Un sous-marin jaune en Méditerranée orientale !

Dans le groupe 1 d’Europa League 2020-2021, Villarreal fait figure d’ogre, et il ne fait aucun doute que la présence du sous-marin jaune en Coupe d’Europe soit une excellente nouvelle pour le jeu. Mais lorsque l’on a vu le tirage au sort, on a surtout pensé aux trois autres équipes : Qarabag Aqdam, Sivasspor, Maccabi Tel-Aviv.

Azerbaijan, Turquie, Israel : trois pays qui sonnent bien plus géopolitique que football ces derniers temps. En plein conflit armé entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie dans le Haut Karabakh, les trois États se sont récemment unis dans une improbable coalition face à l’Arménie, aidée par la Russie. Mais ces clubs ne sont pas des marionnettes aux mains du pouvoir, comme peut l’être Basaksehir en Turquie. Ils ne sont pas farouchement pro, ni anti pouvoir, et leurs rencontres ne sont pas particulièrement instrumentalisées. Mais aller jouer à Tel-Aviv, à Sivas ou à Bakou, ce n’est pas tout à fait la même chose qu’un déplacement à Séville, Rotterdam ou Glasgow. Retour sur l’histoire de ces trois clubs peu connus, les raisons de leur présence en Europa League, et les contextes politiques dans lesquels ils évoluent.

Pourquoi des équipes asiatiques jouent-elles en coupe d’Europe ?

La Turquie dispute l’Euro, Israël tente régulièrement de s’y qualifier, et la zone qui relève de l’UEFA comprend toute l’ancienne URSS, y compris des États d’Asie centrale comme le Kazakhstan et l’Ouzbékistan. Cette année, l’équipe la plus à l’Est à avoir participé aux tours préliminaires de l’Europa League était Almaty (au Kazakhstan). Parmi les fédérations asiatiques membres de l’UEFA, chacune a sa logique historique propre.

Le club le plus oriental à s’être qualifié pour la phase de poules d’Europa League 2020-2021 est le FK Qarabag Agdam. Pour le champion d’Azerbaïdjan en titre, la participation aux coupes d’Europe plutôt qu’aux coupes d’Asie est une conséquence de l’appartenance passée de l’Azerbaijan à l’URSS. Depuis la dissolution de l’Union Soviétique (dont les clubs disputaient la Coupe d’Europe des clubs champions), les États qui en sont nés n’ont jamais remis en cause leur appartenance à l’Europe du football. Bien que l’État soit entièrement au Sud de la chaîne du Caucase, qui sert aux géographes de frontière physique entre l’Europe et l’Asie, la Fédération Azerbaïdjanaise de Football est donc membre de l’UEFA. La finale de l’Europa League 2018-2019 s’est d’ailleurs disputée au stade olympique de Bakou, la capitale.

La Turquie a longtemps été membre de la Confédération Asiatique. La partie européenne ne représente que 3% de son territoire et 12% de sa population. Mais en 1962, à la suite d’un bras de fer avec la FIFA qui voulait voir le pays rester au sein de l’Asie du football, l’UEFA a accepté la demande d’intégration de cette nouvelle fédération. Les raisons sont ici avant tout sportives et commerciales. Les clubs turcs et l’équipe nationale font face à une plus forte opposition, et sont ainsi tirés vers le haut par le niveau du football européen. Au niveau financier, l’exposition médiatique et les revenus qui découlent des coupes d’Europe sont immenses. Cela permet aussi d’attirer de meilleurs joueurs dans le championnat turc, et de placer plus facilement les meilleurs joueurs turcs dans les grands championnats européens.

Le cas d’Israel est encore différent. Le voisinage hostile de l’État hébreu a souvent opposé des boycotts à ses différentes équipes de sport. En 1958, la Turquie et l’Indonésie ont refusé de disputer les qualifications à la coupe du monde face à un État qu’ils ne reconnaissent pas. Pourtant, à sa création, Israel avait logiquement rejoint la Confédération asiatique de football. Finaliste de la Coupe d’Asie 1956 et 1960, puis vainqueur en 1964, la fédération israélienne est exclue des compétitions asiatiques en 1974. Elle est un temps accueillie par la zone Océanie, où elle manque de peu la qualification à la Coupe du monde 1990. Puis en 1992, l’UEFA l’intègre et le champion d’Israel prend part à la première Ligue des Champions. Désormais, le Maccabi Haïfa, l’Hapoel Tel-Aviv, le Maccabi Tel-Aviv et le Beitar Jérusalem font partie du paysage du football européen.

Qarabag FK : porte drapeau de la ville disparue d’Agdam.

