Maradona – Castro, hasta la muerte

L’une des plus grandes légendes de notre sport vient de s’éteindre. À 60 ans, Diego Armando Maradona est décédé ce mercredi. Signe d’un joueur dont l’aura dépassait largement les terrains, « El Pibe de Oro » assumait ses opinions politiques. Lesquelles l’ont rapproché de Fidel Castro, dirigeant de Cuba de 1959 à 2008. Ironie de l’histoire, les deux hommes ont passé l’arme à gauche le même jour, un 25 novembre, à quatre ans d’intervalle. Récit d’une amitié puissante.

Eté 1987. Invité à Cuba par le journaliste Carlos Bonelli, Diego Maradona passait des vacances paisibles sur les plages paradisiaques du pays. Pour le numéro 10 du Napoli, il s’agissit de se ressourcer. Quelques jours auparavant, son Albiceleste pourtant championne du monde perdait en demi-finale de Copa América à domicile contre son meilleur ennemi uruguayen. Mais si le Pibe de Oro séjournait sur l’île, c’est qu’on lui a promis une rencontre avec Fidel Castro.

L’idylle a démarré le 28 juillet, comme le raconte Fernando Signorini, emblématique préparateur physique de l’Argentin et présent au moment des faits, pour Libero. « L’imposante figure de Fidel nous a reçu ornée d’un sourire chaleureux. Ensuite, l’entièreté de l’humanité de Diego a disparu de manière éphémère dans une énorme et affectueuse étreinte où il était tenu par ses longs bras ». Après plusieurs heures de discussions endiablées où il fut tout autant question de football que de politique, les deux hommes se quittèrent sur une dernière phrase de Castro : « mais alors, avant de tirer le penalty, je dois regarder le gardien ? ».

Péronisme et révolution

Retour au début des années 60. Des « pibes » (mômes) jouant à la balle sur les bords du Rio Riachuelo, les effluves de la décharge à ciel ouvert de la Quema dans l’air. Cette atmosphère difficile colle à la peau de Villa Fiorito. C’est dans ce faubourg populaire du sud-ouest de Buenos Aires que Diego Maradona naquit et grandit dans les années 1960. Les conditions de vie y étaient terribles. Pas d’eau courante, ni d’électricité pour des milliers d’Argentins venus des quatre coins du pays à la recherche d’un travail. Sur des terrains de fortune, « Pelusa », la peluche, en raison de ses cheveux ondulés, esquissait ses premiers dribbles chaloupés entre les cailloux et les verres de bouteille. De ses origines populaires Maradona avait coutume de dire qu’elles lui ont transmis le socialisme latino-américain. 

El Pibe de Oro (@RTVE.es)

Autre pilier de ses credos envers le socialisme : le péronisme. Un mouvement né au milieu des années 1940 autour de Juan Domingo Perón. Lui, el « pibe » de Villa Fiorito, s’est retrouvé dans les idéaux d’un mouvement qui défendait la justice sociale, la souveraineté politique et l’indépendance économique. Maradona est pourtant né dans une Argentine des années 1960 dirigée par des hommes qui entendent « dépéroniser » la société. Après une période trouble, Perón revint sur le devant de la scène l’année des 13 ans du gamin de Fiorito.

D’autre part, la prise du pouvoir à Cuba par Fidel Castro en 1959 le marqua profondément, jusque dans sa chair puisqu’il arborait un portrait de Che Guevara sur son épaule droite. Très engagé politiquement, el « Pibe de Oro » s’est toujours revendiqué de la figure de Perón en soutenant les présidences des Kirchner : Nestor (2003-2007) et Cristina (2007-2015), ouvertement péronistes. L’an passé, lors des élections présidentielles, il a de nouveau soutenu Cristina Kirchner au poste de vice-présidente. Il témoignait par la même occasion son désamour au président sortant, néo-libéral, Mauricio Macri…l’ancien patron de Boca Juniors auquel il s’était opposé en 1996 pour défendre les primes des joueurs. 

