Emmanuel Macron et le football, entre passion et exagération

Entre la victoire de l’Équipe de France en Russie il y a tout juste un an, le beau parcours de l’Olympique de Marseille en Ligue Europa et le succès de l’organisation de la dernière Coupe du Monde féminine, l’actualité footballistique française a été riche depuis le début du mandat présidentiel d’Emmanuel Macron. Fan de football et de l’OM, le président de la République le fait savoir au cours de ses nombreuses interventions médiatiques, dont la dernière consacrée à ce sujet remonte au 7 juillet 2019. Au point d’en faire parfois trop ? Décryptage, entre réelle passion et exagération.

« Oh, merde. Deuxième fois putain ! Monaco a encore battu l’OM ». Tirée d’un reportage paru sur TF1 le 8 mai 2017, au lendemain de sa victoire présidentielle, cette phrase prononcée quelques semaines auparavant a fait le tour des réseaux sociaux. On voit sur cette scène Emmanuel Macron, pourtant en pleine campagne, dépité par le mauvais résultat de son club de cœur. Immédiatement recadré par sa femme Brigitte (« On s’en fout, mon chéri ! »), l’ex-ministre de l’Économie laisse tout de même transparaître un certain désarroi face à la défaite marseillaise. 

L’OM jusque dans le sang

Son amour pour l’OM, Emmanuel Macron ne l’a jamais caché. En février 2017, il l’avait rendu public au cours d’une interview diffusée dans le cadre de l’émission Stade Bleu Présidentiel sur France Info. « J’aime ce club depuis mon adolescence, il m’a toujours fait rêver », déclarait le candidat à la présidence. Né en 1977, le président de la République a été marqué, lors de ses années passées au lycée de la Providence à Amiens, par la période dorée de l’Olympique de Marseille. Comme des centaines de milliers d’adolescents de son époque, le jeune Emmanuel a grandi avec des joueurs de référence qu’il cite souvent, comme Basile Boli ou Chris Waddle, et avec pour point d’orgue la fameuse finale de Ligue des Champions remportée face à Milan en mai 1993. Et tant pis pour l’Amiens SC, club phare local qui oscillait à l’époque entre deuxième et troisième division. 

Quelques mois après cette intervention radiophonique, Emmanuel Macron est élu président de la République française. Lors des premiers mois de son mandat, il n’hésite pas à mettre en avant – ou en scène, c’est selon – son amour pour le club phocéen. Un passage dans l’émission Emmanuel Macron au tableau dans lequel il arbore fièrement la tunique de l’OM, puis surtout un séjour dans la cité méditerrannéene au cours duquel l’Amiénois de naissance rend visite aux joueurs au cours d’un entraînement au centre Robert-Louis Dreyfus. « Supporter numéro 1 de l’OM » pour Grégory Sertic, « Grand fan de football » selon Rudi Garcia, le président-supporter convainc toutes les sphères du club. 

Naturellement rappelé par ses fonctions présidentielles, M.Macron intervient nettement moins pour parler de football lors de la saison 2017-2018. Si la saison de son club de cœur est très réussie, l’agenda présidentiel qui est le sien l’empêche d’y consacrer une partie d’un temps libre devenu inexistant. Pourtant, le président de la République trouve par exemple le temps de regarder la demi-finale retour de Ligue Europa face à Salzbourg lors d’un déplacement en Nouvelle-Calédonie. Le 16 mai 2018, l’OM affronte l’Atlético Madrid en finale de la compétition, et Emmanuel Macron, malgré un déplacement prévu de longue date en Bulgarie, manque de chambouler son prorgamme et de se rendre au Groupama Stadium. S’il admet avoir longuement hésité, la polémique engendrée par la présence de Manuel Valls au Stade Olympique de Berlin pour la finale de la Ligue des Champions 2015 entre le FC Barcelone et la Juventus a sans doute achevé de le convaincre de se tenir à l’écart de l’évènement. Question d’image.

Champion du monde, mais…

D’image, il en a également été question durant les mois de juin et juillet 2018. En pleine préparation pour le Mondial en Russie, les Bleus reçoivent le 4 juin la visite du président de la République, clamant haut et fort son ambition. M.Macron annonce ainsi aux vingt-trois sélectionnés son objectif de « deuxième étoile », et leur indique qu’une « compétition est réussie quand elle est gagnée ». Une vision à l’opposée de celle défendue par l’emblématique baron de Coubertin, et qui se veut également plus osée que… le président de la Fédération lui-même, qui ne vise « que » les demi-finales. La parole du président de la République a-t-elle primé sur celle de Noël le Graet ? Le général de Gaulle imaginait un Président « au-dessus des partis », sans doute devrions nous ajouter aujourd’hui que ses prérogatives frôlent celles de « premier sélectionneur de France ». Après tout, quels furent les objets de ses entretiens à répétition avec Didier Deschamps pendant la compétition ?

