Giscard et le football, quand le ballon sert le politique

En juin 1973, Valéry Giscard d’Estaing, ministre de l’Économie et des  Finances, chausse les crampons. C’est à Chamalières, petite cité du Puy-de-Dôme dont il est le maire depuis quelques années, qu’a lieu le match. La rencontre oppose l’équipe des commerçants de la ville à celle des élus municipaux. Pour la première fois sous la Vème République, un futur président se sert du foot à des fins politiques.

Giscard, buteur providentiel

La pelouse n’est pas de première qualité pour cette rencontre « au sommet » entre les commerçants et les élus de Chamalières. C’est donc sur un champ de patate que Valéry Giscard d’Estaing, futur candidat à la présidentielle de 1974, fait ses premiers pas avec le ballon rond. Et les débuts sont hésitants. Du haut de son mètre quatre-vingt-neuf, le néo-footballeur manque un peu de souplesse. Droit comme un I, tendu comme un arc, Monsieur le Maire ne semble pas vraiment à son aise. Et l’équipe dont il est le capitaine est à la traîne. Il ne reste que quelques minutes à jouer et les élus sont mené 2-1. Mais, coup de théâtre, peu avant la fin du match, l’arbitre siffle un penalty pour les élus. Le capitaine Giscard prend ses responsabilités, il tire et transforme le penalty face à un gardien étonnement passif. Score final, 2-2, match nul, tout le monde est content. « La magie et l’incertitude du football » font décidément bien les choses.

La rencontre a bien sûr été organisée par l’équipe de la mairie de Chamalières, et s’inscrit dans une opération de communication savamment organisée. C’est l’une des premières fois qu’un homme politique utilise le foot à des fins électorales en France. Charles de Gaulle avant lui n’avait jamais montré d’intérêt pour le sport, alors que Pompidou était féru de courses automobiles, mais pas vraiment un sportif accompli.

Courir après le cuir en short n’est donc pas anodin à cette époque-là pour un homme politique. Le journaliste Sébastien Billard le résume ainsi en 2017 dans les pages de l’Obs : « Un an avant son arrivée à l’Elysée, VGE mise sur le football, sport éminemment populaire, dans le cadre de cette stratégie de communication ». En effet, le futur candidat à la présidentielle tente par tous les moyens de se débarrasser de cette image de châtelain un peu guindé qui lui colle à la peau. En réalité, Giscard est plus à l’aise sur les pistes de ski ou le court de tennis que sur le rectangle vert. D’ailleurs quelques années plus tard, une fois élu, le président Giscard n’hésitera pas à se mettre en scène en couverture de Tennis Magazine. La posture est bonne, la raquette est bien placée. Giscard est définitivement plus à l’aise avec la petite balle jaune qu’avec un ballon rond.

Le football, plus populaire que jamais

Mais au début des seventies, le football devient de plus en plus populaire à travers l’Hexagone. Après avoir stagné pendant les années 60, le nombre de pratiquants explose, passant de 700 000 licenciés à la FFF au début des années 70 à 1,4 million en 1980. Durant cette ère du « beau jeu », le football français sort de l’ombre. Les Verts continuent de régner sur l’Hexagone mais Marseille joue les trouble-fêtes. La décennie est marquée par un football romantique et un jeu élégant.. L’apogée est atteinte en 1976 quand Saint-Etienne atteint la finale de la Coupe d’Europe. 30 millions de Français auraient suivi la terrible défaite face au Bayern de Munich. Les poteaux carrés de Glasgow resteront eux dans la légende. Malgré leur déception, des milliers de supporters stéphanois accueillent les héros le lendemain sur les Champs-Elysées. La France se passionne donc pour le football, et l’arrivée des télévisions en couleurs dans quasiment tous les foyers y est bien sûr pour beaucoup.

Le 3 juin 1973-Match de football avec Giscard d’Estaing © Roland Lavault

La classe politique s’empare bien sûr de la question. VGE, candidat de centre-droit à la présidentielle de 1974, a bien compris l’importance du football. Si ce match sur terrain champêtre n’a pas vocation à préparer la campagne présidentielle – celle-ci sera lancée dans la précipitation après la mort de Pompidou en avril 1974 – il vise à écorner sa réputation d’aristocrate d’une famille bien née. La stratégie n’est pas très fine comme l’attestent les déclarations d’après match du futur président. Dans le vestiaire, c’est torse nu que Monsieur le Maire répond aux questions de la presse. « Un ministre des Finances, c’est un français comme les autres », déclare-t-il fièrement. Et effectivement, le football est en France l’apanage des « milieux populaires». Les succès sportifs et l’immense popularité de Saint-Etienne, ville minière et très industrielle, où les Verts font rêver des milliers de personnes chaque week-end, en attestent.

Une stratégie qui ne payera pas vraiment

Mais les efforts et l’utilisation du football par VGE n’auront pas l’effet escompté. Jamais l’ancien élève de l’ENA ne parviendra à se débarrasser de son costume de châtelain distingué. C’est davantage le côté ridicule de la situation que l’histoire retiendra. Et aujourd’hui encore, les images de l’époque prêtent à sourire. Sa femme confirmera quelques temps plus tard que son mari n’est en réalité pas un grand fan de football. Interrogée à la télévision sur la passion de son époux pour le ballon rond, Anne-Aymone Giscard d’Estaing confie que en réalité « il ne joue pas très souvent ».

La vérité est là, le futur chef de l’Etat préfère la chasse aux grands animaux. Une pratique qu’il tentera de garder secrète, la traque des grands cerfs appartenant plus à l’image monarchique du pouvoir. Durant la campagne présidentielle de 1974, Giscard tentera de donner l’image d’un homme proche des français, une sorte de « monsieur tout le monde ». Malgré quelques fautes de communication, il sortira victorieux de cette lutte pour le pouvoir, et occupera l’Elysée de 1974 à 1981.

L’on retiendra que Giscard fut l’un des premiers hommes politiques à chausser les crampons. Ses successeurs comprendront à leurs tours l’importance et le poids du football dans la société française. Chirac a bénéficié du sacre de la fameuse France « black, blanc, beur » en 1998. Nicolas Sarkozy, lui, n’a jamais caché son amour du foot et surtout du PSG . L’on pourra aussi observer François Hollande sur un terrain de football tout comme Emmanuel Macron.  Le foot reste donc définitivement un outil dont peut se servir le politique.