« Make France great again » : les investisseurs étasuniens à l’assaut des clubs français

Du sud de la France à la Normandie, en passant par les bords de la Garonne, ce n’est pas le soleil ou la gastronomie française qui attirent les investisseurs étasuniens mais bien le ballon rond. En Ligue 1, Marseille et Bordeaux sont passés sous pavillon américain. En Ligue 2, ce sont Le Havre puis plus récemment Caen et Toulouse qui sont entrés dans le giron de l’Oncle Sam. Quels intérêts ces investisseurs ont-ils à entrer dans la capital des clubs ? Que peuvent-ils apporter au championnat de France ? 

Le « made in USA » pour internationaliser les championnats français

Si l’on a en tête les rachats de Marseille (2016) ou Bordeaux (2018), l’arrivée d’investisseurs étasuniens dans le capital de club français n’est pas un phénomène nouveau. En effet, en 2006, le fond d’investissement Colony Capital rachète le Paris Saint-Germain (PSG) à Canal +. L’histoire tourne court, cinq ans plus tard le club est revendu au Qatar avec un bilan famélique : 0 qualification pour la Ligue des champions et une relégation évitée de peu en 2008, malgré quelques éclaircies en Coupes. 

En 2016, c’est le rival marseillais qui est racheté par l’homme d’affaires Frank Mc Court. Passé par les Dodgers de Los Angeles (franchise de baseball) et le monde de l’équitation, l’homme n’est pas un inconnu du microcosme sportif. Sa démarche détone toutefois par sa nouvelle logique : fini les investissements dans des sports « fermés », circonscrits au continent nord-américain. L’avenir est au sport « global ». Des millions d’euros plus tard, Marseille a atteint la finale de la Ligue Europa en 2018 (défaite contre l’Atlético de Griezmann 3 à 0) et aujourd’hui, le club est l’un des trois représentants français en Ligue des Champions avec le PSG et Rennes. Ce constat ne doit toutefois pas passer sous silence les résultats souvent irréguliers du club et des difficultés de gestion criantes.

La Ligue 1, une force d’attraction 

La Ligue 1 n’est pas assez performante, elle est aussi sous-évaluée. C’est en somme, le constat partagé entre les investisseurs et la Ligue de football professionnelle (LFP). La Ligue a eu un rôle prépondérant dans ces arrivées puisque c’est Didier Quillot en personne, ancien directeur général exécutif (il a quitté l’instance début septembre 2020), qui a joué les intermédiaires pour trouver des investisseurs. Cela s’inscrit dans une volonté d’internationaliser la Ligue 1 et dès le début, les regards se sont vite tournés vers le pays du sport-business. « À mon arrivée, en 2016, l’un de mes chantiers était baptisé « new money in business », explique-t-il dans les colonnes de L’Equipe. L’idée était de faire venir des investisseurs, peu importe leur origine géographique. Il y avait déjà le Qatar avec le PSG et la Russie avec Monaco. On a tout de suite pensé qu’il fallait attirer des Américains parce que ce sont les meilleurs en matière de marketing du sport. On a ciblé d’actuels ou d’anciens propriétaires de franchises et des fonds d’investissement qui avaient déjà misé sur des franchises de NBA, de baseball ou de hockey. »

Infographie sur les investisseurs étrangers en Ligue 1 et Ligue 2
Didier Quillot, l’ancien directeur général de la Ligue, a fait de la promotion de la Ligue 1 son cheval de bataille © L’Equipe

Ce que vend la Ligue, c’est ce que recherchent les investisseurs étrangers : un championnat attractif où les marges de progression sont importantes. Surtout, le championnat français attire car il est plus abordable que les autres. En effet, les championnats dits de « seconde zone », comme la Major League Soccer (Etats-Unis), ne sont abordables qu’avec des chèques de 200 millions d’euros. De plus, si l’on compare avec l’ovni anglais, la Premier League et ses sommes pharaoniques, il n’y a pas match. Le budget du 3e de Ligue 1 équivaut à celui d’une équipe qui joue le maintien outre-Manche. Ce sont ces éléments qui ont convaincu RedBird Capital Partners de reprendre le Toulouse Football Club (TFC) fin mai 2020. Le fond d’investissement, propriété de Gerry Cardinale, a acquis 85% des parts (l’ancien président et propriétaire du club Olivier Sadran conservant les 15% restants) pour 20 millions d’euros.  Le Stade Malherbe de Caen est lui aussi passé sous la bannière étoilée début septembre avec le rachat du club par le fonds d’investissement Oaktree Capital Management et le producteur Pierre-Antoine Capton. À Caen comme à Toulouse, la stratégie semble la même : les propriétaires veulent s’appuyer sur l’excellence de la formation française pour favoriser le « trading » (achat et revente de jeunes joueurs à fort potentiel) d’autant que, la France est le deuxième pays exportateur de joueurs après le Brésil. D’autre part, les nouveaux propriétaires comptent s’appuyer sur leurs expériences passées (franchises nord-étasunienne des football américain et baseball) pour favoriser l’ « entertainment » (divertissement) au-delà du match. RedBird Captal Partners a ainsi en projet de transformer le Stadium dans cette perspective. Les nominations de Damien Comoli à Toulouse et Olivier Pickeu à Caen comme présidents traduisent la volonté de mettre le sportif au cœur du projet.

