À Bordeaux, les Girondins s’invitent dans la campagne municipale

Le 28 juin, Bordeaux saura qui de Nicolas Florian (LR, arrivé en tête au premier tour), Pierre Hurmic (EELV) et Philippe Poutou (NPA) prendra place à l’Hôtel de Ville. Après une nouvelle saison terne marquée par des tensions internes et avec les supporters, les Girondins de Bordeaux connaissent une crise majeure. Le club est devenu un enjeu politique au point de contraindre les candidats à une surenchère de soutien aux Ultramarines, principal groupe de supporters. Celle-ci pourrait influer sur le résultat du 28 juin. En retour, le prochain maire aura un rôle majeur à jouer pour permettre aux Girondins de retrouver le calme.

Une crise économique et identitaire qui couvait depuis longtemps

Il est difficile de dater le début de la crise aux Girondins de Bordeaux. Les plus pessimistes peuvent la faire remonter aux lendemains du titre de 2009 avec les départs conjoints de Gourcuff, Chamakh et Laurent Blanc à l’été 2010. Les autres considèrent que les dysfonctionnements sont apparus suite au rachat du club par le fond d’investissement américain GACP, et que la situation était malsaine dès le début de l’aventure.

Le club a été racheté à M6 grâce à des prêts et non à des fonds propres, ce qui implique que la nouvelle direction doit dégager assez de profit à la fin de chaque saison pour rembourser les emprunts. En football, cela passe le plus souvent par la vente des joueurs dont la valeur est élevée et leur remplacement par des joueurs moins côtés. En moyenne, cela implique que le club régresse de manière proportionnelle aux bénéfices réalisés. La vente de Paul Bernardoni à Angers au début du mercato (7,5 millions d’euros) s’inscrit dans cette logique, tout comme celles de Jules Koundé (25 millions à Séville) l’été dernier et d’Aurélien Tchouaméni (18 millions à Monaco) cet hiver. Ce modèle économique est toutefois risqué : le club se doit de bien figurer pour mettre en valeur ses principaux actifs, voire jouer la Coupe d’Europe pour remplir le stade.

La colère des supporters vise aujourd’hui les auteurs de cette politique qui a mené à la crise : le président-directeur général (PDG) Frédéric Longuépée et le groupe américain King Street, propriétaire arrivé aux commandes du club en décembre 2019. Si leur gestion est qualifiée de désastreuse par certains médias de sport, des journalistes indépendants comme Romain Molina n’hésitent pas à affirmer qu’en plus d’incompétence, la direction des Girondins se montre discourtoise, voire malhonnête, adoptant des pratiques mafieuses de plus en plus courantes dans le football moderne. L’absence physique des dirigeants, dont on ne connait ni la voix ni le visage, ne fait rien pour désamorcer ces soupçons chez les supporters.

Les Ultramarines exigent le départ de la direction en place. © Girondins-33
L’élément déclencheur : l’ouverture d’une enquête pour corruption

Dans un contexte de défiance et d’hostilité envers la direction du club, des révélations publiées mi-avril par le média Républicain-info sont venues troubler le confinement des supporters. Le média togolais dévoilait une enquête sur des transferts frauduleux qui auraient été réalisés par Souleymane Cissé et Eduardo Macia, respectivement directeur technique général et directeur du football au sein du club. La FIFA a été saisie et désormais, en plus de la menace financière de la DNCG, une menace judiciaire plane sur le club. L’élément déclencheur d’une crise qui implique également les Ultramarines. Après la divulgation de leaks – enregistrements sonores issus de réunions entre la direction et certains supporters – au mois de mai sur les réseaux sociaux, mettant en exergue les dérives des dirigeants, M. Longuépée a annoncé qu’il allait porter plainte contre le groupe ultra. Un épisode de plus dans la guerre opposant ultras et dirigeants, qui ne se parlent plus depuis de longs mois. À ce titre, les Ultramarines bénéficient du soutien d’anciens joueurs comme Christophe Dugarry, Benoît Trémoulinas ou Ludovic Obraniak.

À n’en pas douter, la crise interne a dépassé le cadre confidentiel et s’inscrit dans le débat public. D’autant que les liens entre le club et la ville sont évidemment importants. M. Florian n’a pas manqué de souligner que « dans Girondins de Bordeaux, il y a Bordeaux », et le candidat Les Républicains d’ajouter « la situation ternit l’image de la ville ». Pour une ville dont l’économie repose en grande partie sur le tourisme et l’accueil de nouveaux arrivants (ménages comme entreprises), l’image est certainement ce qu’il y a de plus important. Mais des liens concrets et formels entre le club et la mairie existent également, à commencer par le Matmut Atlantique, stade érigé en 2015 et né d’un partenariat public-privé dans lequel la mairie est engagée. Pierre Hurmic, arrivé juste derrière le maire sortant au premier tour (34,38% contre 34,56%) a annoncé vouloir « se débarrasser d’un stade qui coute une fortune ». De son côté, M. Florian voudrait conserver le partenariat en l’état. Le club, lui, souhaiterait reprendre à sa charge la gestion du stade. En outre, le château du Haillan où s’entraîne le club est la propriété de la mairie de Bordeaux.

