Monza, le nouveau rêve de Berlusconi
En septembre 2018, Silvio Berlusconi rachète le club de l’AC Monza, alors pensionnaire de Serie C. Dans la foulée, il Cavaliere annonce : « Les joueurs ne devront pas avoir de tatouages, de barbe, de boucles d’oreilles. Ils seront polis avec l’arbitre, en l’appelant toujours ‘monsieur’ et ils s’excuseront auprès de leurs adversaires après des fautes ». Deux ans plus tard, après avoir validé son billet pour la Serie B, le club annonce l’arrivée de Kévin-Prince Boateng. Force est de constater que Berlusconi est capable de faire des concessions pour réaliser son rêve : amener Monza dans l’élite du football italien.
Football Manager dans la vraie vie
Sortir son club de cœur d’une situation compliquée pour l’amener au sommet, c’est un rêve que tout bon joueur de Football Manager souhaite assouvir. Pour Silvio Berlusconi, c’est une réalité. En 1986, lorsqu’il achète le Milan AC, les Rossoneri sont au plus mal. Le club a connu une relégation administrative en Serie B après le scandale du Totonero en 1980. De retour en Serie A une année après, c’est le terrain qui envoie de nouveau Milan à l’échelon inférieur en 1982. À cela s’ajoutent de graves difficultés financières, faisant traverser au club une des pires crises de son histoire. Berlusconi, accompagné de son éternel acolyte Adriano Galliani, remet le club à l’endroit en investissant des sommes colossales, issues de sa fortune familiale. Trente ans plus tard, quand il revend le club à des investisseurs chinois, le Milan AC a raflé 29 trophées, dont 5 Ligues des champions et 8 Serie A. Un bilan exceptionnel.
Si il Cavaliere ne pourra sûrement pas accompagner Monza sur un si long terme, son ambition de l’amener pour la première fois de son histoire en Serie A est réalisable. Après avoir écrasé la Serie C l’an dernier (16 points d’avance sur son dauphin lors de l’arrêt du championnat en février), l’AC Monza se donne les moyens de réussir. Galliani (qui est né à Monza) est toujours là, et a constitué avec Berlusconi un organigramme capable d’atteindre l’objectif clairement assumé de rejoindre l’élite du football italien. L’équipe est entraînée par Cristian Brocchi, ancien joueur formé à Milan, éternelle doublure de Gattuso lors de la dernière période dorée des Rossoneri. Il connaît donc bien le mode de fonctionnement de l’ancien président du Conseil italien. De plus, si Paolo Berlusconi, frère de, est le président du club, personne n’est dupe. C’est bien Silvio le boss. Onze joueurs sont venus renforcer le club durant le mercato, dont un Kévin-Prince Boateng certes vieillissant, mais qui constitue l’attraction première de la deuxième division italienne (avec la légende Jérémy Ménez, peut-être, à la Reggina). Après avoir créé le plus grand Milan de l’histoire, Berlusconi veut être à la tête de la meilleure équipe connue par Monza, et faire rêver ses supporters. Quitte à évoquer publiquement les éventuelles signatures d’Ibrahimović ou Kaká, pourtant retraité depuis trois ans.
Berlusconi le romantique
Pourquoi, à 84 ans aujourd’hui, investir dans un club qui n’a jamais connu l’élite du football italien ? En 2017, après avoir vendu l’AC Milan aux nouveaux propriétaires chinois, Berlusconi déplorait l’impossibilité pour lui de pouvoir assurer la pérennité financière des Rossoneri : « Je laisse aujourd’hui, après plus de 30 ans, le titre et la charge de président du Milan. Je le fais avec douleur et émotion mais en étant conscient que le football moderne implique pour être compétitif au plus haut niveau européen et mondial des investissements et des ressources qu’une famille seule ne peut plus assumer ». La revente forcée du Milan AC coïncide avec les difficultés connues par le traditionnel capitalisme familial italien. Secoué par la crise de 2008, celui-ci n’a jamais su retrouver ses couleurs d’antan. Dans le football, cette décadence a eu pour symbole les ventes de l’Inter (détenu par Moratti), de la Roma (Sensi) et, donc, du Milan. Amener de nouveau un club au plus haut niveau constituerait une forme de revanche pour Silvio Berlusconi et sa fratrie. Titiller son Milan, aujourd’hui détenu par le fonds vautour Elliott Management, trône dans la tête du Cavaliere. Les deux clubs se sont même affrontés cet été en amical, avec un succès 4-1 des Rossoneri à la clé.
