FN – Équipe de France : je t’aime, moi non plus
Depuis sa création en 1972, le Front National – que nous appellerons ainsi par facilité chronologique – a toujours entretenu un rapport ambigu avec le football. Officiellement, aucun de ses dirigeants ne se présente comme un passionné de ballon rond. Son fondateur, Jean-Marie Le Pen, n’a à notre connaissance jamais évoqué publiquement un quelconque intérêt marqué pour ce sport. Il en va de même pour Marine Le Pen, qui avoue ne pas avoir « d’attirance particulière pour le football ». Pour autant, le parti a naturellement réagi à de nombreuses reprises aux évènements positifs ou négatifs ayant touché l’Équipe de France. Entre récupération politique et dérapages, chronique d’une relation particulière.
Une Équipe de France pas assez représentative de la société ?
C’est en 1996 que le Front National aborde l’Équipe de France dans le débat public pour la première fois. À cette époque, le parti est en pleine émergence, fort de ses 15% des suffrages récoltés lors de l’élection présidentielle un an plus tôt. Nous sommes en plein Euro, et Jean-Marie Le Pen ouvre la relation entre son parti et l’équipe nationale par des propos hostiles à plusieurs joueurs, sélectionnés « parce qu’ils ont été l’objet d’une naturalisation de complaisance », ajoutant que l’on « recrute trop facilement des étrangers que l’on naturalise ». Le président du Front National va même plus loin, en citant des joueurs qui ne seraient pas légitimes à porter le maillot bleu selon lui : « Desailly est né au Ghana, Martins est bi-national portugais, ayant opté pour la nationalité française pour pouvoir faire partie de cette équipe, Lamouchi est Tunisien né en France, Loko Congolais né en France, Zidane Algérien né en France, Madar Tunisien né en France, Djorkaeff Arménien né en France ». Ces propos, déclarés lors d’un entretien à France-Soir, sont unanimement condamnés, et ils marquent le début d’une stratégie visant à pointer du doigt une Équipe de France pas assez « française ».
Ainsi, Jean-Marie Le Pen, figure omnipotente du Front National des années 1990, continue sur cette lancée et déclare au lendemain de la victoire en Coupe du Monde 1998 : « On a mis un Algérien pour faire plaisir aux Arabes, un Kanak qui ne veut même pas chanter la Marseillaise et des Noirs pour satisfaire les Antillais : tout ça, ça n’a rien à voir avec une équipe de France ! ». Deux ans plus tôt, M.Le Pen insistait déjà sur le côté « artificiel de faire venir des joueurs étrangers » pour les faire jouer sous le maillot de l’Équipe de France. Une rhétorique bien connue du fondateur du parti, qui stigmatise explicitement des joueurs comme Marcel Desailly ou Zinédine Zidane, présenté comme un « enfant de l’Algérie française » Lors du Mondial 2006, Jean-Marie Le Pen en rajoute une couche en déclarant que l’on a « peut-être exagéré la proportion de joueurs de couleur », accusant le sélectionneur Raymond Domenech d’être influencé « par des choix idéologiques ». De manière générale, chaque rendez-vous mondial ou européen donne l’opportunité au Front National de s’indigner devant une Équipe de France trop métissée à son gout.
Suite à la victoire des Bleus en Russie, le sociologue Stéphane Beaud revenait dans les colonnes du JDD sur cette partie de la rhétorique du Front National : « L’inépuisable fonds de commerce électoral du FN reste fondé sur la xénophobie. Il est toujours là pour souffler sur la braise en daubant sur cette équipe que ne ‘’nous’’ représenterait pas ». Ainsi, ces propos à répétition des dirigeants du parti pourraient servir à rappeler les lignes directrices de son programme en matière d’immigration, et par la même occasion de toucher un public qui, d’ordinaire, ne prête pas forcément attention aux différents discours politiques. Pour autant, « dédiabolisation » oblige, cette stratégie visant à pointer les origines des joueurs n’est plus forcément la plus utilisée. Dans un contexte de communication minutieusement soignée, Marine Le Pen souhaite à tout prix éviter toute forme de dérapage. Elle ne s’est par exemple jamais exprimée à ce sujet au cours du Mondial 2018, préférant d’autres formes de récupération.
Une Équipe de France vecteur de patriotisme ?
En multipliant les dérapages de ce style, on aurait pu croire que le Front National se contentait simplement de critiquer l’Équipe de France à tout égard, ce qui n’aurait pas eu beaucoup de sens en 1998, 2000 ou en 2018 lors des communions nationales. Il existe pourtant une autre facette bien plus intéressante du rapport qu’entretient le parti aux Bleus, qui réside dans le patriotisme découlant des succès français. Comme tout parti politique, le FN tente à sa manière de s’accaparer des résultats sportifs des footballeurs grâce à une stratégie de communication bien maitrisée, en portant haut et fort l’une des valeurs qu’il a toujours défendues. Les citoyens agitant des drapeaux tricolores dans les rues et chantant la Marseillaiseà tue-tête sont autant de vecteurs positifs pour l’idéologie que tente d’inculquer le parti. Au lendemain de la victoire de 1998, Jean-Marie Le Pen le confirme : « Les drapeaux tricolores et les Marseillaise chantées à pleins poumons nous ont ravis».