Les Ultramarines : enjeu majeur du second tour de l’élection

En 2018, au moment du rachat, l’adjoint aux finances de la mairie de Bordeaux n’était autre que Nicolas Florian, aujourd’hui candidat à sa propre succession. C’était lui qui avait suivi le dossier du rachat du club par GACP et validé l’opération auprès d’Alain Juppé, alors maire. L’écologiste Pierre Hurmic, conseiller à Bordeaux Métropole, s’était opposé à ce rachat lors d’un conseil exceptionnel. Aujourd’hui, les supporters regrettent l’opération et Nicolas Florian, qui a reçu le soutien de Thomas Cazenave (LREM, 12,69% au premier tour), a été forcé de réagir lorsque la crise a éclaté afin de redorer son image auprès des amateurs de football bordelais. Depuis, tous les candidats encore en lice ont un avis sur la question.

Évidemment, aucun concurrent ne s’oppose aux revendications des Ultramarines, ils y perdraient trop de voix. Pas un d’entre eux non plus n’ose soutenir le bilan désastreux de Longuépée à la tête du club. La bataille n’est donc pas idéologique, elle se situe sur le terrain de la stratégie de communication, et l’enjeu pour les candidats est d’exprimer le plus et le mieux leur soutien aux ultras. Ces derniers, s’ils se réjouissent « des soutiens qui affluent », n’ont pas non plus intérêt à ce que le club ne devienne un instrument politique, afin de ne pas effrayer un éventuel repreneur.

La position de Nicolas Florian est la plus conciliante avec la direction actuelle. Le maire sortant espère obtenir des explications convaincantes sur la gestion des Girondins cette année et des promesses de changement de cap à venir rapidement. C’est dans cette logique qu’il a publiquement sollicité un rendez-vous avec Brian Higgins, le milliardaire américain qui a cofondé King Street en 1995, et ce sans Frédéric Longuépée. Il espère ainsi obtenir des informations sur ce que le groupe, aujourd’hui absent, souhaite faire des Girondins de Bordeaux. Après avoir affirmé son désir de s’impliquer dans l’avenir du club, il continue de recevoir des propositions plus ou moins sérieuses de reprise. Mais il souhaite s’impliquer dans l’option du rachat seulement si la discussion avec les propriétaires n’est pas concluante. Il se murmure que le maire sortant pourrait, sous la pression de ses opposants politiques, exiger la démission Frédéric Longuépée, ce qui ne serait une petite victoire pour les supporters.

Nicolas Florian aux couleurs des Girondins © Web Girondins

Le candidat de la liste « Bordeaux en transition » Pierre Hurmic n’a pas manqué de rappeler sur Twitter le rôle joué par son adversaire principal dans le rachat du club. Aussi, dès que Nicolas Florian a pris position et proposé de jouer les intermédiaires avec King Street, M. Hurmic a envoyé une lettre à Frédéric Longuépée lui demandant des comptes sur la gestion désastreuse du club. La stratégie offensive d’Hurmic a poussé le maire sortant à surenchérir en recevant une délégation des Ultramarines au Palais Rohan, siège de la mairie. En réalité, l’enjeu est avant tout d’occuper le terrain. 

De son côté, Philippe Poutou (Bordeaux en Luttes, 11,77% au premier tour) a pris position avec un temps de retard sur les deux candidats favoris. Sa communication se veut plus affirmée, exigeant le départ du PDG comme des propriétaires, une reprise en main du club par la mairie, et apportant un soutien total aux Ultramarines. De plus, le candidat à la présidentielle 2017 avait affirmé plus tôt vouloir rompre le partenariat liant la mairie au Matmut Atlantique.

Mais à Bordeaux, 9ème ville la plus peuplée de France mais seulement 27ème au nombre d’infrastructures sportives par habitants, l’enjeu sportif des élections municipales ne se situe-t-il pas ailleurs que sur le terrain professionnel ? C’est en tous cas ce qu’affirment une soixantaine de personnalités du sport local dans une tribune parue début mars intitulée « pour le renouveau de la politique sportive à Bordeaux et à la métropole ».

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