« À la recherche du temps perdu » avec Thibault Rabeux

95ème minute. Amandine Henry, la capitaine de l’Équipe de France, vient de commettre une faute contre Tobin Heath, l’attaquante étasunienne. Quelques instants plus tard, l’arbitre siffle la fin du match. Il est un peu plus de 22h45. Le rêve des Bleues de remporter une Coupe du monde à domicile se brise en plein vol. Malgré l’amertume de l’élimination, l’important est peut-être ailleurs, plus profond. L’engouement médiatique a été énorme autour des joueuses de Corinne Diacre et les stades combles témoignent d’une réussite pour la FIFA. Le football féminin semble entrer dans une nouvelle ère au cours de cet été 2019, une évolution significative à en croire son histoire. 

L’Histoire est toutefois un produit malléable selon les intérêts que l’on a à défendre. C’est ce que dévoile Thibault Rabeux dans son premier ouvrage Football féminin : les Coupes du monde officieuses. Alors que l’histoire officielle du football féminin a sacré l’an 1991 comme l’année de la première Coupe du monde féminine, l’auteur remonte le fil de cette histoire pour y étudier sa part d’ombre : les Mondiaux féminins non reconnus par la FIFA disputés entre les années 1970 et 1980. 

Le Mondial de 1991 en germe dans des « tournois pirates »

La Coupe du monde féminine qui s’est tenue en Chine en 1991 n’est en fait pas la première et elle n’aurait sûrement pas eu lieu sans l’organisation de « tournois pirates ». Du Mundial mexicain de 1971 à l’International Women’s Tournament chinois de 1988, Thibault Rabeaux, avec sa plume limpide et efficace, transporte le lecteur dans les petites histoires du football féminin. 

Pour se faire, l’auteur a entrepris un travail de longue haleine. Un travail motivé de longues de date aussi.  « Lorsque je travaillais pour le site Foot d’Elles, j’avais lancé une rubrique ‘‘les chroniques du football féminin’’ dans laquelle je racontais des histoires méconnues du foot féminin. Puis un jour j’ai découvert l’existence de ces compétitions ‘‘officieuses’’ », explique l’ancien Thibault Rabeux. Au fil des lignes et des récits de tournois, il invite le lecteur à découvrir la grande histoire du football féminin en dehors des sentiers battus. « J’ai toujours aimé l’histoire du sport en général et j’ai vraiment envie de raconter aux lecteurs des histoires inédites ». 

L’histoire d’un combat, celui de la reconnaissance

61 ans après le Mondial masculin en Uruguay, la première Coupe du Monde « officielle » féminine se déroule en Chine.  L’écart entre les deux tournois témoigne du laxisme des instances dirigeantes du football mondial à ouvrir les yeux sur l’importance du football féminin. 

Dès le début des années 1970, des femmes se sont mobilisées, par leurs actes ou leurs paroles, pour faire entendre leur voix et offrir une voie à leur passion, le football. Par le prisme d’anecdotes savoureuses, l’auteur nous les fait découvrir. Parmi elles, Susanne Augustesen, qui du haut de ses 15 ans, a offert le titre suprême aux danoises d’un triplé lors de l’édition mexicaine face au pays hôte. Un exploit retentissant, devant 110 000 personnes, que l’auteur réhabilite en quelque sorte. Les tournois suscitent de l’engouement, le spectacle est au rendez-vous. C’est dans cette perspective que l’on apprend l’évolution du point de vue de la FIFA sur le football féminin. Ainsi, lors du  World Women’s Football Invitational Tournament de 1978 à Taipei (Chine nationaliste), elle affirme clairement ne pas avoir envie de « rater le train » du football féminin. 

Mundial 1971 – Susanne Augustesen avec ses parents et le trophée – ©Thibault Rabeux

Thibault Rabeux éclaire d’un jour nouveau un football féminin encore à ses balbutiements dans les années 1980. Le manque de reconnaissance a été un frein à son développement mais il a pu aussi bénéficier de coups de projecteur particulier. On apprend ainsi, qu’au cours du Xi’an’s Women Tournament de 1984, c’est le conflit géopolitique opposant la Chine continentale de Pékin et la Chine insulaire de Taïwan, qui fait le jeu du football féminin. « L’objectif des deux Chines à terme étant clairement identi?fié : organiser – aux dépens de sa rivale – la première Coupe du monde féminine « test » de la FIFA ». 

Un travail d’archives et des rencontres

L’essence même du texte est basée sur l’anecdotes, le côté décalé de l’information ce qui permet au lecteur de mieux rentrer dans les « récits » de tournois et ainsi en saisir pleinement les enjeux sportifs comme extra-sportifs. Ainsi, lors du Mundialito (1981) au Japon, on peut apprendre que le début des succès pour les texanes du Sting FC lors du tournoi a fini par pousser la fédération étasunienne de football à créer une équipe féminine. On peut aussi découvrir que « les gardiennes de but pouvaient prendre le ballon à la main après une passe volontaire d’une coéquipière, (que les) ramasseuses de balles entièrement vêtues de rose placer les ballons elles-mêmes sur les points de corner ; ou encore (voir que) des photographes entrer sur la pelouse sans vergogne pour immortaliser les célébrations des joueuses locales après chaque but ». Les récits sont très précis, ce que l’auteur explique par un travail préparatoire très important et des échanges avec d’anciennes joueuses : « j’ai consulté de nombreuses sources disponibles directement sur internet que ce soit les archives du Monde, du New-York Times ou encore des quotidiens italiens. Certaines sources m’ont aussi été transmises directement par les anciennes joueuses que j’ai interviewées. Certaines n’ont pas hésité à ressortir leurs cartons pour dénicher des articles de presse de l’époque par exemple. Je me suis aussi inspiré d’ouvrages et de thèses déjà existantes pour retrouver certaines archives. Concernant la plupart des récits des tournois, ce sont vraiment les joueuses qui m’ont tout raconté ».

Entre anecdotes, histoires atypiques et compte-rendus de matchs, Thibault Rabeux transporte le lecteur dans le football féminin d’hier pour mieux comprendre celui d’aujourd’hui et les évolutions de demain. 

Football féminin : les Coupes du monde officieuses par Thibault Rabeux. Disponible en version numérique et brochée sur Amazon.

N.B : les citations de l’auteur sont le fruit d’échanges par mail avec ce-dernier

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