Corée du Nord – Corée du Sud : le match du souvenir et de l’espoir

Le 15 octobre dernier avait lieu, dans le cadre des qualifications pour le Mondial 2022, un match opposant la Corée du Nord à la Corée du Sud, dans le stade Kim Iisung de Pyongyang, capitale nord-coréenne. Une rencontre qui s’est déroulée à l’abri des regards et des médias : la Corée du Nord a décidé au dernier moment qu’elle se jouerait à huis clos. En revanche, le président de la FIFA Gianni Infantino était bien présent pour cet instant historique. La partie s’est soldée par un score nul et vierge inespéré pour les Coréens du Nord, tellement l’écart de niveau entre les deux sélections est important. Même si l’enjeu sportif était important – les deux sélections étaient alors en tête de leur groupe de qualification avec le même nombre de points –, il semblait impossible de faire abstraction du contexte politique qui entourait ce match.

Une rencontre qui témoigne de l’Histoire de ces deux « frères ennemis »

La Corée du Sud et la Corée du Nord sont en guerre depuis 1950. Ainsi, il s’agissait uniquement de la deuxième rencontre entre ces deux pays sur le territoire nord-coréen. D’où son caractère inédit. Le plus souvent, ces deux sélections se sont affrontées sur terrain neutre, notamment en Chine.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la Corée est un cas unique : elle n’appartient ni aux puissances de l’Axe, ni aux puissances alliées. Les Soviétiques occupent le Nord et les États-Unis le Sud. Jusqu’alors occupée par l’Empire japonais, la conférence de Moscou reconnait son indépendance en décembre 1945. Les décisions prises lors de la conférence de Yalta en février 1945, comme la tenue d’élections générales ou l’existence d’un gouvernement démocratique, doivent être appliquées. Cependant, les tensions grandissantes entre l’URSS et les États-Unis interrompent le processus démocratique.

En 1948, la péninsule coréenne est ainsi composée de deux pays idéologiquement opposés. Au Nord, la République démocratique et populaire de Corée est soutenue par l’URSS et la Chine. Au Sud, la République de Corée est soutenue par les États-Unis et les Nations-Unies. Cette situation va être utilisée par Staline pour alimenter la guerre froide. Selon le juriste et chercheur en polémologie David Cumin, « le calcul de Staline était le suivant : si les États-Unis ne réagissaient pas à une invasion du Sud, la péninsule serait réunifiée, et Washington essuierait une retentissante défaite politique et morale, d’autant plus que l’État sud-coréen avait été créé sous l’égide des États-Unis et des Nations unies. S’ils réagissaient, ils seraient tenus en échec militairement, et leur crédibilité diplomatique serait ruinée ». Ainsi, le 25 juin 1950, la Corée du Nord envahit la Corée du Sud. Après de nombreuses batailles, des territoires détruits, et environ 800 000 militaires et 2 millions de civils tués, l’arrivée au pouvoir de Dwight Eisenhower en janvier 1953 aux États-Unis marque la fin des combats. Ce dernier laisse entendre qu’il pourrait utiliser la bombe nucléaire, et, face à cette menace, Staline prend la décision de mettre fin au conflit le 28 février 1953. L’armistice, encore en vigueur aujourd’hui, est signée le 27 juillet 1953. Pour autant, elle ne signifie pas nécessairement la fin de la guerre. Aucun traité de paix n’a encore été signé entre les deux pays.

Le contexte politique entre ces deux frères ennemis explique donc l’absence totale de match de football entre les deux sélections pendant des années. Maintenant qu’elles peuvent s’affronter, la différence de niveau apparait comme flagrante. La Corée du Sud est 46ème au classement FIFA et possède à son palmarès une médaille de bronze aux Jeux olympiques de 2012 et deux Coupes d’Asie des nations. Elle compte également dans ses rangs un des meilleurs joueurs du monde actuellement, Heung Min-Son, classé 22ème du dernier Ballon d’or. Le dernier coup d’éclat de la sélection remonte à la Coupe du Monde 2018 et à sa victoire 2-0 face à l’Allemagne, championne du monde en titre, malgré une élimination au premier tour. À l’inverse, la Corée du Nord dispose d’une sélection au niveau limité, 116ème au classement FIFA, et qui n’a jamais rien remporté. Sa meilleure performance remonte au Mondial 1966, lorsqu’elle avait éliminé l’Italie en phase de poules avant de tomber avec les honneurs en quart de final face au Portugal d’Eusebio. Les différentes politiques sportives et le manque d’ouverture expliquent sans doute le retard des Nord-coréens vis-à-vis de leurs voisins sudistes.

