Syndicalisme et foot français : prémisses de l’UNFP et affranchissement des joueurs (2/3)

« Aujourd’hui en plein XXème siècle, le footballeur professionnel est le seul homme à pouvoir être vendu et acheté sans qu’on lui demande son avis ». En juin 1963, deux ans après la naissance de l’UNFP, Raymond Kopa s’indignait des conditions de travail des footballeurs. La création d’un syndicat protecteur des joueurs n’a pas immédiatement engendré une reconnaissance de la profession. Ce second article met ainsi en exergue le processus de création et d’affirmation de l’UNFP à travers ses premiers combats, ses premières difficultés et ses premières victoires.

Prise de conscience de « classe » et mobilisation des footballeurs

Le rapport de force déséquilibré entre joueurs et instances n’explique pas à lui seul la création de l’UNFP en 1961. Pour que l’organisation émerge, les conditions nécessaires à l’instauration d’un « syndicalisme militant » (H. Slimani) sont apparues vers la fin des années 1950. La principale condition était une homogénéisation des situations des joueurs afin de se regrouper pour défendre leurs intérêts. Celle-ci trouvait son origine dans l’instauration du contrat léonin en 1952, octroyant des bénéfices disproportionnés au profit des dirigeants de clubs, comme par exemple la mainmise sur les mutations. Ce contrat a rendu le statut de footballeur professionnel et ses conditions de travail si désavantageux qu’il a fait émerger un sentiment d’appartenance collective des joueurs. Le sociologue Hassen Slimani explique clairement que les pratiques abusives des dirigeants en matière de transfert se sont généralisées, les joueurs n’ayant aucun pouvoir sur leur contrat. Ces abus sont vécus comme des injustices et entraînent un sentiment d’insatisfaction collective qui se propage. Cette homogénéisation des carrières est également intervenue dès lors que le football est devenu l’unique activité professionnelle des joueurs. 

Toutefois, ces injustices ne sont perçues que par un certain type de joueurs.  Les amateurs ne sont pas concernés par ce contrat léonin et sont, d’une certaine manière, jalousés par les footballeurs professionnels qui voient en eux des individus profitant de la pratique de leur sport favori sans subir les conséquences personnelles et professionnelles. Il existe également à l’époque une fracture avec les joueurs étrangers qui ne pâtissent pas des mêmes conditions que leurs homologues français. En effet, pour les attirer, les dirigeants consentent à des efforts financiers et contractuels. La création de l’UNFP en 1961 intervient dans ce sens avec l’objectif de défendre cette catégorie de footballeurs professionnels français lésés. La nouvelle organisation permet notamment d’homogénéiser la situation de ces joueurs et surtout de porter leurs voix devant les instances dirigeantes.  

Le 6 novembre 1961, l’UNFP naît sous l’impulsion d’Eugène N’Jo-Léa et Juste Fontaine, ©UNFP 

Tout l’enjeu pour la création d’un syndicat militant était de faire basculer le rapport de force à l’avantage des dirigeants. Ce retournement fut notamment permis grâce à l’aura de joueurs internationaux, à l’impulsion d’Eugène N’Jo Léa et aux conseils du juriste Jacques Bertrand. Autour de lui vont se réunir plusieurs joueurs pour créer l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP) le 16 novembre 1961. Il est important de noter que ces joueurs étaient tous sélectionnés en équipe de France et donc connus du grand public : Raymond Kopa, Just Fontaine ou encore Eugène N’Jo-Léa. Lorsqu’il revient au stade de Reims en 1959, Raymond Kopa sort de quatre saisons au Real Madrid où il a pu découvrir une autre organisation où existe le statut de professionnel et où il a obtenu dès son transfert en 1956 un contrat à temps. Fort d’une notoriété lui permettant de faire face à la fédération, Kopa se fait entendre pour réclamer pour les footballeurs français les mêmes conditions qu’en Espagne. Auparavant, pour garder l’emprise sur les joueurs, la FFF ne sélectionnait pas en équipe de France les joueurs partis joués à l’étranger. Cette situation est révolue après l’arrivée de Kopa, qui devient le président de l’UNFP en 1962.

