Le Brexit sans accord, un désastre pour le football anglais ?

Depuis plus de deux ans et le référendum du 23 juin 2016 sur le Brexit, le Royaume-Uni connaît une véritable crise politique dont le pays peine à s’extirper. Alors que l’on se dirige inéluctablement vers un hard Brexit, quelles sont les potentielles conséquences autour du football anglais et de la très juteuse Premier League ?

Dire que l’incertitude règne toujours autour de la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne (UE) est un doux euphémisme. Initialement prévue ce 29 mars, l’échéance a été repoussée au mois de janvier 2020 après que Theresa May a vu son projet d’accord rejeté une troisième fois par le Parlement britannique. Paralysé, le pays se dirige vers un hard Brexit (sans accord) « chaque jour plus probable » selon Michel Barnier, négociateur de l’UE pour le Brexit.

Le championnat le plus riche du monde

Un évènement loin d’être anecdotique pour le monde du football outre-Manche. En effet, un Brexit sans accord pourrait avoir de réelles conséquences néfastes pour la compétitivité de la Premier League. Parfois considérée comme le meilleur championnat du monde, la compétition mettant aux prises les vingt meilleures équipes anglaises est celle générant le plus de chiffre d’affaires (3,6 milliards de livres en 2015-2016) dans le monde. Grâce à des droits télévisés toujours plus élevés, les clubs bénéficient de budgets colossaux leur permettant de dépenser des sommes pharamineuses sur le marché des transferts. Ainsi, un rapport effectué par le cabinet Deloitte en janvier dernier montre que, sur les dix clubs européens les plus riches, six sont anglais. Si les équipes en question – Manchester United, Manchester City, Arsenal, Chelsea, Liverpool et Tottenham – sont les plus compétitives du pays sportivement, d’autres écuries aux résultats bien moins probants affichent des revenus vertigineux. Bon dernier de Premier League l’an passé avec seulement 31 points, West Bromwich Albion a obtenu à l’issue de cette saison catastrophique la bagatelle de 94 millions d’euros grâce à la retransmission télévisée de ses matchs. À titre de comparaison, le FC Metz, lanterne rouge du dernier championnat de France, n’a empoché « que » 15 millions d’euros

La répartition des droits TV parmi les clubs de Premier League en 2017-2018 (Sport Buzz Business)

Ce décalage budgétaire conséquent permettait aux clubs anglais de se montrer très actifs sur le marché des transferts. Chaque période de mercato est alimentée par les sommes conséquentes déversées par ces équipes afin d’affiner leurs effectifs. L’été dernier, sept des dix plus grosses transactions ont été effectuées par des équipes britanniques, toutes avec une indemnité supérieure à 45 millions d’euros. Vous l’avez compris : la Premier League est le championnat le plus puissant du monde. Mais cette domination ne tient peut-être qu’à un fil, et le Brexit pourrait bien changer la donne. L’usage du conditionnel est ici nécessaire devant le flou général que suscite une situation encore loin d’être résolue. Ce qui est en revanche certain, c’est qu’une sortie de l’Union Européenne aurait de grosses conséquences sur la composition des effectifs. 

Vers une limite du nombre de transferts ?

En effet, la grande majorité des équipes de Premier League compte de nombreux étrangers. Sur les 25 joueurs sous contrats avec Manchester City, 17 n’ont pas la nationalité britannique. Aujourd’hui, cette situation n’est pas problématique, puisque la Premier League – contrairement à la Ligue 1 – n’admet aucune limite de joueurs « extra-communautaires ». Mais dans les faits, engager un joueur en provenance d’un pays non-signataire des accords de Cotonou s’avère bien plus compliqué qu’il n’y paraît. En effet, ledit joueur doit obtenir un permis de travail lui donnant le droit d’exercer sa profession au Royaume-Uni. Aujourd’hui, pour obtenir ce précieux sésame, le joueur doit faire partie de la sélection de son pays et garantir un certain nombre de matchs joués en fonction du classement FIFA de son équipe nationale. Ainsi, pour une sélection classée au dix premiers rangs – le cas de la France –, le joueur doit avoir pris part à au moins 30% des matchs au cours des deux années précédentes. Le chiffre monte à 45% pour les nations classées de la 11èmeà la 20èmeplace ; à 60% entre la 21èmeet la 30èmeplace et à 75% entre la 31èmeet la 50èmeplace. Tout joueur ne répondant pas à ces critères n’est ainsi pas éligible à un permis de travail, et son cas ne peut être considéré qu’en prenant en compte des circonstances exceptionnelles comme l’indemnité du transfert, le salaire perçu ou les résultats du club précédent.

Carte des pays signataires des accords de Cotonou (La Documentation Française)

Ce système compliqué pourrait le devenir encore plus dans les prochains mois en cas de Brexit sans accord. En effet, l’obligation de présenter un permis de travail pourrait s’étendre à tous les joueurs non-britanniques courtisés par des clubs anglais. Cette éventualité deviendrait un réel handicap, bien plus qu’à l’heure actuelle. Car si les accords de Cotonou permettent aux plus grandes stars africains et européennes de jouer librement en Angleterre, le Brexit pourrait ainsi contraindre tous ces joueurs à disposer d’un permis de travail.