Le cas bordelais : de l’ « amercian dream » au désenchantement 

En 2018, les Girondins de Bordeaux prennent l’accent étasunien quand Joe DaGrosa, président du fond d’investissement General American Capital Partners (GACP) rachète Bordeaux. Il détient 13,6% du club tandis que King Street, l’autre actionnaire détient 86,4%. Mais très vite, les supporters bordelais déchantent face à la tournure des événements. Les mercatos ne sont pas à la hauteur des ambitions, les résultats sont insuffisants et moins de 13 mois après le rachat des Girondins à M6, le divorce entre GACP et King Street est consommé. Spécialistes et supporters ont analysé cet échec à travers le prisme d’une opposition entre logique économique et popularité du club (au sens de populaire). Le sport est historiquement différent aux États-Unis et en France, d’un côté il est économique et de l’autre « amateur », ancré dans le tissu local. King Street détient désormais les Girondins à part entière et a voulu renouer avec cet ancrage local, en témoignent les arrivées de Jean-Louis Gasset et Alain Roche aux postes d’entraîneur et de directeur sportif. Malgré tout, cela n’a pas suffi à calmer les Ultramarines, toujours aussi remontés contre le PDG Frédéric Longuépée.

À Bordeaux, sous l’ère éphémère de DaGrosa il a beaucoup été question de développer le club et ses contours (l’expérience des fans, le marketing) au détriment au final de l’équipe. Et les difficultés ne se sont pas envolées avec lui, en témoigne le dernier mercato où Bordeaux a été incapable de recruter et n’a enregistré que l’arrivée d’Hatem Ben Arfa, libre depuis son départ de Valladolid (Espagne)…

Si le contingent de clubs sous pavillon étasunien a grossi depuis le rachat de l’OM, il aurait pu être encore plus important. En effet, Saint-Etienne, Nancy ou encore le Red Star ont tous noués des liens, plus ou moins profonds, avec des investisseurs étasuniens avant de faire machine arrière. 

La Covid, Mediapro : la fin de la ruée vers l’or français ? 

La Ligue 2 n’est pas en reste puisque courant 2020, Toulouse et Caen ont été rachetés par des fonds étasuniens. Outre le potentiel qu’offrent ces structures niveau Ligue 1, les investisseurs ont surtout vu l’opportunité de se développer rapidement en profitant de l’explosion des droits télévisuels français. En effet, ces droits ont été racheté en 2018 par le groupe espagnol Mediapro (propriétaire de la chaîne Téléfoot) dont la prise de pouvoir effective date de cette année. Pour la période 2020-2024, on constate une augmentation de 60% des droits, passant de 726 millions d’euros à 1,153 milliard d’euros. Pour la saison en cours, les droits télévisuels s’élèvent à 780 millions d’euros pour la Ligue 1 et 34 millions d’euros pour la Ligue 2. Une mane d’argent primordiale pour les clubs, très impactés par la crise sanitaire (non renouvellement des contrats de sponsoring, perte de billetterie, perte de valeur pour les joueurs). Mais c’était sans compter la volte-face de Mediapro, qui par l’intermédiaire de James Roures (son président) a annoncé dans un entretien à L’Equipe paru le jeudi 8 octobre, sa volonté de renégocier les droits TV Ligue 1 et Ligue 2. 

Sur la dernière saison, la pandémie a coûté plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires au football professionnel, dont 605 millions d’euros rien qu’aux clubs, selon une étude commandée par la Ligue 1 et réalisée par le cabinet Ernst & Young en juin. Cette saison, le football professionnel pourrait subir entre 650 et 950 millions d’euros de manque à gagner, avec des suppressions de postes : des chiffres qui n’incluent pas un éventuel naufrage du groupe Mediapro. Avec ce tableau, difficile d’envisager à court terme une nouvelle vague d’investisseurs étasuniens…

Les investisseurs étasuniens sont portés dans leur démarche par la notion d’opportunité. Le football est devenu un sport globalisé, un axe stratégique pour faire rayonner sa marque à l’international. À cet égard, les championnats français sont vus avec un fort potentiel, que ce soit par les prix abordables ou la qualité de la formation par exemple. À Marseille ou à Bordeaux, les greffes ont plus ou moins prises mais ces mariages ne sont pas si idylliques : sur les bords de la Garonne, les tensions entre la direction et les Ultras sont toujours vives ; dans la cité phocéenne, la relative solidité du projet Mc Court s’est effrité cet été avec des suspicions de rachats sous la baguette des hommes d’affaire Mohammed Ajroudi et Mourad Boudjellal..

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