Le mouvement ultra se développe dans le foot amateur
Le 29 août dernier, le Stade Poitevin a concédé le nul contre l’US Lège Cap-Ferret (1-1) en ouverture de la 1ère journée de la division Nouvelle-Aquitaine National 3. Au milieu des 450 spectateurs habituels, une vingtaine d’ultras soutenant le club local ont fait une première apparition remarquée. Les banderoles et les chants des Ultras Poit’20, nouvellement formé, ont ambiancé le stade Michel-Amand et montré que le football amateur pouvait, à son échelle, offrir des ambiances endiablées. Plongée au cœur du mouvement ultra dans les divisions inférieures françaises.
Lorsque l’on pense au supportérisme dans les échelons dits « amateurs », les images du passage du RC Strasbourg nous reviennent systématiquement en tête. Comme Grenoble, Bastia ou Le Mans, le club alsacien a profité de la fidélité de ses ultras pour sortir la tête de l’eau et revenir à un niveau plus conforme avec son standing. D’autres groupes ultras, comme à Toulon, Rouen ou Sedan, forment sans doute ce qui se fait de mieux dans les divisions inférieures – comprendre National 2 et plus bas – mais leur structure découle indéniablement du passé professionnel plus ou moins récent de ces clubs. Si leur attachement est extrêmement louable, encore plus à mesure que les déceptions sportives s’enchaînent, nous nous centrerons ici plus particulièrement sur les ultras liés à de plus petites écuries, qui n’ont pour certaines jamais connu le football pro.
« Ultras des champs »
Poitiers répond parfaitement à ce schéma. Malgré une courte apparition en Division 2 au milieu des années 1990, le club est aujourd’hui abonné au monde amateur. Oscillant entre N3 et Régional 1 ces dernières saisons, le Stade Poitevin n’attire que quelques centaines de spectateurs par match. En dépit de ce contexte a priori sans histoire, ils sont une vingtaine à s’être lancés dans la folle aventure du mouvement ultra. « On est une bande d’amis poitevins, pour la plupart passionnés de foot et d’ambiance, indique Clémence, l’une des fondatrices des Ultras Poit’20. On trouvait qu’il manquait une ambiance, et on a fait une première apparition face à Rodez en Coupe de France (8è tour en décembre 2019) ». Un cas loin d’être isolé, puisque les groupes ultras se développent de plus en plus dans le foot amateur. Une tradition venue de l’Italie, pionnière en matière de mouvement ultra et où le moindre club de Serie D dispose d’une tifoseria organisée et rassemblant plusieurs dizaines de personnes.
Si le mouvement reste marginal en France, plusieurs groupes ultras peuvent être recensés dans le football amateur. Outre Poitiers, Montceau-les-Mines, Épinal ou encore Chartres accueillent dans leurs stades des groupes ultras. La plupart du temps, le processus de création des groupes est similaire : des jeunes passionnés connaissant le monde des tribunes via un club professionnel décident de transposer le modèle au sein du club amateur de leur ville. Des initiatives qui attirent forcément la curiosité, mais qui dérangent parfois des spectateurs peu sensibilisés à la culture ultra. À Poitiers, les ultras ont décidé de s’isoler dans la tribune de face, afin de ne pas déranger les spectateurs les plus calmes. « À Chartres, il y a une grosse partie du public qui est des ‘papys’, développe le président du groupe Ultras Chartres 17. Eux ont du mal, on leur casse les oreilles plus qu’autre chose ». Formé en 2017 par trois jeunes supporters du club, le groupe a gagné en importance au fil des saisons jusqu’à compter aujourd’hui une vingtaine de membres. Entre déplacements, chants et bâches, le fonctionnement du groupe s’apparente à celui des principaux groupes français.
Un constat validé par Aloïs, fondateur des Red Debil’s, groupe de supporters de l’US Crotenay (Jura) en Départemental 2, la 10ème division française, qui revendique le statut « d’ultras des champs » : « Rien ne nous différencie des autres ultras. Ce sont des gens comme vous et moi, qui travaillent la semaine puis se retrouvent le week-end pour chanter et décorer des tifos ». Après avoir baigné dans la culture ultra dans les tribunes de Geoffroy-Guichard, l’agriculteur de 24 ans a décidé il y a trois ans de créer un groupe qui ne se prend pas vraiment au sérieux : « Au départ, partout où on allait, on nous disait ‘mais vous êtes fous !’. Et on s’est dit ‘bah ouais, on est un peu débiles’. D’où ce nom (rires) ». Si l’anecdote prête à sourire, le groupe s’est désormais structuré jusqu’à accueillir près d’une quarantaine de membres et de faire office de véritable attraction dans la région. Fumigènes, tifos et chants animent les matchs de Crotenay chaque week-end, pour le plus grand bonheur des joueurs du cru.
