Romain Molina : « Qui va s’intéresser au gardien de l’Afghanistan ? »
Enquêteur et conteur d’histoires, Romain Molina aime passer en revue les coulisses du ballon rond. Après les agents dans « La Mano Negra », « The Beautiful Game » nous fait voyager dans les cinq continents, à la découverte d’authentiques terres de football. Morceaux choisis.
Romain, ton nouveau livre « The Beautiful Game. Foot, guerres et politique » (éditions Exuvie) est un conte géopolitique du ballon rond. Il y a les génocides, les dictatures, la pauvreté, la corruption, et malgré tout, le football…
Il y a en effet de cela. Les histoires que je raconte peuvent être tragiques, dramatiques, mais parfois joyeuses, simples, pures. Le football est une porte d’entrée sociale, culturelle, politique, historique absolument incomparable, c’est certain.
Je me suis pas mal inspiré d’un de mes livres favoris, « Thirty One Nil » de James Montague. Il avait plus ou moins parcouru le globe lors des qualifications pour la Coupe du monde 2014, et j’ai voulu faire quelque chose dans ce genre, en entrant plus dans le détail.
Dans cette mosaïque d’histoires et de témoignages, quel est le fil conducteur ?
Déjà, je te le garantis, c’est du contenu propre. Le but, ce n’était pas de faire du « Wikipedia + ». Les histoires, tu ne les as pas ailleurs ! À la base, je voulais faire un truc joyeux. Mais je me connais, j’ai peut-être une capacité à lire la noirceur d’âme. Ce devait être une suite de « La Mano Negra » (son précédent ouvrage, NDLR) pour terminer la trilogie sur le football comme objet de pouvoir. J’y voyais un axe de progression logique dans ce qu’est le foot aujourd’hui.
Au fur et à mesure de mon écriture, je me suis rendu compte que ce n’était pas si joyeux. Néanmoins, il y a un espoir à travers tous ces destins cabossés. Ces gens, on ne les connaît pas, donc mon but est de raconter leurs histoires. Qui va s’intéresser au gardien de l’Afghanistan, par exemple ? Je peux comprendre, pourtant il a une très grande histoire.
Ce livre est aussi un carnet de voyages, du Népal à Cuba en passant par le Yémen ou le Guatemala…
Il y a plus de soixante-dix témoignages. Je suis allé voir Pakistan-Cambodge au Qatar, le Yémen et l’Arabie Saoudite au Bahreïn, les exilés cubains à Miami… Ce n’est pas si dur d’avoir les contacts. Je travaille en ce moment sur l’Afghanistan, et c’est bien plus facile de discuter avec eux qu’accéder à un club de Ligue 2 !
Parce que le football français est opaque ?
La francophonie, c’est une merde absolue ! Je te donne un exemple concret. En Libye, du temps de Kadhafi, il y avait un gardien uruguayen naturalisé qui jouait dans l’équipe du fils Kadhafi. Je contacte un Uruguayen qui me donne un numéro de téléphone, puis un autre. Le mec était tout content de me parler, on discute assez longtemps.
Dans le même temps, je contacte deux personnes en Centrafrique, dont le père de Geoffrey Kondogbia. Pas pour parler de Kondogbia hein, mais de la Centrafrique en général. Le mec me met en « vu », ni « bonjour » ni « merde » ! De l’autre côté, des personnes que je connais ni d’Ève ni d’Adam, sur un sujet hautement plus politisé, me filent tous les contacts. Globalement, il y a un problème côté français.
Je travaille en ce moment sur l’Afghanistan, et c’est bien plus facile de discuter avec eux qu’accéder à un club de Ligue 2 !
Les autres ont été plus accessibles ?
