Syndicalisme et foot français : l’institutionnalisation de l’UNFP (3/3)
Ce troisième et dernier article de la série s’intéresse au tournant syndical des années 70. L’avènement du syndicalisme de services a également permis à l’UNFP de maintenir une adhésion forte sans pour autant constituer une rupture idéologique avec son passé. Si aujourd’hui l’UNFP a « moins de combats » à mener sur le fond, elle n’en reste pas moins un acteur important du football français. Le syndicat a investi les différentes sphères dirigeantes du football français en développant un véritable « esprit de famille », conservant ainsi une forme de contrôle de la discipline. Retour sur ces événements qui ont marqué l’histoire et l’essence de l’UNFP.
La grève de 1972, tournant de la contestation
Au lendemain de Mai 68 et d’une première forme de reconnaissance obtenue par les joueurs à travers le contrat à temps, les relations entre les dirigeants de club, à travers le Groupement (GFP), et l’UNFP sont toujours aussi laborieuses. Le rapport de force entre les deux parties s’est néanmoins équilibré, le syndicat étant reconnu comme le représentant direct des joueurs. La suppression du contrat à vie en 1969 constitue en effet une avancée importante pour les footballeurs professionnels dans la mesure où ils deviennent moins dépendants vis-à-vis de leur club. De plus, cette évolution des droits de joueurs révèle la capacité de ceux-ci à pouvoir obtenir gain de cause de façon collective.
L’instauration de cette forme de contrat à temps est néanmoins soumise à « une période probatoire » de trois années d’après les textes officiels de 1969. Au terme de celle-ci, les dirigeants des clubs de football professionnels français s’engagent à respecter les décisions prises et le processus de mise en application des mesures. En septembre 1971, le GFP remet en cause le contrat à temps, ce qui traduit la difficulté que le syndicat a pour faire appliquer les avancées obtenues de 1969. Le GFP réclame notamment l’allongement de la période d’apprentissage passant de 16 à 24 ans avec un contrat stagiaire, mais aussi le rétablissement du contrat à vie jusqu’à 29 ans et à un premier contrat professionnel d’une durée de 5 ans. En étant lié sur des périodes plus longues, le GFP permettait aux clubs de conserver leurs joueurs avec des salaires plus faibles et ils s’assuraient une rentabilité accrue en cas de rachat de leur contrat. Le combat est donc toujours d’actualité entre dirigeants et joueurs en 1972.
Cette impuissance se caractérise également par la décision de Michel Hidalgo, alors président de la FFF, concernant le port d’inscriptions publicitaires sur les maillots des joueurs. Les joueurs n’obtiennent aucune contrepartie financière, ce qui accroit les tensions avec les dirigeants. Cet exemple tend à montrer que la reconnaissance des joueurs de football professionnels français n’est pas complète vis-à-vis du GFP et de la FFF. L’UNFP n’est pas encore totalement considérée comme un acteur incontournable dans la prise de décisions, et cette tendance peut être mise en perspective avec le fait que ses responsables ne disposent pas à cet instant du même capital symbolique que les Kopa, Fontaine et autres. Au début des années 70, les représentants de l’UNFP sont des « joueurs du milieu de tableau du championnat de D1 ou haut de tableau de D2 » (Slimani).
Ces multiples empiètements des dirigeants sur les avancées obtenues en 1969 contraignent les dirigeants de l’Union à se tourner vers un répertoire d’action plus radicale qui était jusque-là proscrit. Conscients de leur perte d’influence auprès des joueurs et des abus répétés des dirigeants, les représentants de l’UNFP ont recours aux assignations dans les tribunaux, puis à la mobilisation afin de « restaurer leur crédibilité ». L’affaire Marius Trésor témoigne de la volonté́ des clubs de vouloir conserver les joueurs contre leur gré. Le joueur, avec l’aide l’UNFP, a assigné l’AC Ajaccio en 1972 devant les tribunaux, qui ont reconnu l’illégalité de son contrat.