Le Qarabag Futbol Klubu est un club de la ville d’Agdam, dans la région du Haut-Karabakh. Depuis 1993 et la guerre qui opposa l’Arménie à l’Azerbaïdjan, le club a déménagé à Bakou. Il n’est jamais revenu à Agdam et n’est pas prêt de le faire, étant donnée la recrudescence de violence armée entre les deux États qui se disputent la souveraineté de la région. À vrai dire, Agdam n’existe plus vraiment. À 25km de la capitale régionale Stepanakert, cette position stratégique a enregistré 30 000 morts au début des années 1990 avant que la zone ne soit placée sous contrôle arménien. La destruction quasi-totale des bâtiments n’a épargné que la mosquée. Plus personne n’y vit aujourd’hui. Les footballeurs du Qarabag FK continuent d’arborer le nom de cette ville en ruines comme un hommage, mais c’est devenu un club de la capitale. Les ultras, la direction, le vivier de jeunes joueurs, le stade… tout de ce club se trouve désormais à Bakou. Contrairement au Chakhtior Donetsk, qui a fui le Donbass depuis la guerre mais espère toujours y retourner, le club d’Agdam ne se fait plus d’illusions sur la possibilité d’un retour dans sa ville d’origine. C’est un club extrêmement populaire en Azerbaïdjan car il incarne l’une des grandes causes nationales, mais également grâce au jeu léché qu’il pratique depuis 2008 et l’arrivée au club de l’entraineur Gourban Gourbanov. Toujours en poste après douze saisons, le meilleur technicien azéri du XXI° siècle s’inspire du tiki-taka barcelonais et chaque sortie de son équipe suscite un grand enthousiasme à Bakou.

Sivasspor : pour concurrencer les clubs d’Istanbul

Sivas est située en Anatolie, à plus de 800km du centre économique du pays (Istanbul), et à 400km de la capitale Ankara. C’est une ville de taille comparable à Bordeaux ou Strasbourg, la 25ème du pays. Il y a un siècle, la région était le théâtre de la révolte des tribus Koçgiri, qui s’opposèrent au pouvoir ottoman et réclamèrent la création d’un État kurde. Depuis, la ville est un terrain d’affrontement farouche entre différentes idéologies. Les Sunnites et les Alévis y sont présents en proportions comparables. L’islam de la communauté sunnite de Sivas est particulièrement rigoriste, alors que celui pratiqué par les Alévis est taxé de laxiste par les premiers. Les politiciens locaux ne manquent pas d’instrumentaliser cette opposition, l’extrême droite accaparant les voix sunnites et l’extreme gauche celles des Alévis, souvent des Kurdes. En 1993, une émeute de 15 000 fidèles sunnites en protestation à la tenue d’un festival alévi se solda par la mort de 37 personnes. Dans cette ville divisée, Sivasspor émerge depuis 2007-2008 comme un des clubs phares du championnat turc, en tentant de transcender les clivages locaux et de mettre à mal la mainmise stambouliote sur le championnat. Loin d’être un acteur volontaire de réconciliation, le club permet néanmoins aux deux parties de la ville de trouver une passion commune. Avec une majorité de joueurs étrangers dans son effectif, Sivasspor évite d’être associé à une communauté plutôt qu’une autre. Après trois échecs en tours préliminaires, le club accède cette saison pour la première fois aux phases de groupe de l’Europa League.

Maccabi Tel-Aviv : le Doyen du sport israélien

Le Maccabi Tel-Aviv est le premier club sportif juif fondé en Palestine ottomane, en 1906. Pour ces raisons historiques, c’est un porte-étendard important du football israélien. Le club, double champion en titre, est aujourd’hui une multinationale dont le propriétaire est canadien, le président anglais et l’entraineur grec. C’est le club le plus populaire et le plus titré du pays, même si l’équipe la plus supportée de la ville est son grand rival, l’Hapoël Tel-Aviv. Tout comme les Dinamo et Lokomotiv dans l’Europe communiste, le football israélien est marqué par les Maccabi (les « maccabés », club généralement proche de la religion et aux supporters conservateurs) et les Hapoël (« ouvrier », club généralement de gauche, proche des mouvances communistes, antifascistes et antiracistes). Tel-Aviv ne fait donc pas exception, et le club bleu (Maccabi) est depuis 2010 dans une phase de domination du club rouge (Hapoël). Les deux ont pour rival commun le Beitar Jérusalem, dont les ultras, proches du Likoud (le parti de droite dure du chef de l’Etat Benyamin Netanyahu), se font remarquer pour leur nationalisme zélé et leur racisme anti-arabe. La position intermédiaire et peu clivante du Maccabi Tel-Aviv lui permet de jouir d’un soutien unanime en Israël lors de ses matchs de coupe d’Europe.

Face à l’effectif indéniablement supérieur de Villarreal, les trois équipes les plus orientales de cette édition d’Europa League auront fort à faire pour aller chercher une place qualificative pour la suite de la compétition. Mais pour l’(les) heureux élu(s), c’est une occasion en or de s’installer sur la carte du football européen.

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