Sûr de son coup, Emmanuel Macron ajoute à cette occasion qu’il se déplacera en Russie si l’Équipe de France atteint les quarts de finale du Mondial – dans les faits, il ne s’est déplacé que pour les demies et la finale. Néanmoins, cet attachement tout particulier montré pour les Bleus colle bien avec un personnage qui porte le football dans son cœur. Dès lors, comment oublier l’épisode de la finale la compétition, lorsque le président célébra de manière très virulente le premier des quatre buts inscrits par l’Équipe de France ? Une joie qui s’est poursuivie jusque dans les vestiaires, avec un discours de remerciement et de félicitations aux joueurs. Le souvenir de cette scène – au cours de laquelle il appelle les vainqueurs « mes enfants » – est resté positif pour l’énorme majorité des Français, sans doute plus occupés à chanter et danser qu’à critiquer Emmanuel Macron. Pour autant, ils furent sans doute aussi nombreux à dénoncer l’attitude du chef de l’État le lendemain, lorsque celui-ci préféra retenir les champions du monde à l’Élysée, ne laissant que des miettes au public présent sur les Champs-Élysées – officiellement pour des raisons de sécurité. 

La célébration devenue mythique d’Emmanuel Macron en finale de Coupe du Monde (©Alexey NIKOLSKY / SPUTNIK / AFP)

Pour la première fois, des interrogations quant à la véracité de la passion du chef de l’État pour le football surgirent : en fait-il trop ? Alors que le journaliste Jérôme Latta affirme qu’il a raté « sa troisième mi-temps », de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer une appropriation d’un succès pourtant commun à tout le peuple français. Cet échec subi a, dès lors, changé considérablement son image auprès des citoyens lorsqu’il s’agit de football. Après l’image du « Macron supporter » que l’on pouvait imaginer faire une pause dans son calendrier infernal pour apprécier un match de l’OM en savourant une bière, bon nombre de Français ont, à partir de ce moment, eu en tête l’image d’un personnage s’intéressant à ce sport par intérêt pur – ce qui, et nous l’avons démontré, n’est pourtant pas vrai. 

À sa décharge, le président de la République n’a ni mieux ni moins bien agi que son prédécesseur confronté à une situation similaire. Le tandem Jacques Chirac – Lionel Jospin avait en effet laissé vingt ans plus tôt un souvenir similaire lors de la Coupe du Monde 1998, à ceci près que l’ex-maire de Paris ne connaît à peu près rien du monde du football. Cela n’empêcha pas Chirac de se montrer (très) proche des joueurs pendant toute la compétition, et de s’offrir une augmentation d’opinion favorable très nette (+14 points en deux mois, cas unique dans l’histoire de la Vème République). Malheureusement pour lui et pour sa côte de popularité, le président Macron n’a pu bénéficier d’un soutien similaire, la dénommée « affaire Benalla » éclatant dès le 18 juillet.

La célébration du Mondial dans les jardins de l’Élysée (© Eurosport)

Suite à ce couac, le chef de l’État s’est montré en retrait des affaires footballistiques. Les différents évènements politiques et sociaux à gérer ont très nettement limité ses interventions à ce sujet. Cependant, et au sein de ses courtes références au ballon rond, il fut intéressant de noter une très large évolution. Alors qu’il n’évoquait ce sujet qu’en cas de grande occasion, M.Macron a de plus en plus dérivé vers une intrusion parfois maladroite au sein de polémiques intra-footballistiques ne concernant pas directement sa fonction. L’exemple le plus flagrant concerne sans aucun doute sa déclaration du mois de juin dernier. En marge d’une visite à Clairefontaine pour encourager les Bleues avant le Mondial en France, l’ex-ministre de l’Économie s’était permis de soutenir « totalement le président Le Graët contre la réforme de la Ligue des Champions ». Une prise de position sévèrement réprimée par l’UEFA, qui s’est empressé par la voix de son président de dénoncer une « ingérence politique dans le sport ». Un jugement qu’il est difficile de contredire tant il ne relève sans doute pas des compétences d’un chef de l’État d’intervenir publiquement ainsi. Pour autant, cette maladresse semble davantage relever d’un appel du pied de la part d’un passionné de football qui a grandi avec une Coupe d’Europe des Clubs Champions remportée par son club de cœur que d’une tentative d’appropriation d’une cause qui n’est pas sienne.

 Ainsi et même si cette phrase aurait sans doute sa place dans l’ouvrage Un Président ne devrait pas dire ça co-écrit par le duo Davet-Lhomme, difficile de lui en tenir rigueur. En effet, cette petite pique sans doute trop analysée médiatiquement relève d’une simple réflexion – dont le président aurait pu, il est vrai, se passer – que la majorité des amateurs de football s’est fait à ce moment-ci. Car au fond, et avant d’être président de la République, Emmanuel Macron était, est et restera après son mandat un Français amateur de sport, en particulier de football. S’il profite (ou abuse, c’est selon) parfois de sa situation en adressant des messages personnalisés aux joueurs de l’Équipe de France ou en s’entraînant avec les joueurs de l’OM, le président de la République le fait avant tout car il aime profondément ce sport – il s’agit parfois même de son seul point commun avec nombre de ses détracteurs. En revanche, et si sa passion n’est pas à démontrer, l’intensité avec laquelle Emmanuel Macron évoque le football laisse parfois penser qu’il surjoue cet amour, comme s’il souhaitait le rendre plus véridique pour se rapprocher d’une partie de la population. Ses nombreuses visites à Clairefontaine et ses blagues avec les champions du monde ont parfois de quoi exaspérer, comme sa capacité à, parfois, s’accaparer d’évènements populaires. Demandez donc leur avis aux supporters présents le 16 juillet aux Champs-Élysées…

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Elio Bono

Papa de la famille FootPol. Amateur d'Italie, de bonne nourriture, de balle ovale et d'Espagne.

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