Jacques Chirac : dernier amateur, premier supporter

Député, maire de Paris, Premier ministre puis président de la République, Jacques Chirac a incontestablement marqué l’histoire politique de la Vème République. Parallèlement aux différents mandats du Parisien de naissance, le football s’est incontestablement développé dans l’Hexagone, avec pour point d’orgue la Coupe du Monde 1998, organisée sous sa présidence sur le territoire français. Retour sur une relation particulière entre l’homme d’État et le ballon rond.

En préambule d’une finale historique entre la France et le Brésil au Stade de France, le speaker de l’enceinte dyonisienne scande le prénom des futurs champions du monde, attendant en retour que les 80 000 spectateurs hurlent le nom des héros. Au milieu de cette parfaite harmonie, un homme semble éprouver plus de difficultés que les autres à l’heure de réciter la leçon. Malheureusement pour lui, toutes les caméras du stade sont, ce soir-là, rivées sur son visage. Et pour cause, cet homme n’est autre que Jacques Chirac, élu président de la République voilà trois ans et qui semble par la même occasion découvrir le ballon rond.

Du dégoût du sport

Si ce court extrait a été en son temps commenté et moqué à maintes reprises, il faut admettre qu’il traduit d’une réalité criante concernant le rapport que Jacques Chirac entretenait avec le ballon rond. Inexistant ou presque avant l’évènement, le désintérêt éprouvé par l’ancien maire de Paris peut également être élargi à une grande partie des disciplines sportives. Élevé au sein d’une famille à forte tradition rugbystique et radical-socialiste, le jeune Jacques ne suit pas la voie que son père Abel lui inculque et préfère dédier son temps libre aux études et à son engagement militant. Comme le rappelle l’historien Patrick Clastres, quelques facteurs peuvent expliquer cette trajectoire. Sont cités, entre autres, la volonté de s’affirmer à contre-courant vis-à-vis de sa famille, ou le manque d’éducation sportive pour un jeune homme né en 1932 et dont la jeunesse a nettement été marquée par la Seconde Guerre mondiale. Alors que son père consacrait une partie de ses dimanches à suivre des matchs de rugby à la radio, Jacques Chirac privilégiait la visite des musées parisiens.

C’est de cet attrait pour la culture, en particulier orientale, que naît son seul véritable amour sportif : le sumo. Régulièrement moqué pour cette passion peu commune en Europe occidentale – par Nicolas Sarkozy, entre autres –, M. Chirac porte, plus qu’un simple intérêt, une véritable admiration pour les sumotoris. L’organisation d’une compétition au Palais omnisports de Paris-Bercy quelques semaines après son élection en 1995 traduit ainsi parfaitement ce sentiment vis-à-vis d’un art alors largement méconnu en France. Si l’ancien président de la République ne manquait pas d’évoquer le sumo au cours de nombreuses interventions médiatiques, l’entendre parler de ballon rond en présence ou non de micros restait exceptionnel. 

L’admiration de Jacques Chirac pour le sumo ©NEBINGER/SIPA

Dans les faits, ses allocutions en rapport avec le football étaient, dans l’énorme majorité des cas, liées de près ou de loin à la Coupe du Monde 1998. Dix ans plus tôt, et alors qu’il n’était « que » Premier ministre, M. Chirac annonçait fièrement à Dijon que le mondial allait se dérouler dans l’Hexagonenon seulement j’y ai pensé, mais c’est réglé : elle aura lieu en France »). Une jubilation assez prématurée, quand on sait que la décision finale ne fut rendue par la FIFA qu’en 1992. Mais Jacques Chirac était un calculateur, et il s’imaginait déjà vêtu du costume présidentiel en 1998, prêt à organiser un événement d’envergure mondiale. 

L’organisation du Mondial validée par la FIFA à Zurich en 1992 conjuguée à son élection à la présidence de la République le 7 mai 1995 mettent le plan sur de bons rails. Mais le nouveau chef de l’État sait désormais que le plus dur reste à faire : il doit, coûte que coûte, se montrer à la hauteur d’une compétition attendue par la planète entière. Pour masquer son flagrant manque de connaissance sportive – la bourde face au handballeur Jackson Richardson est alors dans toutes les mémoires –, le président Chirac décide d’inscrire le ballon rond au cœur d’un voyage présidentiel en Amérique Latine en 1997. À cette occasion, son passage en Bolivie fait office d’échange de bons procédés : alors que l’État andin est l’un des seuls à ne pas s’indigner face à la volonté de la Jacques Chirac de reprendre les essais nucléaires, celui-ci demande à la France de l’aider dans un conflit qui l’oppose à la FIFA. L’instance internationale empêche en effet à la Bolivie de disputer ses matchs à domicile dans son stade de La Paz, situé à plus de 3 600 mètres d’altitude. Le président de la République française est reçu en grande pompe en Bolivie, et se voit remettre le titre de « Grand Condor des Andes » par son homologue sud-américain, en compagnie de Michel Platini. Acclamé par 45 000 spectateurs, Jacques Chirac démontre à cette occasion que, si son intérêt pour le football reste très limité, il sait parfaitement jouer de cet élément pour améliorer son image et celle de la France.

