Géorgie-Biélorussie, vents contraires sur le Caucase

La rencontre entre la Géorgie et la Biélorussie, prévue le 8 octobre prochain dans la capitale caucasienne Tbilissi, est frappée d’une dichotomie politique profonde entre deux pays guidés et menés par des vents contraires.

En demi-finale de barrage qualificatif pour l’Euro, deux nations au passé commun mais à la dynamique politique et sociale opposées croiseront le fer au stade Boris Paichadze, du nom du héros du Dinamo Tbilissi (il y a passé toute sa carrière, entre 1936 et 1951), qui sonne comme un anachronisme tant le décor de la ville a mué depuis. Ce match revêt un caractère unique, théâtre d’un affrontement entre deux nations dos à dos, l’une tournée vers l’Europe occidentale, l’autre fermement fidèle aux vestiges de l’ex-URSS.

Une Géorgie progressiste et désenclavée qui regarde vers l’ouest

Dans une république caucasienne portée par la modernité de sa capitale Tbilissi, les souvenirs de l’ex-URSS s’embrument au fur et à mesure que la société géorgienne amorce des profondes mutations. L’indépendance prononcée en 1991 n’a pourtant pas été salutaire dans un premier temps. Entre corruption et crise économique, il faut attendre le premier mandat de Mikheïl Saakachvili, au courant des années 2000 (2004-2013) pour observer une réelle mutation de la société caucasienne. Résolument partisan d’un rapprochement de la Géorgie avec l’OTAN et l’UE, il opte pour un virage néolibéral misant sur le tourisme et l’accueil de capitaux étrangers. Il faut dire que le charme de la capitale et les grands espaces qu’offre le Caucase sont autant de destinations privilégiées par les touristes les plus farouches. Toutefois, le photographe Julien Pebrel (qui sillonne la Géorgie depuis 2017) pointe pour le quotidien Le Monde (en juillet dernier) des disparités marquantes : « Le gouvernement essaie de vendre à l’étranger une image résolument moderne, avec notamment Tbilissi, sa scène musicale et artistique, ses nouveaux lieux branchés, mais de nombreux endroits sont restés coincés dans la dépression post-soviétique, confrontés aux mêmes problématiques depuis trente ans : désindustrialisation, chômage massif, abandon de l’Etat. » Aujourd’hui, le territoire, orphelin des flux massifs de touristes, reste soumis à la juridiction de la pandémie et espère entrevoir la lumière d’ici la fin de l’année.

Si la Géorgie dénote par un progressisme plus marqué que ses voisins, lui valant d’être l’un des rares pays de l’ancienne zone soviétique à avoir interdit en 2000 la discrimination à l’encontre des personnes LGBT, Mikheïl Saakachvili s’attache néanmoins à normaliser les relations du pays avec la Russie, au gré des épisodes douloureux découlant du séparatisme des régions montagneuses de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Lors de l’été 2008, Moscou et Tbilissi entrent en guerre. À la suite de cette dernière, le Kremlin reconnaît l’indépendance des deux territoires qui demeurent encore aujourd’hui dépendants économiquement et militairement de la Russie. Depuis, le gel de la guerre n’empêche pas les divers pieds de nez d’un Kremlin avide de provocations envers un pays invariablement prisé des touristes russes (chaque année, ils sont plus de 1,5 million à visiter l’hospitalière Géorgie). L’antagonisme Moscou-Tbilissi est un moyen pour la Russie de perturber le rapprochement occidental de la Géorgie dont la nature des relations internationales, jugées cordiales avec la grande majorité de ses voisins caucasiens et de l’Europe de l’Est, mais surtout avec les États-Unis, provoquent le courroux du Kremlin. Cette entente salutaire sert à Saakachvili, accusé de corruption et d’instiguer des mesures autocratiques par l’opposition locale. La politique extérieure du dirigeant alimente sa légitimité et sa popularité hors des frontières, popularité qu’il cultive à la faveur de la capitale Tbilissi, écrin de modernité éclipsant les méandres des populations exclues des exodes ruraux.

