[EDITO] De la nécessité d’une diffusion gratuite de la Ligue des Champions

Il y a dix ans, Lyon affrontait (déjà) le Bayern en demi-finale de Ligue des Champions. Un match duquel nous gardons tous quelques souvenirs, en raison de la présence trop rare d’une équipe française à ce stade de la compétition, mais surtout car la rencontre était diffusée sur TF1 et avait réuni près de 7,1 millions de téléspectateurs (à l’aller). À titre de comparaison, nous étions à peine plus d’un million devant le quart de finale Atalanta-PSG, émis par RMC Sports. De fait, après la diffusion d’OL-Bayern puis de PSG-Bayern la semaine dernière sur la Une, revenons sur quelques pensées liées à la retransmission du football sur des chaînes gratuites.

TF1 et la Ligue des Champions ont longtemps formé un couple équilibré et presque parfait. Diffuseur occasionnel des rares rencontres disponibles sur la télé française dès les années 1970, la première chaîne a opéré un large virage vers la diffusion du sport au tournant de la décennie 1990. Alors que le nouveau venu Canal + obtenait les droits d’une grande partie des rencontres européennes, TF1 retransmettait un match par tour, concernant généralement des clubs français. Marseille, Nantes, Bordeaux, Monaco ou le PSG étaient ainsi régulièrement mis à l’honneur par la première chaîne, sans oublier bien sûr l’Olympique Lyonnais. Le club rhodanien, par son omniprésence médiatique et ses innombrables parcours européens aussi spectaculaires que frustrants dans les années 2000, est sans doute resté le symbole de ces années de C1 version TF1.

Jusqu’en 2012, date d’arrivée de beIn Sports sur le marché français, TF1 a détenu les droits de la Ligue des Champions et offert à des millions de français le bonheur de matches couperet. Et puis… plus rien ou presque. À cette date, le consommateur lambda n’ayant pas les moyens ou l’envie de payer un abonnement se retrouvait dépourvu de ce spectacle. Dès lors, sa possibilité de voir du football à la télévision s’est considérablement réduite, d’autant que la Ligue des Champions n’était pas la seule compétition concernée. Plus en mesure de suivre les sommes folles proposées par les nouveaux acteurs du paysage audiovisuel, les chaînes gratuites ont fait une croix sur la diffusion intégrale des compétitions internationales, proposées jusqu’au Mondial 2010. Puis ce fut au tour de la Coupe de la Ligue de basculer sur Canal +, avant qu’une partie de la Coupe de France ne soit acquise par Eurosport.

Entretenir un culture foot en France…

En clair, regarder un match de football en France représente aujourd’hui un privilège. Et même si le nombre de matches diffusés gratuitement est en légère hausse grâce aux rencontres de Ligue des Nations émises sur L’Équipe 21, ce n’est sans doute pas un Suède-Ukraine qui anime les foules ni contribue à entretenir une culture footballistique en France. Car c’est bien de ça dont il s’agit : éduquer footballistiquement des jeunes écoliers, collégiens ou lycéens pour en faire des futurs passionnés de foot. Par son prestige, son agglomérat de stars et ses rencontres souvent très spectaculaires, la Ligue des Champions est la compétition qui répond le plus à ce besoin. 

C’est un fait, la passion pour le football se construit dès l’enfance. Les derbies « CM1-CM2 » dans la cour d’école, les premiers entraînements du mercredi après-midi et, bien sûr, les discussions autour de matches que tous ces écoliers ont vu entretiennent ce schéma. Enfant des années 2000, je me souviens avoir suivi les épopées européennes de Lyon ou Bordeaux sur TF1 et, si j’avais la chance d’avoir des parents abonnés à Canal +, ce n’était pas le cas de bon nombre de mes camarades. Pour eux, la diffusion d’un match de Ligue des Champions sur TF1 représentait une véritable échappatoire, et constituait une référence commune pour tous les écoliers de France et de Navarre. Aujourd’hui, et alors que RMC Sports compte à peine 2 millions d’abonnés, quelle cour d’école peut se targuer d’abriter des débats post-Ligue des Champions les mercredis et jeudis matin ? On imagine avec un pincement au cœur dix gamins attroupés autour d’un privilégié dont les parents abonnés lui ont permis de voir l’exploit de l’OL face à la Juve, en février dernier. Qu’elle semble loin, l’époque où ce privilégié était celui que les parents, un peu trop laxistes, laissaient regarder les deuxièmes mi-temps…