« El Che du sport »

Si Maradona avait un intérêt politique développé, Fidel Castro n’était pas en reste en matière de football. Pratiquant le baseball, sport national, le Lider Maximo s’est également essayé au football dans sa scolarité dans un collège jésuite. Ailier droit rapide et puissant selon ses anciens coéquipiers, Castro a conservé tout au long de sa vie un attrait, bien que limité, pour le ballon rond. Le dirigeant cubain savait combien le football était important comme outil de rayonnement, et souhaitait s’en servir pour inscrire son pays sur la carte du monde dans les années 1990.

C’est alors qu’il proposa à Guy Roux, en vacances à Cuba à l’été 1993 de prendre les rênes du football national. « Si tu acceptes de venir chez nous et qu’au bout de deux ans les jeunes Cubains commencent à se détacher du base-ball et du football américain, qui occupent principalement leurs loisirs, pour jouer au soccer, je te donne une île ». L’entraîneur auxerrois déclina poliment, mais l’épisode montrait un désir jamais exaucé de rendre la sélection cubaine compétitive.

Maradona et Castro étaient faits pour s’entendre, ils entretenaient une amitié profonde jusqu’à la mort. Chacun admirait le parcours, l’aura et le charisme de l’autre. Quand Fidel qualifiait Diego de « Che du sport », celui-ci se tatouait le visage du président cubain. Entre 2000 et 2004, lorsque l’Argentin frôlait la mort après plusieurs overdoses de cocaïnes, Castro l’accueillait dans un centre de désintoxication cubain. Les quatre ans passés par le D10S à Cuba ont permis aux deux hommes de se rapprocher. « J’ai vécu quatre ans à Cuba et Fidel m’appelait et à deux heures du matin on prenait un mojito pour parler de politique, ou de sport ou de ce qui se passait dans le monde et j’étais prêt à parler. C’est le plus beau souvenir qui me reste », déclarait Maradona à la mort de Castro.

Maradona, anti-impéraliste inspiré par son « second père »

Devenu animateur à la télévision argentine, Maradona a reçu en 2005 son ami Fidel en plateau. Un record d’audience au cœur d’une décennie marquée par les soutiens de l’ex-joueur aux dirigeants latino-américains de gauche. « Avec Fidel Castro, Chavez, Lula et Néstor Kirchner, je crois qu’on peut former une bonne alliance contre la pauvreté, la corruption et rompre la relation filiale avec les Etats-Unis », exprima-t-il au Venezuela en 2005 à propos des présidents vénézuélien, brésilien et argentin. Obnubilé par l’anti-impéralisme américain, Maradona s’est auto-désigné « soldat » de Nicolas Maduro et a rencontré Mahmoud Abbas, chef de l’Autorité palestinienne à la suite du Mondial en Russie.

L’émission la Noche del Diez, présentée par Diego

Le 25 novembre 2016, Diego apprit le décès de Fidel alors qu’il assistait à un match de Coupe Davis. Sitôt la partie terminée, le Pibe de Oro se rendit à Cuba pour honorer la mémoire de son « second père ». « Je veux être avec Raul, avec les enfants, je veux être avec le peuple cubain, qui m’a tant donné et dire adieu », déclara-t-il comme dernier hommage à son ami.

Leur dernière rencontre ? Trois ans auparavant, en 2013. Déjà affaibli, Castro avait laissé son poste de président à son frère en 2008. Un échange raconté par Maradona : « Quand je suis entré dans le salon, il s’est arrêté et il m’a dit : “Tu es venu pour me dire adieu, non ?” C’est ce qu’il m’a dit. « Non, maître, pas du tout ». Moi, j’ai commencé à pleurer. Ça m’a surpris, c’était comme si Del Potro m’avait envoyé un smash sur la poitrine. Que Fidel me dise que je venais lui dire adieu. « Non, maître », je lui ai dit. Je suis parti pour pleurer parce que peut-être qu’il avait raison ».

Fidel et Diego, c’est l’histoire d’une amitié hors-norme. Forcément mythifiée par l’aura de ses deux protagonistes, deux des plus grands personnages du XXe siècle en Amérique latine. Ensemble, il ont échangé, mais surtout, souffert. Au gré d’une relation développée dans les années 2000, alors même que les deux hommes étaient sur la pente descendante, l’on imagine fort des discussions revenant sur l’illustre passé. Que ces deux-là doivent déjà être en train de poursuivre, tout là-haut.

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