Au sein du club, l’initiative d’Aloïs et ses compères a été très bien accueillie. Les dirigeants soutiennent le groupe et n’hésitent pas à mettre des locaux à disposition des ultras. À Poitiers, c’est même le président du club qui a fait le premier pas pour inciter une poignée de fans irréductibles à former un groupe ultra. Si la supportrice Clémence tient à rappeler l’indépendance des Ultras Poit’20, ceux-ci restent proches de la direction qui n’hésite pas à leur proposer des places moins chères. De manière générale, l’esprit populaire qui règne dans les divisions inférieures facilite grandement l’organisation d’actions par les supporters. Un paramètre qui contraste avec les nombreuses tensions entre groupes ultras et direction de clubs observées dans le foot pro, de Bordeaux à Nantes en passant par Marseille.
Il faut dire que les dirigeants peuvent voir un intérêt dans le développement de groupes ultras. En effet, leur émergence peut significativement servir le club en question. Sportivement bien sûr, la majorité des joueurs se sentant galvanisée par les encouragements de leurs fans. Hasard ou pas, le C’Chartres, qui a manqué d’un cheveu la montée en National l’année dernière, ne s’est jamais aussi bien porté que depuis que les Ultras Chartres 17 animent les travées du stade Jacques-Couvret. Mais l’aspect économique et médiatique peut également prévaloir, comme à Crotenay. « Notre visibilité est importante, et les sponsors du club y voient une forme d’opportunité. Maintenant, le club a très peu de difficultés à en trouver », confesse le créateur des Red Debil’s 17. Il faut dire que des fumigènes et des tifos au niveau départemental attirent forcément l’attention, jusqu’aux pouvoirs publics locaux : « le président du Conseil départemental du Jura a été invité à plusieurs reprises, et est toujours enchanté de venir ». Là encore, le soutien des instances tranche drastiquement avec la politique parfois répressive du gouvernement français en matière de droit des supporters.
À l’instar des plus grands groupes français, les ultras amateurs adoptent des valeurs de solidarité. Comme à Chartres, où le groupe de supporters s’est démené pour offrir des petits déjeuners aux soignants du CHU de la ville pendant le confinement puis pour faire des dons à la Croix Rouge dans le but d’aider les plus démunis. En dépit de sa création récente, le groupe poitevin a organisé une collecte de crampons à destination d’un club du Bénin.
« Pas toujours une partie de plaisir d’aller à Calais un mardi soir puis un vendredi à Croix-de-Savoie »
Si le phénomène tend à se développer – la plupart des groupes contactés ont été créés il y a moins de trois ans, il n’est pas pour autant nouveau. Au tournant des années 2000, Florian Thore et quelques collègues créaient les Supras Libournais 2003, groupe de supporters de Libourne Saint-Seurin. Éphémère pensionnaire de Ligue 2 entre 2006 et 2008, le club évolue aujourd’hui en National 3 – dans la même poule que Poitiers – sous le simple nom de FC Libourne. Actif pendant près d’une décennie, le groupe a été dissout en 2010. « On n’était plus assez pour continuer, même si on avait fait le grand chelem (faire tous les déplacements dans une saison, NDLR) l’année précédente », résume Florian Thore. Et le Libournais de développer, en mettant l’accent sur une autre caractéristique du mouvement ultra dans le foot amateur : « Pour un club qui n’est pas suivi par beaucoup de personnes, à une demi-heure d’un club très supporté avec un grand virage, en l’occurrence Bordeaux, ce n’est pas évident. La culture ultra dans le foot amateur est différente, ce ne sont pas les mêmes enjeux que dans les grands groupes. Tu ne peux compter sur personne, et ce n’est pas toujours une partie de plaisir d’aller à Calais un mardi soir puis un vendredi à Croix-de-Savoie ».
L’ombre du foot pro reste en effet une constante pour le football amateur, et ses mouvements ultras n’y échappent pas. Pour des groupes de supporters basés à proximité d’un grand club français, comme Libourne, il est très difficile de maintenir une relève concernée et passionnée au point de faire des sacrifices dans sa vie personnelle. Pour d’autres, la concurrence d’autres sports professionnels, comme le basket ou le volley-ball à Poitiers, attire naturellement les supporters les plus passionnés. En bref, il faut une sacrée dose de courage pour se lancer puis perdurer dans le supportérisme pour un club amateur. Mais, si ce foot amateur garde un côté populaire salué chaque année lors des premiers tours de Coupe de France, ces irréductibles passionnés y sont pour beaucoup.