Bien sûr. L’Amérique Latine, par exemple, est le continent le plus facile à travailler. Cuba, je ne dirais pas que c’est la maison, mais presque. Sauf ceux qui ont fui le pays à travers l’équipe nationale, ç’a été plus dur. Je me souviens d’un joueur, Adrian Osorio, qui a participé au festival de Toulon et s’est fait la malle dans un centre commercial de Marseille ! Il a erré pendant trois jours, s’est fait recueillir par des bonnes sœurs et a passé la frontière dans un coffre de voiture. Aujourd’hui, il vit sans papiers dans le nord de l’Espagne, quand même.
Si tu devais retenir un témoignage du livre ?
Je me souviens d’un joueur pakistanais, l’un des derniers amateurs au niveau international. Aujourd’hui, tout le monde a un club, surtout dans un pays comme le Pakistan. Lui il travaillait vraiment, à Apple Los Angeles. Quand il était au lycée, il n’était jamais pris dans les équipes tellement il était mauvais (rires). Mais à force de travail, il a réussi, et arrivent les qualifications pour le Mondial. Problème : la préparation dure un mois, et il n’a que deux semaines et demi de congés. Donc il grille sur les arrêts maladies, s’arrange avec ses collègues… et il part.
Match aller au Cambodge, il joue dix minutes et son équipe perd 2-0. Match retour au Qatar, il perd et n’entre même pas en jeu. En résumé, il a joué dix minutes, il a tout perdu et il part parce qu’il bosse le surlendemain. En plus, sur le trajet retour, il se retrouve bloqué par une tempête en Arizona, donc il met 48 heures à rentrer aux États-Unis. Il y a une pureté très touchante là-dedans.
Combien de temps as-tu passé à l’écriture de ce livre ?
J’ai mis du temps… La sortie a eu lieu quatre mois en retard, déjà. Je fonctionne toujours de la même manière : d’abord les témoignages, ensuite la retranscription, enfin l’écriture. Et encore, il devait y avoir plus de pays (les Philippines, la Nouvelle-Zélande). J’ai commencé les recherches il y a deux ans, et l’écriture m’a pris quatre bons mois. J’y ai mis de l’amour ! La moindre phrase, je l’ai polie.
On t’a connu d’abord plus proche du terrain, avec les biographies d’Unai Emery ou Edinson Cavani. Désormais, ce que tu aimes, c’est te servir du foot pour donner des clés de lecture du monde ?
C’est égoïste mais oui, j’aime faire ça. C’est bizarre alors que la mort rôde ici et là, sans savoir si c’est un écho du passé ou une promesse du futur. Parce que j’aime ce sport, j’aime le découvrir, être curieux, parler de choses différentes même si ce n’est pas très « grand public ». J’y passe un temps infini car c’est un vrai travail d’investigation. Ce n’est pas que du foot, c’est très profond.
J’y ai mis de l’amour ! La moindre phrase, je l’ai polie.
Tu révèles les omertas et les facettes sombres du football. En viens-tu à être dégoûté du milieu ?
De l’être humain parfois, mais il y a aussi des gens formidables. Moins, certes (sourire). Je vois des trucs abominables. Je ne prétends pas changer le monde, mais j’ai la volonté de changer des petites choses à mon échelle. Est-ce-que ça me dégoûte du milieu ? Quand je vois Leonardo ou Nasser parader en se faisant passer pour des gens bien, ça me donne envie de vomir, oui.
Et ton attrait pour les grandes équipes…
(Il coupe). Je n’ai jamais aimé les grandes équipes. Chez moi, c’était toujours l’outsider. Quand j’étais jeune, sur Football Manager, je ne prenais jamais de gros clubs. J’étais fasciné par les clubs les plus nuls, parce que je me reconnais dedans. J’ai joué à un niveau semi-pro en basket, et j’ai été champion de Gibraltar en partant de la dernière division départementale en France.
Ton club préféré, par exemple ?
J’ai une tendresse pour Queen’s Park FC, le plus vieux club écossais.
Un petit mot de la fin ?
« Keep the faith » (rires)
Propos recueillis par Corentin Rolland