[EDITO] Mais au fait, c’est quoi, une « ville de foot » ?

« La ville du foot, c’est toujours Marseille. » Une phrase de Leonardo et un tollé dans la capitale. Au-delà du clivage Paris-Marseille, que cache la notion abstraite de « ville de foot » ? Tentative d’interprétation.

On peut reprocher beaucoup de choses à Leonardo. Pas son habileté à attirer l’attention vers lui. Fin connaisseur du jeu médiatique, le directeur sportif du PSG connaît la portée de ses sorties. A-t-il maîtrisé celle-ci ? Savait-il qu’il ouvrirait la boîte de Pandore lorsqu’il concédait, dans un élan de lucidité, que Marseille est « la seule ville du foot en France » ? Rien n’est moins sûr. Derrière l’honnêteté intellectuelle – ou la maladresse, c’est selon – se cache en réalité toute la complexité de la « culture foot ».

À remettre la citation dans son contexte, on trouve un fond de vérité. Les inconditionnels d’Auteuil et Boulogne y compris n’ignorent pas la jeune – mais riche diront-ils – histoire du PSG. Que Paris ne soit pas (encore) de la caste des géants d’Europe, soit. Que le Parc des Princes n’ait jamais pleinement retrouvé sa chaleur d’antan, que le brasier du Vélodrome soit un merveilleux théâtre de ballon rond, allons-y également. Dans un monde où tout n’est qu’affaire de comparaisons, regarder vers le voisin tient du sens commun. Que « Leo » tire sur l’ambulance déjà malade du football français, en revanche, ne passe pas. « La » ville du foot, seule et unique, piétine pour beaucoup les histoires lensoise, strasbourgeoise ou stéphanoise. Des clubs à la ferveur intacte, transmise de génération en génération, peu importent les déceptions sportives et les passages dans l’antichambre. D’authentiques « villes de foot », a priori.

Ville de foot, quels critères ?

Il a connu le Brésil, l’Espagne et l’Italie, alors lui le dit : dans notre doux pays, tout reste à bâtir. Si le PSG peine en Ligue des Champions, au fond, ce n’est ni une question d’entraîneurs, ni d’investissements, ni la faute à sa gestion interne. Le directeur sportif se dédouane de maux qui ne sauraient se régler à grands renforts de billets de banques. « Les autres clubs qui ont gagné dans les années 1970, comme l’Inter ou l’Ajax, ont été fondés dans les années 1890. Il y a une culture dans la ville à construire. » développe-t-il. Paris, capitale et emblème du foot français, pâtit d’une inculture, d’une lacune de socialisation footballistique. Elle est une terre de footballeurs, pas une terre de football. Il y a de l’éducatif là-dedans : le goût, la compréhension de notre sport s’apprennent, s’inculquent par petites touches comme on enseignerait les règles de bonne conduite à un enfant. Le PSG et ses 50 ans d’existence, sur la scène européenne, font encore figure d’enfant.

Mais, qu’est-ce au fond qu’une « ville de foot » ? Une ville où le cuir règne en seul maître ? Il y a sans doute de cela, quoique les ballons ronds et ovales coexistent en harmonie outre-Manche. Une ville dont les habitants garnissent les tribunes en masse ? Le taux de remplissage du Parc des Princes effleure les 100%. L’ambiance n’y est pas (ou plus) exceptionnelle ? Passé son « You’ll never walk alone », Anfield se fait parfois calme, pourtant Liverpool sonne comme la « ville de foot » par excellence. Une ville qui soutient dans le succès comme dans l’échec, alors ? On peut reprocher bien des choses au peuple bleu-et-rouge, pas son infidélité au moment où son club végétait en bas-fond de classement (la fameuse ère pré-qatarie). Même le Vélodrome, d’ailleurs, a pu voir son public déserter ses travées. Définitivement non, la « ville de foot » ne se juge pas à la quantité.

La difficile cohabitation entre football et culture

La « ville de foot » serait alors une affaire de sens, une histoire d’intuition. Plébéienne et romantique, elle se réveille football, vit football, dort football. La passion résonne de son nord à son sud, de son est à son ouest. Chaque jour de match, elle se pare de maillots et drapeaux et épouse les couleurs de son club. Au comptoir comme au restaurant, les discussions commencent et se concluent par lui. Une « ville de foot » le respire et s’y dédie. Où que vous soyez, dans le métro comme dans un café, aux abords du stade ou à l’autre extrémité, s’il y a match, vous le saurez. À Liverpool ou à Séville, la cité entière se teint en rouge – ou en vert-et-blanc pour la seconde – chaque week-end ; tous les quartiers de Marseille et Naples transpirent la passion partisane en ciel et blanc. Le football subordonne la société et rythme les modes de vie de ces cités à l’essence populaire.

À ce jeu, le PSG est perdant, c’est vrai. Le Paris du baron Haussmann, royaume du « bobo », panthéon mondial de l’art et la culture, coche peu de cases du football du peuple. En France, faire coexister la gastronomie, les bonnes œuvres et les musées avec le football relève de l’impossible. « Ce n’est pas parce que la richesse et la beauté de la Ville Lumière ne se limitent pas au foot que nous ne sommes pas une ville de foot » plaidait le Collectif Ultras Paris. Derrière la notion vague, la vieille rengaine de l’amour exclusif, la difficulté de partager et, surtout, la difficile cohabitation entre football et culture. Et ça, à Paris, Leonardo pourra difficilement en changer.

0 Partages