Prendre la tête de Monza apparaît également comme un cadeau offert à Adriano Galliani, éternel bras droit de Berlusconi. Lors de l’officialisation de l’arrivée du tandem en terres lombardes, il se réjouit d’arriver dans son club : « disons que j’ai été en prêt durant trente-et-un ans au Milan AC, puisque mon ADN, c’est Monza ». Pour Galliani, Monza est un « choix romantique, un acte d’amour de Berlusconi » pour une région dans laquelle il vit depuis de nombreuses années. Mais Berlusconi, c’est aussi un amour réel du football, et des footballeurs. Il est grandement impliqué dans le fonctionnement du club, descend régulièrement dans les vestiaires pour discuter avec l’entraîneur et ses ouailles, comme il l’a toujours fait avec Milan. On ne change pas une équipe qui gagne. Les joueurs ont même eu le privilège d’être invités, pour Noël, dans la fameuse villa du Cavaliere, située à quelques encablures du stade Brianteo (renommé U-Power Stadium depuis un mois), enceinte du club.
Un lion politique ne meurt jamais
Créer une épopée avec le club d’une ville mythique du sport automobile italien permettrait aussi de consolider l’aura, le soft power d’Il Cavaliere. S’il aime profondément le football, il sait que les Italiens aussi. Après avoir marqué la culture footballistique et populaire avec son grand Milan, amener Monza sur la carte du ballon rond en Italie accroîtrait sa légende. Football et politique sont liés en Italie, le ballon rond y est un vecteur majeur de construction patriotique et régionale. Et Silvio Berlusconi ne compte pas renoncer à cet outil. Si son parti Forza Italia (dont le nom est un clin d’oeil appuyé aux tifosi de la Nazionale) est en perte de vitesse depuis quelques années, il n’est pas hors de la scène politique transalpine : Berlusconi siège actuellement au Parlement européen, dont il est le vétéran. Dans les colonnes du Point, le politologue Giovanni Orsina affirme que Berlusconi « joue désormais sur le fait que lui et son parti sont l’unique trait d’union entre les populistes (Salvini et Meloni) et l’Europe », mais qu’il n’est « plus un leader politique qui doit être au cœur de l’action. Il n’a plus ce besoin d’être dans le centre de la capitale à mettre les mains dans le cambouis ».
Entre la politique et le football, le parallèle se dresse pour Berlusconi : son poids est moins important, mais il est toujours bel et bien là. Et sa volonté initiale de bâtir une équipe « 100% italienne » n’est sans doute pas étrangère à sa volonté de parler à un électorat qui lui échappe de plus en plus. Berlusconi se fait en effet dépasser par la droite par la Ligue du Nord depuis de nombreuses années, mais aussi par le parti Fratelli d’Italia, qui forment avec Forza Italia la coalition de centre droit du pays. L’historien Marc Lazar explique lui dans son article « Intelligence de l’Italie » (2003), paru dans la revue Pôle Sud, que Berlusconi aime flatter, « non sans démagogie », l’orgueil italien en « émaillant ses interventions de clichés sur les caractéristiques supposées des Italiens qui font mouche (leurs inclinations aux plaisirs, leur penchant pour la gastronomie, leur esprit de séduction, leur ardeur au travail, leur capacité à se débrouiller, leur faculté à se jouer des lois, leur amour du football etc) ». Son implication à Monza répond à cette stratégie adoptée depuis des décennies. Le football est une pièce majeure du tentaculaire écosystème de Berlusconi, c’est pourquoi il n’a pas hésité une seconde quand Galliani lui a soufflé que Monza était à vendre.
Après trois journées de championnat cette saison, l’AC Monza compte trois matchs nuls, pour un but marqué. Des débuts timides qui ne doivent toutefois sûrement pas effriter l’inébranlable confiance de Silvio Berlusconi. Affaire à suivre.