Îles Caïmans – Îles Vierges américaines : le « paradifisco »
Iles Caïmans – Iles Vierges américaines : une affiche qui attire davantage l’attention des investisseurs aux recettes douteuses que celle des passionnés de football. Ce match nous donne l’opportunité de mieux connaitre deux champions, non pas de la CONCACAF, les deux étant en Ligue C, mais de l’évasion fiscale. Deux territoires rattachés à deux grandes puissances mondiales et deux politiques fiscales similaires qui bénéficient aux élites économiques du globe.
Match important pour les Îles Caïmans
Ce samedi a lieu un match qui passera certainement inaperçu dans les médias footballistiques. Les Îles Caïmans recevront, dans leur modeste stade d’une capacité de 3000 places, les Îles Vierges américaines. Les deux sélections, respectivement 193ème et 206ème sur 209 fédérations au classement FIFA, s’affronteront pour la 5ème ronde de la Ligue C de la CONCACAF Nations League.
C’est leur deuxième affrontement dans la compétition. Pour ceux qui veulent connaitre le football caraïbéen, nous vous invitons à regarder les meilleurs moments du premier match, remporté par les Îles Caïmans sur le score de 2 à 0.
Pour les Îles Vierges américaines, ce match est sans enjeu. L’équipe est déjà mathématiquement éliminée, dans la mesure où seule la sélection terminant premier de chaque groupe monte en Ligue B. La qualification caïmanienne se jouera lors de son dernier match contre le leader du groupe : la Barbade. Les Caïmaniens ont intérêt à tout donner sur le terrain contre les insulaires des Îles Vierges des États-Unis.
Deux petits territoires rattachés à deux grandes puissances.
L’absence d’autonomie représentative des deux territoires nous oblige à ne pas parler de pays. Comme son nom l’indique, un des deux territoires, est rattaché aux États-Unis, l’autre au Royaume-Uni.
Les Îles Vierges américaines ont le statut de territoire non-incorporé et organisé, conférant aux résidents la nationalité américaine mais l’impossibilité de voter aux élections présidentielles. Le territoire est obligé d’appliquer en partie la Constitution américaine, mais la faculté de légiférer leur est accordée : les Îles Vierges américaines ont un Parlement indépendant. L’autorité locale est le gouverneur, élu tous les 4 ans. Cependant, comme pour Porto Rico, le président reste Donald Trump.
Du côté britannique, l’autonomie est encore plus limitée. Le Premier ministre du Parlement unicaméral caïmanien est nommé par le gouvernement britannique, assurant que toute loi votée est indirectement approuvée par le pouvoir royal.
Des champions de l’évasion
Le tourisme représente plus de 70% du PIB des deux territoires. Mais leurs véritables richesses passent souvent inaperçues dans les statistiques officielles. Les belles plages et le climat ne suffiraient pas à expliquer la fascination des milliardaires pour ces deux destinations. Ceux-ci cherchent un nouveau lieu, plus discret que la Suisse, où les autorités n’ont pas trop le droit de fouiller. Et ils ne sont pas les seuls. Les 600 banques et 100 000 entreprises installées aux Îles Caïmans sont également attirées par les avantages fiscaux du territoire.
Revenons-en à nos ballons. S’il y a quelque chose que l’on sait bien, c’est que football et fraudes fiscales forment un duo inséparable, un peu comme Xavi et Iniesta. D’ailleurs, les deux joueurs du Barça n’échappent pas à la règle. Unis sur les terrains comme dans les tribunaux, ils ont été interrogés par la justice espagnole en 2014. Cet épisode aurait difficilement pu avoir lieu s’ils jouaient aux Caraïbes. Les salaires ne montent pas bien haut dans la Cayman Islands Premier League ou bien dans la U.S. Virgin Islands Premier League, et les impôts non plus. En revanche, la FIFA a été relativement clémente avec l’ex-président de la Fédération des Îles Caïmans de football, Jeffrey Webb, emprisonné en 2015, accusé d’avoir reçu des pots-de-vin de l’institution cette même année.
La mauvaise réputation des Îles Caïmans est telles qu’elles font l’objet de faux scandales de corruption. C’est le cas du « dossier Caïman » au Brésil, un ensemble de faux documents réunis pour déstabiliser le parti au pouvoir lors des élections présidentielles de 1998. Le succès du mensonge est tel que la justice brésilienne met plus de treize ans à le démentir.
Un début de lutte internationale contre les paradis fiscaux
D’après l’OCDE, un paradis fiscal est un territoire où le secret bancaire est strictement appliqué, les taxes faibles, la création d’entreprises très facile et la coopération judiciaire et fiscale avec les autres États faible, voire inexistante. En 2017, l’Union Européenne créé une liste noire commune des paradis fiscaux afin de lutter contre l’évasion, qui, selon l’OXFAM, coûte plus de 35 milliards d’euros aux coffres de la France, de l’Espagne, de l’Italie et de l’Angleterre, soit presque 18% des dépenses de santé de l’état français en 2018.
La liste noire est composée de 9 territoires, dont les Îles Vierges américaines. De leur côté, les Îles Caïmans figurent seulement dans la liste de surveillance, la liste grise.
Peu importe le score du match, l’évasion continue de l’emporter
Les critères utilisés par l’Union Européenne font l’objet de plusieurs critiques. Comme on peut le voir dans la carte ci-dessus, de nombreux pays blacklistés par d’autres organisations ne sont pas présents dans la liste noire européenne. Et, selon l’Oxfam, si l’UE appliquait ses propres critères à l’intérieur de l’Union, cinq pays européens devraient également y figurer.
De plus, les conséquences de cette liste sont limitées à des sanctions de crédits financiers européens (comme le Fonds européen pour les investissements stratégiques et le Fonds européen pour le développement durable) qui n’intéressent guère les deux territoires. La Commission européenne a proposé de lier la liste à d’autres mesures mais les politiques fiscales communes au sein de l’UE sont votées à l’unanimité, nous pouvons difficilement imaginer un vote du Royaume-Uni contre un territoire qui lui appartient.
Dans ce sens, l’économiste Thomas Piketty critique l’opacité volontaire du système financier mondial dans son livre Le Capital au XXIème Siècle. Une mesure envisageable serait de priver les pays de financements de la Banque mondiale ou du FMI. Cependant, la situation actuelle semble ne déranger ni les Américains ni les Britanniques.
Ce n’est donc pas qu’en matière de ballon rond que les Îles Caïmans sont proches de triompher. Le pays pourrait en effet, dans les temps qui viennent, échapper à la liste grise de l’Union Européenne, sans pour autant durcir ses politiques fiscales.