EDITO – Oui, le footballeur peut s’exprimer sur les violences racistes

EDITO – Depuis une semaine et la mort de George Floyd, le mouvement #BlackLivesMatter prend de l’ampleur. Nombreux sont les footballeurs à avoir suivi cette tendance en lui rendant hommage, puis en affirmant leur soutien aux manifestants américains. Dans le même sens, un certain nombre d’entre eux ont soutenu publiquement la famille d’Adama Traoré dans le sillage de la manifestation du 2 juin.

Entre Paul Pogba, Kylian Mbappé et Marcus Thuram, de nombreux footballeurs français et étrangers ont condamné le meurtre de George Floyd. À leur manière, par un tweet, un texte publié sur Instagram ou une célébration de but, ils ont exprimé leur ras-le-bol et leur colère face au racisme que subissent les Noirs aux États-Unis et ailleurs. Au-delà des gestes, que penser de ces prises de position ? Un simple message sur les réseaux sociaux peut-il réellement changer les choses, ou ne s’agit-il que d’une posture pour soigner son image, comme l’expriment certains de leurs détracteurs ?

Outrepasser une com’ bridée

Dans une société qui l’a hissé au rang de star avant même sa majorité, le footballeur doit mesurer sa communication. Tantôt les sponsors, tantôt les clubs verrouillent autant que faire se peut sa parole, afin de minimiser le risque de badbuzz. L’idée est de faire du footballeur un être apolitique qui s’exprime uniquement avec ses pieds, et qui ne prend la parole qu’au cours de campagnes marketing ou interviews sans saveur organisées par ces mêmes sponsors.

Fort heureusement, le pouvoir des clubs et des sponsors n’est pas infini, puisque certains joueurs soignent « personnellement » leur communication. L’absence d’un community-manager permet au footballeur d’avoir, théoriquement, une liberté éditoriale plus importante lui permettant parfois de s’exprimer sur des sujets de société. Certes, le risque de dérapage est ici minime, prendre position sur le racisme étant sans doute moins « casse-gueule » qu’afficher une préférence électorale. Mais, lorsque Mbappé publie une story Instagram demandant « Justice pour Gabriel » – jeune bondynois blessé suite à une intervention policière – et plus encore lorsqu’il utilise l’expression de « violences policières » – celle-là même que le ministre Castaner refuse catégoriquement d’employer – il est conscient des risques pris vis-à-vis de son image. Les attaques personnelles subies par la chanteuse Camélia Jordana après l’emploi des mêmes termes clivants sur le plateau d’On n’est pas couché en sont la preuve.

On entend çà et là que le footballeur sort de son rôle en diffusant des messages politiques. En somme, pour certains, son existence devrait se cantonner à l’exercice son métier et à de rares sorties médiatiques où le moindre mot est pesé. S’il n’existe pas de vérité absolue sur la question, cet argumentaire peut paraître insuffisant. Qu’on le veuille ou non, la voix du footballeur a un poids dans la société actuelle. Il représente un exemple pour une partie de la population, surtout pour les milliers de jeunes qui s’identifient à sa figure dans l’espoir de connaître un destin semblable. Ce n’est ainsi pas un hasard si, dans la plupart des cas, un tweet d’un international français obtient plus de réaction qu’un message d’un ministre. Bien évidemment, le propos n’est pas ici de caricaturer en mettant les paroles ministérielle et sportive sur un pied d’égalité. En revanche, la comparaison nous montre que le footballeur, à l’inverse du politicien, touche une population pas toujours politisée. Et même si ce n’est pas avec un tweet « #BlackLivesMatter » que le footballeur va régler les problèmes structurels qu’il dénonce, il contribue, par son audience diversifiée, à médiatiser la lutte et à la porter à la connaissance d’un public pas forcément réceptif aux canaux d’information traditionnels. Dans le même sens, la présence de Layvin Kurzawa à la manifestation du 2 juin – et le tweet qui s’en est suivi – éveille une certaine sphère de la société au combat contre les violences policières racistes.

Récupération, vraiment ?

Accusé de « récupération » dans un but de soigner son image, le footballeur n’aurait donc pas le droit d’émettre publiquement son avis sur une question de société ? Évidemment, dans ce cas précis, toutes les paroles ne se valent pas. Lorsque Pepe Reina – qui a annoncé à plusieurs reprises son soutien au parti espagnol d’extrême droite Vox – rallie publiquement la lutte contre le racisme, ces critiques peuvent paraître légitimes. En revanche, qui peut se permettre d’interpeller Mbappé, Thuram, Pogba ou n’importe quel joueur racisé à ce sujet ? Ces stars ont toute leur légitimité à sensibiliser une audience dépassant largement les frontières de leur pays sur la thématique du racisme. Victime d’insultes racistes à Manchester comme à Turin, Paul Pogba semble bien placé pour éveiller ses 41 millions de followers répartis aux quatre coins du globe sur un sujet d’ampleur internationale.

Au fond, si le footballeur s’exprime autant sur le racisme, il rappelle en substance l’omniprésence de ce fléau dans le microcosme du ballon rond et que, au-delà de sa position d’influenceur, ils en est avant tout lui-même victime*. Plus encore, il incarne personnellement le message et, en associant son image publique – voire de marque – à la cause, le footballeur a un impact autrement plus significatif sur les mentalités que l’UEFA et ses campagnes creuses.

Enfin, d’autres détracteurs fustigent des messages dépourvus d’analyse. Mais est-elle réellement attendue de la part d’un footballeur ? De même qu’on ne demande pas à un joueur de s’exprimer comme un académicien, on n’exige pas de lui une analyse digne d’un chercheur. C’est en sensibilisant son jeune public que le footballeur l’amènera à se documenter pour approfondir le sujet. De même qu’il a le droit de s’abstenir de parler, le footballeur est tout à fait légitime – comme n’importe quel citoyen – pour exprimer publiquement son avis sur une question politique ou de société, encore plus quand il est directement concerné. C’est même dans ces situations qu’il fait honneur à sa position médiatique et qu’il enfile avec brio le costume d’exemple social qui lui est cousu par des millions de concitoyens. N’en déplaise à tous ceux qui refusent de lui accorder ce rôle.

*  Lire à ce sujet "Le racisme dans le foot", de Nicolas Vilas.
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Elio Bono

Papa de la famille FootPol. Amateur d'Italie, de bonne nourriture, de balle ovale et d'Espagne.