Surtout, le FN se marque à contre-courant d’un mythe de la France black-blanc-beur porté par ses opposants politiques, et indique par la voix de Bruno Mégret que cet évènement est « l’occasion d’un extraordinaire renouveau du patriotisme et du nationalisme au sein du pays tout entier ». Jean-Marie Le Pen va même plus loin, et annonce que cette victoire est celle « du Front National qui en a dessiné le cadre ». Le président du parti d’ajouter : « Qu’on ait cru devoir apprendre La Marseillaise aux joueurs de l’Équipe de France prouve une certaine lepénisation des esprits ». Une récupération politique assumée par le FN, qui contraste curieusement avec des déclarations préalables, au cours desquels M.Le Pen indiquait n’accorder à cet évènement – qu’il qualifie « d’épiphénomène » – que « l’importance relative qu’il mérite ».
Si le Front National se fait le principal porte-étendard de la joie des supporters, son discours quant au supposé patriotisme des joueurs est nettement plus nuancé. Nous avons vu précédemment que le parti a régulièrement rappelé les origines de certains internationaux, il s’est également illustré en fustigeant à de nombreuses reprises certains joueurs coupables de ne pas chanter l’hymne national. L’exemple le plus marquant reste celui de Karim Benzema, qui s’est plusieurs fois attiré les foudres des haut-dirigeants du FN. En 2013, le parti juge « insultante » l’attitude de l’attaquant français et appelle, sous la forme d’un communiqué, la Fédération Française de Football à l’exclure de la sélection nationale.
Cette stratégie de stigmatisation était déjà employée dans la rhétorique de Jean-Marie Le Pen, en 1998 avec pour principale cible Christian Karembeu dans des propos rapportés ci-dessus, ou en 2006 en pointant du doigt Fabien Barthez. « On devrait le mettre devant le choix. Quand on est membre d’une équipe nationale, on n’est pas là seulement pour gagner de l’argent, on est là pour représenter son pays », déclare alors le président du FN à propos du gardien des Bleus. Dans une interview pour Onze Mondial en mai 2016, Marine Le Pen affirme quant à elle que chanter la Marseillaise est « un devoir ».
Le devoir d’exemplarité des joueurs de l’Équipe de France
Au cours de son histoire politique, le Front National a toujours fait de « l’exemplarité » des hommes politiques l’un de ses principaux principes. À croire que politique et football jouent sur le même terrain, le parti a souvent formulé explicitement les mêmes demandes aux joueurs de l’Équipe de France. Dans ce cadre, les déboires extra-sportifs des Bleus à la fin des années 2000 et au début des années 2010 font office d’aubaine pour le FN. Dans les colonnes de Onze Mondial, Marine Le Pen revient sur ces différentes affaires : « depuis Krysna, ce ne sont que dérapages, scandales, affaires extra-sportives, chantages sordides, attitudes irrespectueuses envers le public, les arbitres et l’encadrement technique. Comment s’étonner dès lors que 67% des Français, selon un récent sondage, aient une mauvaise image de l’équipe de France ? ». Si le FN n’a pas le monopole de la critique – souvenez-vous des « caïds immatures » de Roselyne Bachelot – le parti s’est fait une spécialité de dénoncer la supposée mauvaise attitude de certains joueurs.
Lorsque Karim Benzema déclare en 2016 que Didier Deschamps a « cédé à une partie raciste de la France », les réactions frontistes ne se font pas attendre. Traité de « racaille » par des dirigeants du parti sous couvert d’anonymat, le buteur du Real Madrid est surtout la cible de commentaires de Marion Maréchal Le Pen. La petite fille de Jean-Marie, qui a depuis quitté le parti, poste un tweet équivoque : « Né et formé dans notre pays, Benzema est devenu multimillionnaire grâce à une France sur laquelle il crache aujourd’hui ». Marion Maréchal Le Pen rappelle ensuite les fameux propos tenus en 2006 par Benzema sur RMC, au cours desquels il avait déclaré que l’Algérie était « son vrai pays », avant d’ajouter : « qu’il aille jouer dans ‘’son pays’’ s’il n’est pas content ! ».
Outre la tournure xénophobe des propos de l’ex-députée, il est intéressant de les mettre en parallèle avec d’autres déclarations rapportées par Le Monde en 2016 : « Le foot ? Je m’en fous ». Pourtant, Marion Maréchal Le Pen n’a pas manqué de s’exprimer à ce sujet, à des fins électorales sans doute. Comme nous l’avons vu en introduction, les cadres du Front National n’éprouvent pas de particulière sympathie pour l’Équipe de France, et par extension pour le monde du football en général. Un constat que l’on peut presque établir pour les sympathisants du parti. Peu avant l’Euro 2016, près de 61% d’entre eux « n’éprouvaient pas de sympathie » à l’égard de l’Équipe de France, soit 9 points de plus que la moyenne nationale.
Ce double-discours en fonction de l’état des Bleus – que l’on pourrait qualifier d’opportuniste – démontre bien l’utilisation de la sélection nationale à des fins électorales. L’exemple le plus marquant est peut-être celui de la volte-face opérée par le Front National lors du barrage face à l’Ukraine en 2013, résumant à lui seul la dénonciation puis la récupération politique de l’Équipe de France. La veille du match, Marine Le Pen fait implicitement référence à la plaie toujours pas renfermée de l’épisode Knysna : « Tous ces évènements qui ont eu lieu et qui ont démontré une espèce de ramassis de gosses mal élevés qui ne suscitaient pas la fierté nationale », avant de relever une « vraie rupture avec le peuple français ». Un doublé de Mamadou Sakho et une qualification obtenue avec brio plus tard, le parti salue dans un communiqué un « élan de patriotisme réjouissant qui illustre toute la force des propos de Marine Le Pen : unis, les Français sont invincibles ». Pogba, Cabaye et Matuidi n’ont qu’à bien se tenir : le meilleur récupérateur lors de cette soirée historique, c’est bien le Front National.
Article intéressant
Effectivement intéressant et illustrant à merveille les contradictions politistes d’un parti contre la machinerie politique.
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