[EDITO] La Ligue 1 doit mourir

Après une 10e journée particulièrement triste, la trêve internationale devait nous permettre d’oublier les tourments de notre Ligue 1 domestique. Las, le championnat ne finit jamais de nous surprendre, même lorsque l’on n’en attend rien, avec cette fois l’annonce d’un éventuel passage à 18 équipes. Mais à force de regarder son porte-monnaie, la Ligue 1 oublie la raison même du sport-spectacle : le spectateur.

Un marasme sportif et des audiences qui plongent

Le week-end du 1er novembre, le Grand Prix d’Emilie-Romagne en Formule 1 a attiré autant de téléspectateurs sur Canal + que les deux affiches de Ligue 1 réunies. Seuls 500 000 passionnés ont ainsi regardé Nantes-PSG et Monaco-Bordeaux, pourtant placés à des horaires stratégiques. De quoi s’arracher les cheveux pour la chaîne cryptée : mais que diable ses abonnés pouvaient-ils faire de plus intéressant en ces premiers jours de reconfinement ? L’esprit pas si tordu retournerait plutôt la question, et se demanderait pourquoi sacrifier un samedi, même confiné, devant un tel spectacle. Les stades sont vides, les matches insipides, les diffuseurs télé éparpillés et la VAR surutilisée. Bref, la Ligue 1 patine et creuse sa tombe dans l’indifférence totale.

Sportivement d’abord, la Ligue 1 ne séduit plus et affiche des carences indignes d’un grand championnat. Même drastiquement diminué par un calendrier infâme et une ribambelle de blessés, le Paris Saint-Germain écrase une « concurrence » qui ne semble guère vouloir être qualifiée comme telle. Les autres « locomotives » se noient dans la vapeur de prestations sans relief pointées d’une irrégularité chronique.

Les humiliations européennes à répétition ne changent pas d’un iota les positions de dirigeants hors-sol, qui ne s’inquiètent pour rien au monde des zéro tirs cadrés par le deuxième de la dernière Ligue des Talents en C1. Même Nice, dont le projet sportif est salué à juste titre, a encaissé dix buts en trois matchs d’Europa League et perdu face au Slavia Prague, représentant du dix-neuvième championnat au coefficient UEFA. La seule embellie lilloise paraît bien maigre face à ce bilan désastreux, et il n’est pas impossible que la bande à Galtier soit l’unique club français encore en lice en février.

Yazici et le LOSC, seuls bons élèves de Ligue 1 en Europe (© Bein Sports)
Le sportif, loin d’être la priorité de la LFP

Pendant ce temps, loin de se préoccuper de l’intérêt du public pour son produit, la LFP continue de chercher à gonfler ses revenus. L’affaire Médiapro aurait pu inciter la Ligue à revoir ses priorités, ou du moins à produire une réflexion sur ses pratiques. La recherche effrénée de droits TV mirobolants l’a poussée à aller vers le mieux-disant, sans tenir compte de l’accessibilité de son produit et de la fiabilité d’un diffuseur encore inconnu.

Aujourd’hui, Médiapro refuse de payer l’échéance d’octobre à la LFP et tente de renégocier le contrat à la baisse. En plus des difficultés économiques qui s’annoncent pour la Ligue, le nombre d’abonnés à Médiapro (600 000, selon le groupe sino-espagnol) rappelle que la Ligue 1 n’est pas un produit aussi attractif que ses pendants anglais, allemands ou espagnols, et que le public n’est pas disposé à payer 25€ par mois pour un niveau de jeu affligeant.

Pourtant, la LFP regarde ce qui se fait à l’étranger. Vincent Labrune souhaite ne « pas faire l’économie d’une réflexion poussée sur la création d’une filiale commerciale qui gère directement les droits de nos championnats », comme l’ont fait les championnats étrangers, notamment l’Italie. La LFP pense également réduire le nombre de clubs à 18 engagés en Ligue 1, sur le modèle de la Bundesliga. La raison principale de cette réflexion est de répartir les droits TV avec un nombre limité de clubs, pour augmenter les recettes de chacun. Un championnat à 18 permettrait également de réduire le nombre de matchs, et donc d’améliorer le niveau de jeu du championnat.

Le problème, c’est que la LFP ne regarde qu’une partie de ce qui se fait ailleurs, en l’occurrence la quête de moyens supplémentaires. Elle ne cherche surtout pas ce qui, dans la structuration des ligues et des clubs, dans les projets de formation et dans le jeu, l’essence même du football, permet à ces championnats d’être meilleurs. Car la question du niveau du championnat repose également sur les clubs, qui ne sont pas plus préoccupés par l’attractivité de la Ligue 1 que la LFP. 

Les clubs, entre médiocrité et enrichissement

Pendant que ce triste spectacle se déroule sous des yeux de moins en moins nombreux, les clubs ne se préoccupent guère de la baisse d’attractivité de la Ligue 1. On exagérerait à peine en affirmant que le sportif est le cadet des soucis d’une bonne moitié d’entre eux. Le graal recherché se trouve dans les billets violets plutôt que sur le rectangle vert, et l’on imagine davantage les dirigeants célébrer au champagne une vente de plusieurs millions qu’une victoire avec la manière.

