[EDITO] Les œillères du football français
Jeudi 10 septembre 2020, la Ligue de Football Professionnel (LFP) a élu Vincent Labrune, ancien président de l’OM, comme nouveau président. Cette élection s’inscrit dans le contexte de la crise de la Covid-19, au cours de laquelle une image désastreuse du football français a été renvoyée. Depuis, les acteurs du football appellent à une réforme de la gouvernance du football en France. Mais cela ne suffira pas à régler les problèmes d’une discipline sportive qui souffre d’un manque de réflexion sur elle-même.
L’incapacité à gérer la crise
Comme si la crise sanitaire et économique ne suffisait pas, la Covid-19 a mis sur le devant de la scène les difficultés d’administration du football français, incapable de sortir par le haut d’un printemps chaotique, au contraire de ses voisins européens. L’arrêt des championnats professionnels a marqué un tournant dans la gouvernance du football français.
À l’origine, c’est bien le discours du Premier Ministre Edouard Philippe le 28 avril 2020 qui marque la fin de la saison. Ce dernier indiquait alors « la saison 2019-2020 de sport professionnel, notamment de football, ne pourra pas reprendre ». Sur la base de ce discours, la LFP annonçait la fin de la saison 2019-2021 dès le 30 avril, et cette décision, qui apparaissait alors comme une prise de position forte, s’est transformée en boulet pour la LFP. Sans refaire la chronologie de l’ensemble des événements du printemps, quelques éléments ont traduit les difficultés de la Ligue à s’imposer. D’une part, certains médias ont rapporté les tensions existantes lors de l’Assemblée Générale de la LFP, qui ont renvoyé une image honteuse de l’instance. D’autre part, les clubs membres de la LFP, en premier lieu Lyon, Amiens et Toulouse, ont contesté la décision d’arrêter le championnat et les modalités de classement devant le Conseil d’État, passant outre l’autorité de la Ligue. De plus, alors que l’Assemblée Générale avait réussi à (plus ou moins) s’entendre sur une Ligue 2 à 22 équipes, le Comité Exécutif de la Fédération Française de Football a tout simplement invalidé cette décision, en mettant en avant l’intérêt supérieur du football. Enfin, l’Olympique Lyonnais a réclamé 170 millions d’euros à la LFP en dommages et intérêts, et ce alors que Jean-Michel Aulas est président du collège de L1 au sein de la Ligue. En quelques mois, la LFP est devenue une coquille vide.
Si la crise a éclaté au sein de la LFP, c’est d’abord parce que son organisation interne est extrêmement complexe. La direction de la LFP, composée d’un président non exécutif, et d’un directeur général exécutif, ne peut être efficace si les deux composantes entretiennent des relations tendues, comme ce fut le cas pour Nathalie Boy de la Tour et Didier Quillot depuis 2016.
Au-delà de la direction de la LFP, les « familles » membres de cette dernière sont multiples : clubs de Ligue 1 et Ligue 2, les indépendants, les syndicats de clubs professionnels Première Ligue et UCPF, la FFF, le syndicat SAFE (arbitres), l’UNFP (joueurs), l’UNECATEF (éducateurs), le SNAAF (Administratifs) et l’Association des Médecins de Club de Football Professionnel. Si l’on peut souligner la dimension démocratique et inclusive de la LFP, la présence de représentants de chacun de ces groupes au sein du Conseil d’Administration rend complexe la prise de décision au sein de ce dernier, puisque chaque membre défend son intérêt particulier. Aujourd’hui, une forme de scission apparaît entre les clubs et les « familles », dont les intérêts divergent fortement.
Suite à l’arrêt des championnats de Ligue 1 et Ligue 2, Nathalie Boy de la Tour déclarait : « On a des présidents qui ont beaucoup d’idées. On a besoin d’une gouvernance plus ramassée. Il faut simplifier nos statuts, les syndicats de clubs doivent être unifiés ». La gouvernance du football français, dont la LFP, apparaît alors comme un enjeu majeur.
En France, le rôle majeur de l’Etat
Alors que de nombreux médias et observateurs ont pointé le manque de poids politique du football en France, les raisons de la faiblesse de la LFP tiennent également dans la spécificité française d’organisation du monde sportif. En effet, l’État est central dans cette organisation, puisque le Ministère des Sports délègue l’organisation de la pratique sportive à une Fédération, en l’occurrence la Fédération Française de Football (FFF). La FFF délègue à son tour l’organisation des compétitions professionnelles et la commercialisation de celles-ci à la LFP. La Ligue de Football Professionnel (LFP) est ainsi subdélégataire d’une mission de service public via la convention liant la LFP à la FFF. Celle-ci prévoit que la FFF peut intervenir dans une décision de la LFP dans deux situations : en cas de non-respect des règlements de la FFF, et si le Comité Exécutif de la FFF estime une décision contraire à l’intérêt supérieur du football français. Dans les faits, la FFF peut donc rejeter une décision prise par la LFP, comme ce fut le cas concernant la Ligue 2 à 22 équipes. De ce fait, la Ligue doit se soumettre aux décisions de la FFF, elle-même dépendante du Ministère des Sports.
Réfléchir au football dans son ensemble
Pour autant, identifier la gouvernance du football français comme seul frein à son développement serait une erreur. Depuis plusieurs années, il est principalement pensé dans sa dimension économique. Qu’il s’agisse de la LFP ou de la FFF, l’intérêt des dirigeants est de maximiser les recettes, principalement à travers les droits TV. À tel point que les débats autour de l’élection du nouveau président de la Ligue ont majoritairement tourné autour de la question de la constitution d’une société privée pour gérer les championnats professionnels. Cette proposition s’appuie sur le modèle de la Premier League, perçue comme un succès économique avec ses droits TV pharaoniques.
Cette perspective exclusivement économique de l’avenir du football professionnel français met en lumière le déficit de réflexion du football français sur lui-même, sur le rôle du football professionnel sur l’ensemble de la pratique du football mais aussi sur le rôle du football dans la société. Puisque la Premier League est citée en exemple sur le plan économique, il est aussi intéressant d’observer le rôle social joué par celle-ci, à travers ses différents programmes « Communities » ou encore son action dans la lutte contre les discriminations dans les stades (Kick It Out) ou dans les clubs. Alors que le début du championnat français 2019-2020 a été marqué par un débat autour de l’homophobie dans les stades et que le mouvement Black Lives Matter a traversé l’Atlantique pour s’immiscer dans le football depuis la reprise post-covid, ces sujets sont actuellement totalement absents des enjeux des instances du football français. La Bundesliga, elle aussi citée comme exemple par les dirigeants du football français sur le plan économique, a également énormément travaillé sur le rôle des clubs dans la société, notamment autour des FanProjekte.
L’élection de Vincent Labrune en tant que président de la LFP n’est que le dernier épisode en date de la lutte qui oppose les clubs professionnels à la FFF et aux « familles », mais qui voit également les clubs s’opposer entre eux. Jeudi soir, Jean-Michel Aulas soulignait la victoire de Vincent Labrune « à 45% », tandis que Noël Le Graët évoquait une élection « bizarre ». Les lignes de tension entre les acteurs du football français sont encore présentes, alors que la vision économique domine toujours. Le changement n’est pas pour demain.
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