Vita (19 ans), a signé au Bayern Munich. Une étape majeure dans la carrière du natif d’Alençon, qui pourrait choisir à l’avenir de porter les couleurs des Barea. Un dernier jeune est appelé à devenir le leader de la sélection. Titulaire au sein de la CNaPS Sports, club le plus titré du pays, Arnaud Randrianantenaina (19 ans) évolue encore au pays. Mais ses performances prometteuses avec les Barea U20 ont séduit le Grenoble Foot 38 qui est en pole position pour signer ce jeune attaquant de 19 ans.

Mathyas Randriamamy © PSG
Corruption et exil

Pendant que le football s’implante dans le pays, plusieurs polémiques ont terni son image. Dernièrement, le président de la Confédération Africaine de Football, Ahmad Ahmad, a été sanctionné par la commission d’éthique de la FIFA pour détournement de fonds. Comme le rapporte Le Monde, le dirigeant malgache vient d’être suspendu pour cinq ans par la FIFA. Un coup dur pour l’ancien ministre et président de la Fédération. 

Cette dernière est sous le feu des critiques depuis de nombreuses années. Mauvaise gestion et corruption ont empoisonné l’instance qui est lourdement endettée. D’après Jeune Afrique, la FMF a plusieurs centaines de milliers d’euros de dettes auprès de divers créanciers. Des frais d’hôtels impayés, des primes de match non versées, et une ardoise qui ne cesse de grossir, malgré les 570 000 dollars gagnés lors de la CAN 2019.

Raoul Arizaka Rabekoto © Madagascar Tribune

Par ailleurs, plus de 23 000 euros n’ont pas encore été réglés par la FMF à plusieurs prestataires pour l’organisation de la CAN. Cette information a été révélée par le coordonnateur sportif de la sélection, Sylvain Razafinirina. Une fuite qui n’a pas été du goût de la Fédération qui l’a licencié dans la foulée. Cette mauvaise gouvernance de la Fédération est symbolisée en la personne de son président, Raoul Arizaka Rabekoto.

En poste depuis août 2019, Rabekoto est soupçonné de corruption par la justice malgache. Il aurait détourné près de 25 millions d’euros entre 2009 et 2018, lorsqu’il était directeur général de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNaPS), l’institution en charge de la sécurité sociale. Convoqué en début d’année devant la justice, il s’est enfui du territoire, malgré une interdiction de sortie. Aujourd’hui en exil en Suisse, il est sous le feu d’un mandat d’arrêt international depuis septembre 2020 à l’initiative de la justice malgache ; un caillou dans la chaussure de la Fédération qu’il préside toujours.

Madagascar construit petit à petit l’avenir de son football. Loin d’être aussi populaire que la pétanque, le ballon rond a obtenu le soutien politique dont il avait besoin pour grandir sereinement, dans un pays fragilisé par les inégalités et les crises politiques successives. Prochain objectif dans quelques mois avec une nouvelle qualification pour la CAN 2022, et pourquoi pas une Coupe du monde dans la foulée.

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