Une part essentielle dans la réussite de ce syndicat réside dans le fait qu’il reposait essentiellement sur le symbolisme pour attirer ses membres. Mais ce groupe de pionniers bénéficiait également de fortes compétences et connaissances juridiques pour mener à bien le projet de réforme : Eugène N’Jo-Léa, étudiant en droit et joueur professionnel, et Jacques Bertrand, juriste et expert fiscal. Ces membres fondateurs de l’UNFP étaient majoritairement issus des catégories sociales supérieures et intermédiaires, ce qui s’explique par le besoin de connaissances et de légitimité pour s’opposer aux instances et pour tordre le cou à l’image négative du footballeur « ignare et docile ». Les membres du bureau étaient ainsi trois fois plus diplômés que leurs adhérents : plus de la moitié des membres de l’UNFP à sa création étaient ouvriers ou employés. Cette différence sociale ne constituait pas une contrainte pour la création du syndicat puisque la grande majorité des footballeurs adhéraient à l’UNFP.

Raymond Kopa (© Jean-Claude Mallinjod/AFP)

Au moment de sa création, l’UNFP a pour objet d’être une instance de représentation pour les footballeurs professionnels et d’être force de proposition face au Groupement des clubs autorisés (le GCA, qui représente les intérêts des dirigeants, la Ligue de football professionnel). C’est pour cette raison qu’il ne prend pas le nom de « syndicat » mais d’« Union », pour insister sur une « unité de rassemblement » suscitée par le « sentiment d’appartenance à un même corps de métier ». C’est également pour cette raison, et afin de rassembler le plus d’adhérents, que l’UNFP rejette également dès le départ tout positionnement politique. Ainsi, la création de l’UNFP répond à un besoin social pour les joueurs qui est la défense individuelle de ses adhérents. Au moment de la création de l’UNFP en 1961, les joueurs sont dépourvus de toute sécurité de l’emploi en raison du contrat léonin pouvant être rompu unilatéralement par les présidents sans garantie pour les joueurs. 

La quête de légitimité au sein des instances dirigeantes 

Pour mener à bien cet objectif de reconnaissance des droits des joueurs, le premier enjeu pour l’UNFP est d’être reconnu comme acteur et représentant légitime au sein des instances décisionnaires. Cette reconnaissance passe ainsi obligatoirement par l’enracinement du sentiment collectif au sein du groupe des joueurs que l’UNFP s’efforce de consolider. Le thème de l’appartenance à un groupe professionnel uni sera par la suite continuellement repris. En tant qu’instance représentative des joueurs professionnels, l’UNFP permet de rassembler toutes les luttes personnelles des joueurs pour les regrouper sous un même mouvement cohérent et de se faire porte-parole des revendications d’un même groupe professionnel. Ainsi, en 1963, 450 des 500 joueurs pros en activité étaient adhérents à l’UNFP d’après Jean-François Bourg.   

Le processus de reconnaissance de la légitimité des actions syndicales, notamment la revendication du contrat à temps, fut particulièrement long. Le premier appel à la grève en 1963 se solda également sur un échec. L’UNFP obtint certes une promesse de la part du GCA d’élaborer un nouveau contrat avant la fin d’année 1967, mais cette promesse fut vaine. Néanmoins, cette année fut marquée par le coup d’éclat de la publication d’un article de Raymond Kopa intitulé « les footballeurs sont des esclaves » qui lui valut d’ailleurs une suspension par le GCA. La première victoire de l’UNFP ne concerna pas le statut du joueur professionnel en lui-même, mais sa reconversion. En 1964, les joueurs obtinrent le droit à un pécule de fin de carrière, c’est-à-dire un régime leur octroyant un certain montant égal pour tous à la fin de leur carrière. Cette première victoire permet à l’UNFP d’être reconnue comme l’unique interlocutrice entre joueurs et dirigeants. En investissant au fur et à mesure les instances dirigeants et en préférant les solutions à l’amiable, l’Union peut désormais se tourner vers son objectif premier : le contrat à temps.