Ainsi, un tel basculement des règles de transferts empêcherait de nombreux joueurs de traverser la Manche. Afin d’obtenir un permis de travail, un footballeur français doit garantir, à l’heure où nous écrivons ces lignes, au moins 9 sélections en Équipe de France depuis juin 2017 (sur un total de 29 matchs disputés par les Bleus sur la période). Ce critère n’est actuellement respecté que par quinze joueurs français (voir tableau ci-dessous), et laisse de côté certains joueurs importants côtés sur le marché des transferts. Pourtant régulièrement appelés par Didier Deschamps, Florian Thauvin, Presnel Kimpembé ou encore Kingsley Coman ne seraient par exemple théoriquement plus autorisés à jouer en Angleterre. Les transferts de joueurs étrangers vers la Premier League – et ses divisions inférieures – seraient ainsi bien moins fréquents. Aucun des sept français ayant rejoint librement la première division anglaise l’été dernier ne serait ainsi éligible à cette règle du permis de travail, pas même les internationaux Lucas Digne ou Samir Nasri. 

Les 15 joueurs français garantissant au moins 30% de matchs joués avec la sélection nationale depuis juin 2017 (arrêté à juin 2019).

 

Hormis l’extension de la règle du permis de travail, une sortie de l’UE pour le Royaume-Uni signifierait également une interdiction de recrutement de joueurs étrangers mineurs. Actuellement et en vertu de l’article 19 du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs édicté par la FIFA, une transaction impliquant un joueur mineur n’est possible que si « le transfert a lieu à l’intérieur de l’Union Européenne ou au sein de l’Espace Économique Européen (EEE) pour les joueurs âgés de 16 à 18 ans ». Or, le scénario d’un Brexit sans accord verrait le Royaume-Uni quitter non seulement l’UE mais également l’EEE. Par conséquent, cette règle ne s’appliquerait plus aux jeunes joueurs européens recrutés avant leur majorité par des grands clubs de Premier League. Concrètement, des cas comme celui de Paul Pogba – transféré du Havre à Manchester United à l’âge de 16 ans – ou de Francesc Fabregas – passé du FC Barcelone à Arsenal à 16 ans également – ne pourraient plus se reproduire. 

Et si le Brexit était une bonne nouvelle ?

Forcément, et au vu de tous les inconvénients qu’il génère, le Brexit est très nettement décrié dans le monde du football britannique. De nombreux managers – dont Arsène Wenger – avaient pris position pour le Remain au cours de la campagne précédent le référendum de 2016. L’été dernier, le président de Burnley n’avait pas hésité à qualifier le Brexit de « destructeur », pointant du doigt la compétitivité des clubs anglais dans un contexte de dévaluation de la livre sterling face à l’euro : « La baisse de la valeur de la livre sterling face à l’euro, causée en grande partie par l’incertitude liée au Brexit, rend l’achat de joueurs plus compliquée ». En moins de trois ans, la valeur d’une livre sterling est passée de 1,42 € à 1,16 €. Forcément, une telle dévaluation inquiète les principaux dirigeants du championnat, qui sont désormais contraints de dépenser de plus grandes sommes pour attirer des stars internationales. Si, comme le révèle Le Parisien, des garanties pourront être apportées aux joueurs en cas de dévaluation supérieure à 10%, la situation est critique. En août 2018, le coach de Tottenham Mauricio Pochettino a annoncé que la construction du nouveau stade de son équipe avait coûté 30 millions d’euros plus cher à cause du Brexit. Un trou financier non-négligeable, et ce même pour un club comptant parmi les plus riches du monde. 

Neil Warnock, pas vraiment europhile (Skysports)

Il ne faut pas pour autant tomber dans la caricature en affirmant de manière certaine que le Brexit est systématiquement décrié par le milieu du football britannique. En janvier dernier, Neil Warnock, entraîneur de Cardiff, s’impatientait de la longueur des négociations autour de la sortie de l’UE : « J’ai hâte qu’on sorte de l’Union. Je pense qu’on s’en sortira bien mieux en dehors de ce satané truc. Dans tous les domaines. Que le reste du monde aille en enfer ». Si la position de Warnock s’apparente plus à une conviction personnelle qu’à un réel intérêt vis-à-vis de ses fonctions, le Brexit pourrait également avoir des conséquences positives pour le football britannique. En effet, la Fédération Anglaise (FA) a présenté au mois de novembre un projet prévoyant de réduire le nombre d’étrangers à douze par équipe. Une mesure logique dans le contexte du Brexit, mais loin d’être évidente à l’heure où treize clubs dépassent ce quota.

Malgré une baisse très certaine de la compétitivité d’un championnat amputé d’une partie de ses éléments étrangers, cette mesure pourrait permettre à un plus grand nombre de joueurs anglais d‘avoir du temps de jeu au plus haut niveau. Un avantage non négligeable qui pourrait bien entendu profiter à la sélection nationale, en plein renouveau et qui surfe sur sa belle quatrième place lors de la Coupe du Monde en Russie. Et les Three Lions ont de quoi voir venir, puisque l’Angleterre est championne du monde en titre chez les U17 et U20. Mais pour tirer profit de cette belle génération, encore faut-il garantir un temps de jeu suffisant aux jeunes joueurs la composant. Une équation difficile à résoudre, mais dont la solution se trouve peut-être dans un durcissement des règles. Si la situation relève à l’heure actuelle de la spéculation, il n’est pas exclu que le Brexit ait une influence positive sur la sélection anglaise de football.

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Elio Bono

Papa de la famille FootPol. Amateur d'Italie, de bonne nourriture, de balle ovale et d'Espagne.