Le Mondial 1998 comme bouffée d’oxygène

Passée la mise en bouche, le président de la République se lance à l’assaut du grand défi du Mondial 1998. Afin d’appréhender au mieux l’évènement, celui-ci décide à partir du printemps 1997 de s’entretenir une fois par mois avec Aimé Jacquet. Dès cette période, et alors que l’équipe de France est dans la tourmente sportive et plongée dans un criant déficit d’image, Jacques Chirac est l’un des premiers à croire en un éventuel succès. Fortement marqué par son échec stratégique consécutif à la dissolution de l’Assemblée nationale en avril 1997, peut-être trouve-t-il un peu de répit en partageant son sort avec un sélectionneur dont le moindre choix est systématiquement contesté. 

Le « Président », le Président et la Dèche ©Reuters

Progressivement, il se rapproche du groupe France, au point de régulièrement dîner avec les joueurs. Quand Laurent Blanc évoque un Chirac qui « fait partie du groupe », on comprend l’importance que revêt la présence du chef de l’État pour les coéquipiers du « Président ». Jacques Chirac assiste à tous les matchs des Bleus depuis les tribunes, et ne manque pas de rendre visite aux joueurs dans les vestiaires dès que l’occasion se présente. Omniprésent dans les médias, le président de la République rend très souvent hommage à l’équipe de France à travers quelques phrases simples qui semblent masquer son manque de connaissance du sujet. Le contraste avec Lionel Jospin, son Premier ministre, est alors criant : infiniment plus connaisseur que son rival, le socialiste se montre malgré lui plus en retrait du groupe et ne bénéficie pas d’un capital sympathie égal à celui du président de la République. Ce dernier, en revanche, semble avoir réussi son objectif : s’assurer une forte augmentation du taux d’opinion favorables à son égard. Et alors qu’il surfe sur la vague victorieuse en décorant les Bleus de la légion d’honneur, des sondages post-mondial montrent que près de deux tiers des Français lui accordent leur confiance.

« Ça siffle ? Je m’en vais ! »

Passé cet engouement soudain pour le football qui, s’il fut assurément sympathique, n’en resta pas moins artificiel, le président de la République se tient plus en retrait des affaires sportives. Il se contente de recevoir les champions d’Europe 2000 à l’Élysée, et de remettre la Coupe de France en main propre aux capitaines vainqueurs, comme le veut le protocole.

Pour autant, le Lorientais Jean-Claude Darcheville aurait très bien pu ne pas recevoir le trophée des mains du chef de l’État après la victoire des Merlus face à Bastia en 2002. Exaspéré par les sifflets de quelques supporters corses lors de la Marseillaise, Jacques Chirac retarde le coup d’envoi du match et menace à plusieurs reprises de quitter le Stade de France. Tout rentre finalement dans l’ordre, mais le président de la République montre que, même dans une enceinte sportive et alors qu’il a su par le passé se rendre sympathique aux yeux de la France du football, aucun dérapage ou manquement aux « valeurs de la République » n’est toléré. Le contexte politique autour d’un match disputé le 11 mai 2002, quelques jours seulement après la réélection de M.Chirac face à Jean-Marie Le Pen, explique en grande partie l’intransigeance dont il fit alors preuve. 

La colère de Jacques Chirac face à Claude Simonet, président de la FFF © Le Point

À la fin de son second mandat (2002-2007), on dénombre bien moins d’interventions publiques liées au football. En revanche, son discours prononcé à la suite de la finale de la Coupe du Monde 2006 (« Cher Zinédine Zidane, vous êtes un virtuose, un génie du football mondial ») démontre que le président Chirac, même fatigué, sait ce qu’il doit à l’équipe de France. Déjà très bas dans les sondages d’opinion, il ne parvient pas à mettre à profit le superbe parcours des hommes de Raymond Domenech. Préparant sa sortie en mai 2007, il n’évoque plus une seule fois publiquement l’actualité footballistique.

Ses trois successeurs – Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron – ont tous un rapport très particulier avec le ballon rond. Se définissant supporters et automatiquement rattachés à une équipe – respectivement le Paris Saint-Germain, Rouen et Marseille –, ces derniers se démarquent très nettement de Jacques Chirac qui n’éprouvait aucune passion pour le ballon rond mais qui savait, de manière ponctuelle, mettre le football à profit pour servir ses propres intérêts. Et c’est sans doute cette insouciance, cette proximité avec les joueurs et la joie exprimée au soir du 12 juillet 1998 qui ont permis au « président de tous les Français » de conserver une image positive – considéré comme le « président le plus aimé de la Vème République » avec 33% d’opinions favorables, devant François Mitterrand et Charles de Gaulle – et de bénéficier d’autant d’hommages en ce 26 septembre 2019.

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Elio Bono

Papa de la famille FootPol. Amateur d'Italie, de bonne nourriture, de balle ovale et d'Espagne.

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