Dernier exemple probant du relatif progressisme du pays au vu de son contexte spatial, la victoire d’une femme lors de l’élection présidentielle de 2018, Salomé Zourabichvili. Née à Paris d’une famille d’immigrés géorgiens, elle renonce à sa nationalité française comme le prescrit la Constitution géorgienne afin de briguer l’investiture présidentielle. Nourrie d’une aversion viscérale envers Saakachvili dont elle soupçonne la symétrie de ses méthodes avec celles du régime soviétique, on observe néanmoins, d’un regard extérieur, une filiation palpable des idées d’européanisation de Saakachvili malgré les dissensions évidentes entre les deux investis. Salomé Zourabichvili, malgré sa relation ambivalente avec Moscou, n’en demeure pas moins un symbole exhaustif d’une démocratie francophile respectueuse des normes de l’Union européenne qu’elle ne cesse de s’évertuer à séduire comme elle a su le faire avec les millions de visiteurs fascinés par ses terrains atypiques au charme onirique.

Côté football, la fédération géorgienne devient dès 1992 membre de l’UEFA, lui permettant de concourir pour les compétitions européennes. Depuis, malgré quelques victoires de prestige devant la Russie, l’Albanie ou l’Espagne, la sélection géorgienne traverse une longue période de vache maigre. Acmé de cette ère creuse, en 2008, le premier match comptant pour les éliminatoires de la Coupe du monde 2010 (contre l’Irlande) que la sélection géorgienne est contrainte de jouer au Stadion am Bruchweg, propriété du FSV Mayence 05 en Allemagne. La raison ? Le conflit actif avec la région de l’Ossétie du Sud, dont le contexte martial écarte toute possibilité de manifestations sportives.

La Biélorussie, sous l’ombre du Kremlin, nostalgique et conservatrice

Second acteur de la joute automnale du 8 octobre, la République de Biélorussie, a contrario de l’européenne Géorgie, vit au rythme de Moscou, nostalgique du régime soviétique. Minsk, dernier bastion conservateur estampillé ex-URRS, cultive son passé soviétique. Personnification de cette promiscuité avec Moscou (qu’il convient de nuancer tant Loukachenko cultive le soin de jouer sur plusieurs tableaux), le régime autoritaire d’Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 1994 et 5 mandats (le gain du 6ème est fortement remis en question par la population), tourne le dos au capitalisme pour une économie et une gestion des ressources contrôlées et soutenues par l’appareil étatique. Le pays s’appuie sur une industrie locale, contribuant à hauteur de 36% au PIB en 2018 (source : UNCTAD), ainsi qu’un modèle social, à l’instar de l’ère soviétique, promouvant les services publics. Le principal partenaire commercial du pays demeure son voisin russe, omniprésent dans les importations biélorusses. La Russie est présente sur 10 des 18 traités de libre-échange auxquels adhère la Biélorussie, dont aucun n’est lié à l’Union européenne (source : DESTA).

Dans le registre sportif, Alexandre Loukachenko, fan de hockey sur glace, sport majeur en Biélorussie, n’offre pas au football de meilleur accessit que celui de sport mineur. À l’instar de la Russie, qui vibre pour « la grande machine rouge », le hockey sur glace exerce à Minsk une théocratie absolue sur les autres disciplines sportives. Énième parallélisme frappant avec les vestiges du régime soviétique, la mainmise des entreprises étatiques sur le football local, dont les principaux clubs sont détenus par des proches du dirigeant. Pour plus d’informations concernant le football politique biélorusse, nous vous invitons à lire notre article résumant les rapports conflictuels entre le football et le pouvoir dictatorial à Minsk.

Alexandre Loukachenko et Vladimir Poutine complices (© Archives Reuters)

Si l’isolement de la Biélorussie sur le plan international au profit d’une sauvegarde des relations avec le Kremlin suppose par biais cognitif des rapports houleux avec la Géorgie, les relations avec cette dernière ne sont pas nécessairement d’un caractère antipathique. Pour preuve, la Biélorussie n’a pas reconnu l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud que la Russie soutient activement contre Tbilissi. Cela permit à Minsk de récupérer des aides financières occidentales, démontrant le jeu trouble et double du dirigeant biélorusse. Il faudra pourtant combattre à Tbilissi le 8 octobre prochain pour poursuivre le rêve d’une première participation à un tournoi majeur après laquelle courent depuis toujours les deux jeunes sélections. Un match déclic pour deux nations aux topographies sociales distinctes. Entre élans libertaires à Minsk et lente transition autour de Tbilissi, le climat au-dessus de la pelouse du stade Boris Paichadze s’annonce agité.

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Amaury Erdo-Guti

Grand frère de la famille FootPol. Tendresse et passion rythment ma plume de Paris à la Pampa