[EDITO] Les œillères du football français (bis)
Alors que pendant le printemps, Noël Le Graët s’était positionné comme leader d’un football français en perte de contrôle, le président de la FFF a décidé mardi de mettre les pieds dans un plat dont il ne connaît pas les ingrédients : la lutte contre les discriminations. Pour lui, « le phénomène raciste dans le sport et dans le foot en particulier, n’existe pas, ou peu ».Cette affirmation, de la part du président de la FFF, est révélatrice de la vision étriquée du football français par ses dirigeants, qui occultent ses aspects sociétaux.
La politique de l’autruche
Chez Noël Le Graët, les prises de position concernant les discriminations sont peu nombreuses, mais elles témoignent d’une certaine obsolescence du logiciel de la lutte contre les discriminations chez le président de la FFF. Aujourd’hui, évoquer des discriminations ne passe plus par la négation du phénomène, en entassant tout sous le tapis et en espérant que le soufflet retombe. Avant son intervention de mardi, l’ancien président de Guingamp s’était déjà illustré dans le cadre du reportage « Je ne suis pas un singe » d’Olivier Dacourt sur Canal +. Quand l’ancien professionnel lui demandait pour quelles raisons il y avait si peu d’entraîneurs de couleurs noirs, notamment dans les formations de la FFF, Noël Le Graët réfutait toute accusation de racisme en bloc, accusant même Dacourt d’avoir choisi la facilité en devenant consultant et non entraîneur. Ou comment noyer le poisson.
Noël Le Graët s’était également exprimé sur les propos homophobes dans les stades lors du débat du début de saison 2019-2020, en deux temps. Il avait tout d’abord minoré l’homophobie dans le football, en déclarant « Considérer que le football est homophobe, c’est un peu fort de café » puis en affirmant qu’il fallait arrêter un match pour racisme, mais non pour homophobie. Il s’agit également d’un logiciel obsolète, selon lequel on pourrait hiérarchiser les discriminations, certaines étant plus graves que d’autres. La lutte contre l’homophobie est une lutte plus récente que celle contre le racisme, mais cela ne signifie pas qu’elle soit moins importante.
Une perception partielle du racisme
Dans son intervention, Noël Le Graët ne s’est pas contenté d’affirmer qu’il n’y avait pas de racisme dans le football, mais il a argumenté son point de vue, par le fait que « quand un Black marque un but, tout le stade est debout. ». Le problème avec cette phrase, ce serait de penser que le racisme ne se traduit que par la haine des joueurs noirs, et qu’il est principalement l’œuvre des supporters. Or, les mécanismes discriminatoires sont beaucoup plus complexes que cela, et ne pourraient se résumer à huer un joueur noir. En l’occurrence, la France nous a donné ces dix dernières années de nombreux exemples de racisme dans le football, qu’il s’agisse du quota de joueurs binationaux, des propos de Willy Sagnol concernant les qualités physiques des joueurs africains, ou encore du fichage ethnique au centre de formation du PSG.
Ces différents exemples, s’ils ne sauraient présenter la totalité des cas de racisme dans le football, traduisent bien la présence d’un racisme institutionnel au sein du football français qu’il convient de combattre. Le racisme est loin d’être le terrain de chasse des seuls supporters, mais il correspond bien à une problématique généralisée dans le monde du football. Et parmi ces exemples, on ne cite que les cas de racisme médiatisés, essentiellement dans le football professionnel. Le football amateur présente de grandes difficultés également, dont la connaissance est à peu près nulle.
L’autre problème de sa phrase est l’utilisation du terme « black ». Il consiste en une euphémisation de la couleur de peau et des enjeux liés à celle-ci, dont le racisme. L’utilisation de ce mot est souvent la preuve d’une méconnaissance du sujet, et d’une difficulté à nommer les phénomènes tels qu’ils sont.
Pour une politique fédérale de lutte contre les discriminations
La politique de lutte contre les discriminations de la Fédération française de football est aujourd’hui limitée. Les clubs peuvent s’appuyer sur le Programme Educatif Fédéral (PEF), dont le but est de sensibiliser les licenciés jusqu’aux U19 aux enjeux de citoyenneté et de vivre-ensemble. Mais la mise en œuvre du PEF reste à l’appréciation des clubs. L’observatoire des comportements de la FFF permet également de faire remonter les données du football amateur, mais cet observatoire est alimenté par les districts, les ligues et la FFF, si ces actes sont signalés par les arbitres – ce qui, dans le football amateur, est extrêmement rare. De plus, cet observatoire des comportements a d’abord pour objectif de lutter contre les violences physiques dans le football amateur.
Si ces outils peuvent être utiles, il est nécessaire de les adosser à une politique volontariste de lutte contre les discriminations, et contre toutes les discriminations. Ce type de politique doit passer par un plan d’action, des objectifs clairs et un suivi des actions. Certains acteurs (clubs, districts ou ligues) prennent des initiatives dans l’organisation de journées de prévention, mais ceux-ci doivent être appuyés et incités par la Fédération. Mais pour cela, il ne faut pas nier ou minorer l’existence même des discriminations.