Entre échecs et victoires

Les actions syndicales gagnèrent en efficacité dès lors que la génération Kopa laissa sa place à de jeunes joueurs moins connus à la tête de l’UNFP. L’adoption de nouveaux moyens d’action fut inévitable pour que l’organisation poursuive son combat sans la légitimité de ses anciens. Ces nouveaux dirigeants, comme Michel Hidalgo qui prit la présidence en 1964, étaient peu titrés et ont rarement joué à un niveau international. Entre 1964 et 1970, les dirigeants de l’UNFP comme Michel Hidalgo étaient des joueurs du milieu de tableau du championnat de D1 ou haut de tableau de D2.

En novembre 1964, une première convention collective est signée entre le GCA et l’UNFP, en plus de l’obtention du pécule de fin de carrière. Ces nouveaux dirigeants obtinrent la création d’une commission paritaire par le GCA dans laquelle l’UNFP possèdait un droit de regard dans les décisions. Cependant, ces deux événements de 1964 n’eurent aucune conséquence ou presque sur la régulation du marché des joueurs. En effet, il fallut attendre plusieurs années pour que l’âge du contrat à vie passe successivement de 35 à 31 ans, et enfin 29 ans en mars 1968. 

Mai 68, les locaux de la FFF sont investis en quasi-totalité par des joueurs amateurs, ©UNFP

L’année 1968 et le mouvement de contestation sociale qui embrase le pays aurait pu permettre à l’UNFP de se positionner sur les conditions misérables du métier de footballeur, mais il n’en fut rien. En effet, bien qu’il y ait eu un mai 68 des footballeurs, ce furent les joueurs amateurs, portés par le journal Le Miroir du Football qui manifestèrent. N’étant intéressée que par l’enjeu du contrat à temps, l’UNFP a un court instant approuvé le mouvement de contestation avant de se désolidariser de cette lutte. Dans une lettre du 16 juillet 1968, le président Michel Hidalgo marquait la différence entre le mouvement et l’UNFP, déclarant compter sur le dialogue avec le GCA et soulignant que l’Union rejetteait« l’anarchie », le « désordre » ainsi que les « tendances minoritaires ». Bien que l’UNFP n’ait pas participé à la lutte sociale, mai 68 poussa les dirigeants à défendre leurs intérêts et à tenter de consolider leurs positions. 

Les résistances des dirigeants à la ligne défendue par l’UNFP permirent de réunir les conditions nécessaires à une lutte pour la suppression du contrat à vie. L’arrivée d’un homme hostile aux intérêts défendus par l’UNFP, Jean Sadoul, à la tête du GCA contraint l’Union à s’opposer aux décisions du Groupement pour rester crédible. Ce dernier prit une série de réformes économiques favorables aux dirigeants, comme la baisse de salaires des joueurs, la suppression du pécule de fin de carrière ou l’interdiction de jouer le « match des champions » dont les bénéfices revenaient à l’UNFP. La réaction de l’Union ne se fit pas attendre : elle résista à ces provocations en faisant jouer ce « match des champions » et en menaçant le GCA d’une grève en cas de sanctions contre les joueurs. Ce match servit à dénoncer les conditions de travail du footballeur et à protester contre la non-application du contrat à temps pourtant promis en 1963.

La première grande victoire de l’UNFP intervint en juin 1969 avec l’obtention du contrat à temps, qui satisfaisait à la fois l’Union et le Groupement, tous deux gagnants financièrement. Il n’empêche que ce contrat représentait une vraie avancée sociale pour les droits des joueurs, qui pourront s’engager pour des durées limitées. Ces premières victoires ne sont toutefois pas définitivement acquises. La remise en cause du contrat à temps en 1972 déclencha un mouvement sans précédent dans l’histoire du football professionnel français. 

0 Partages