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Un match représentatif de la situation actuelle

On observe depuis peu un rapprochement entre les deux États. À ce titre, l’année 2018 a été historique avec deux éléments majeurs. Premièrement, un sommet intercoréen a eu lieu le 27 avril, durant lequel les deux dirigeants, Kim Jong-un et Moon Jae-in se sont rendus dans la « Zone de sécurité conjointe » à Panmunjeom, endroit où a été signé l’armistice de 1953. Chacun des deux présidents a ainsi pénétré sur le territoire voisin. Un évènement historique, puisqu’il s’agissait de la première visite d’un président nord-coréen en Corée du Sud depuis la fin de la Guerre.

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L’illustration concrète de ce rapprochement avait eu lieu quelques mois plus tôt, lors des Jeux olympiques d’hiver de 2018 à PyeongChang en Corée du Sud. Durant cette édition, les deux Corées ont défilé ensemble lors de la cérémonie d’ouverture et ont participé à l’épreuve féminine de hockey sur glace avec une équipe rassemblant des sportives du Nord et du Sud. Comme bien souvent, le sport a servi les relations diplomatiques entre pays. 

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En revanche, l’année 2019 fut beaucoup moins joyeuse, à l’image de ce fameux match du 15 octobre. Il suffisait d’écouter les joueurs à l’issue de la rencontre pour deviner la tension qui régnait autour de l’évènement. « Le match était très agressif, et rentrer sans être blessé est un exploit (…) les Nord-Coréens étaient vraiment à cran. Il y avait beaucoup de sales insultes », déclarait ainsi le capitaine sud-coréen Heug-Min Son. Pour M. Choi, vice-président de la fédération de football coréenne, « c’était comme à la guerre ». Le match a été en effet beaucoup plus agressif que spectaculaire, même si seulement quatre cartons jaunes ont été distribués. Le faible nombre d’occasions de but témoigne d’ailleurs de la médiocrité de cette partie sur le plan technique.

Cette situation reflète bien le contexte actuel. Depuis cet été, la tension est de nouveau présente entre les deux pays de la péninsule. Le rapprochement militaire entre la Corée du Sud et les États-Unis n’a pas plu à Kim Jong-un, qui a décidé en guise de provocation et d’intimidation d’effectuer deux tirs de missiles dans la mer du Japon. D’autant plus surprenants qu’ils sont intervenus juste après une déclaration du ministre des affaires étrangères nord-coréenne Choe Son-hui, qui ouvrait la possibilité d’une rencontre avec les États-Unis : « Nous voulons nous retrouver en face à face avec les États-Unis à la fin de septembre, à une date et en un lieu dont nous pouvons convenir ». Par ailleurs, le pouvoir nord-coréen avait déclaré cet été : « Nous n’avons plus rien à discuter avec les autorités sud-coréennes et nous n’avons aucune intention de nous réunir de nouveau avec elles ». La volonté d’écarter la Corée du Sud paraît ici assez claire et fait s’éloigner l’espoir d’un rapprochement concret.

Le football est un merveilleux miroir du contexte politique coréen. Si cette rencontre symbolise la volonté des deux Corées de se rapprocher après des années de guerre et de conflit, ce rapprochement reste néanmoins extrêmement fragile. Cependant, le football peut jouer un rôle actif dans ce processus. Le match retour est programmé le 4 juin 2020 à Séoul. Il est impossible de prévoir quel sera le contexte politique, mais une chose est sûre, les deux équipes devront impérativement s’imposer dans la mesure où, aujourd’hui, seulement un point les sépare au classement.