… pour construire des futurs « clients », dans l’intérêt des chaînes payantes

Beaucoup d’enfants de cette génération, aujourd’hui âgés d’une vingtaine d’années, se sont construit une passion pour le foot via TF1. Ce sont encore les mêmes qui, grâce aux performances d’anthologie de Juninho, Govou ou Benzema voilà quinze ans, supportent toujours l’OL corps et âmes ou ont découvert le Barça, Manchester United ou l’AC Milan avec la télé gratuite. Avec le temps, ceux-ci sont devenus de véritables « clients », prêts à débourser plusieurs centaines d’euros par an pour s’octroyer un maillot, un abonnement au stade ou à une chaîne à péage. Or, si les écoliers d’aujourd’hui n’ont plus accès aux plus grands matches, comment les passionner au point de les convaincre de payer pour du foot ? La question mérite d’être posée, y compris pour les diffuseurs. Car, pour rentrer dans leur logique, si leur public semble suffisamment large au point d’attirer plusieurs millions d’abonnés, qu’en sera-t-il dans vingt, trente ans, lorsque ces jeunes aujourd’hui privés de Ligue des Champions seront en âge de fonder un foyer et donc de transmettre à leurs enfants leur passion pour le foot ? Se dirige-t-on vers un « déterminisme footballistique », dans lequel le seul moyen d’aimer le foot sera de naître dans un foyer déjà passionné au point de s’abonner à RMC Sports ?

La situation est d’autant plus frustrante qu’une solution peut être apportée, et qu’elle semble sur le papier plutôt simple. En fait, elle est même déjà partiellement appliquée en France. Depuis 2018 le groupe Altice propose un match de Ligue Europa par tour sur RMC Story, chaîne gratuite disponible sur la TNT. L’idée derrière cette diffusion est de mettre en avant les meilleurs matches de la compétition, pour ensuite inciter des téléspectateurs satisfaits à s’abonner afin de jouir de l’intégralité du produit. Mais, et c’est un fait, malgré tout le charme que l’on peut lui trouver et ses matches souvent envolés, la C3 ne déchaîne pas les passions dans l’Hexagone – les « performances » des clubs français y sont sans doute pour quelque chose. Dès lors, plutôt que de cantonner les non-abonnés à un lot de consolation, pourquoi ne pas faire de même avec la Ligue des Champions ? Tout le monde serait gagnant : le diffuseur privé, qui conserverait une part d’exclusivité en n’émettant qu’un match par tour sur un canal gratuit ; et le téléspectateur, forcément satisfait. Si la donne semble économiquement compliquée au vu des enjeux, pourquoi ne pas contourner ce problème en règlementant la diffusion ? Depuis le décret du 22 décembre 2004, 21 événements sont considérés « d’importance majeure » et obligatoirement diffusés en clair. À ce jour, seule la finale de la Ligue des Champions fait partie de cette liste. Peut-être cette proposition semble-t-elle trop utopiste et pas assez « ancrée dans la réalité du marché », mais une extension du champ vers la diffusion gratuite d’un match par tour, nous l’avons vu, satisferait bon nombre d’acteurs. Avec l’obtention des droits de la C1 par Mediapro, groupe partenaire de la chaîne TF1, serait-on en droit de rêver ? 

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Elio Bono

Papa de la famille FootPol. Amateur d'Italie, de bonne nourriture, de balle ovale et d'Espagne.