Si la problématique paraît aujourd’hui désuète, on se rappelle avec effroi l’augmentation du prix des places au Vélodrome ces dernières années, inversement proportionnelle à la qualité du jeu marseillais. Pendant que les Girondins s’enlisent dans un désastre footballistico-financier, le propriétaire King Street juge bon de dépenser les quelques euros restants dans un nouveau logo, question d’image « de marque ». Et tant pis si le supporter bordelais n’a pas goûté à un latéral gauche de qualité depuis le départ de Trémoulinas en 2013.

Dans ce marasme sportif, l’enjeu qui obsède nos locomotives reste de se qualifier en Ligue des Champions. En ce sens, l’OM représente un cas d’école. Le club enchaîne les prestations insipides en poules ? Pas grave, l’important est « d’y être », sous-entendu de toucher les dizaines de millions d’euros de la très lucrative UEFA, même pour faire « de la merde », dixit Villas-Boas. Le technicien portugais se satisfait ainsi pleinement d’une prestation frisant le ridicule à Strasbourg : les trois points sont là, et représentent un sésame de plus dans la course effrénée aux millions.

Face à cet OM pataud, le Racing n’a même pas essayé, trop occupé qu’il était à défendre le point déjà acquis au coup d’envoi. Il faut dire que Thierry Laurey n’avait pas facilité la tâche de ses joueurs en alignant six défenseurs sur le terrain. Là encore, le coach de Strasbourg applique son plan à la lettre pour y « rester », et donc continuer de toucher les droits TV de la L1 – si tant est qu’il soient versés. 

Drôle de philosophie que de croire que l’on ne peut se maintenir autrement qu’en bétonnant. Que les Strasbourgeois se rassurent, s’ils font ici office de bouc-émissaire, ils sont loin d’être les seuls concernés. D’autant que le contexte les conforte dans cette idée : qui dit match à huis-clos dit absence de sifflets à Lyon, de chants hostiles à la direction de Bordeaux ou de banderoles anti-Kita à Nantes. En somme, plus l’once d’un contre-pouvoir visible contrecarrant les velléités d’enrichissement de nos chers dirigeants.

Là où Strasbourg et consorts se trompent sur toute la ligne, c’est lorsque leur jeu souvent insipide les condamne à l’oubli. De la douzaine de clubs du « ventre-mou » de Ligue 1, Lens et Brest sortent du lot en ce début de saison. Qu’ont-ils de plus qu’Angers, Lorient, Nantes, Bordeaux ou Saint-Etienne ? Structurellement, pas grand chose. C’est bien par leur fond de jeu et leur envie décomplexée que ces irréductibles attirent l’attention. Ô surprise, le spectateur neutre privilégie les envolées d’un Brest-Lille à la frilosité d’un Bordeaux-Montpellier. Pour adopter un langage qui résonne plus dans les oreilles de la LFP, un fond de jeu attrayant garantit une mise en avant médiatique, un afflux de recruteurs étrangers et une augmentation des abonnés télévisés. Et donc, des retombées économiques plus importantes.

La Superligue sauvera-t-elle la Ligue 1 ?

Dès lors, comment faire revenir le public vers la Ligue 1 ? La réponse se trouve peut-être dans l’autre projet footballistique qui fait la une cet automne : la fameuse Superligue européenne portée par la FIFA et les mastodontes du football européen, parmi lesquels Liverpool, Manchester United ou Barcelone. Une ligue fermée, sur le modèle des compétitions nord-américaines, qui garantirait aux clubs des revenus pharaoniques, sans condition de résultat.

Les dernières rumeurs indiquent que trois clubs français pourraient être intégrés à cette ligue : le PSG, l’OL et l’OM. Jackpot pour tout le monde ! Le championnat de Ligue 1 retrouverait son suspense, débarrassé du club parisien qui truste tous les titres nationaux et pour qui la Ligue 1 est trop petite. Les Olympiques épargneraient leurs supporters qui n’entendraient plus Jean-Michel Aulas parler d’Ebitda quand on le questionne sur le fond de jeu, ou qui ne trembleraient plus face à un nouveau record de défaites en Ligue des Champions. 

Dans une compétition plus ouverte, les autres clubs de Ligue 1 pourraient alors faire preuve d’audace et jouer au football pour atteindre leurs objectifs sportifs, puisque l’intérêt économique serait proche du néant. Les écarts entre les clubs seraient réduits, et l’intérêt pour le championnat repartirait à la hausse. On repart à zéro, sans argent mais pour prendre et donner du plaisir. Laissons les clubs qui souhaitent s’enrichir le faire entre eux, dans des stades aseptisés et édulcorés de bandes sonores imitant les supporters, et gardons pour nous le football indécis, parfois indigent, mais tellement plus plaisant.

En somme, pour survivre, la Ligue 1 doit mourir. 

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