En 1972, les « Assises du football professionnel » sont organisées par l’UNFP afin de mobiliser les joueurs et dans le même temps revendiquer leur identité catégorielle. L’UNFP fait face à l’interdiction formelle prononcée par les clubs à leurs joueurs. Des matchs amicaux sont organisés par les clubs pour empêcher les joueurs de se rendre à ces assises. Quelques jours plus tard, le 2 décembre 1972, le président de l’UNFP Philippe Piat déclenche la première grève des footballeurs professionnels en France après que l’Olympique Lyonnais a sanctionné des joueurs qui s’étaient rendus à cette réunion.
La fin du syndicalisme militant
Selon Hassen Slimani, cet évènement marque « la fin du syndicalisme militant et son entrée dans une phase consensuelle » grâce aux avancées en termes de droits du travail. La reconnaissance du statut de footballeur professionnel et de sa particularité intervient en 1973 avec la signature de la Charte du football professionnel. Elle permet aux joueurs de « revendiquer la libre disposition de leur force de travail […] sur le marché des clubs français et européens ». Cette convention collective nationale est le fruit d’une négociation entre les dirigeants de clubs, de la fédération, de l’UNFP et l’État, mettant en place un système d’indemnisations pour les interruptions de contrats pour les clubs. Ce texte a permis aux joueurs de gagner une plus grande liberté vis-à-vis de leur employeur.
L’intervention de l’État dans cette discussion est logique puisqu’il a pour but de résoudre les conflits sociaux par la voie de convention collective. De plus, son rôle dans les négociations a permis d’arriver à une forme de consensus entre les différents acteurs et représentants. La signature de la Charte du football professionnel en 1973 reconnaît la spécificité de la profession de footballeur dans le sens où celle-ci ne peut être considérée comme une profession salariée normale. Le secrétaire d’État aux Sports de l’époque Pierre Mazeaud explique : « le syndicalisme fait son entrée dans le sport. J’espère que ce sera une entrée et une sortie, car je le vois très mal s’instaurant dans le sport ». L’accord trouvé contente l’UNFP qui renforce son monopole en tant qu’unique représentant des joueurs et institue la spécificité de la profession à travers le contrat à temps et les droits des joueurs en tenant compte des intérêts de chaque partie.
En se maintenant au sein des institutions, l’UNFP conserve un pouvoir important sur le football en France et accède à des rôles importants, comme en témoigne l’élection de Philippe Piat, jusqu’alors président de l’UNFP, à la tête de la FFF en 1985. Cette « intrusion » dans la sphère décisionnelle a pour but de continuer à développer la discipline et de défendre les intérêts des joueurs. Quelques joueurs délégués à l’UNFP sont sanctionnés dans les années 70 par leur président, prêts à sacrifier du capital sportif pour rétablir leur autorité et trouver un moyen de combler les dettes. Certes, certains joueurs ont fait les frais de cette grève et ont été sanctionnés, voire transférés par leurs dirigeants. Cette grève a permis à l’UNFP d’en ressortir grandi et d’affirmer sa place au sein des instances dirigeantes.
L’individualisation progressive des carrières
Du début des années 70 aux années 80, le football professionnel se transforme. Économiquement, l’arrivée de diffuseurs audiovisuels comme Canal + et la privatisation de TF1 conduisent à une augmentation des budgets des clubs en raison de l’augmentation du marché concurrentiel des droits télévisuels. Cette évolution économique entraîne également le passage du statut d’association à but non lucratif à celui de société anonyme sportive professionnelle pour les clubs en 1984, ce qui fait basculer le football dans une logique de marché. Les avancées syndicales associées au développement de l’économie du sport entraînent « l’érosion de la fibre syndicale » chez les footballeurs professionnels. Le footballeur perçoit sa carrière de façon plus individuelle car il n’y a « plus de grands à combats à mener » selon René Charrier (ancien professionnel de 1970 à 1983, sélectionné deux fois en équipe de France et actuel salarié de l’UNFP).
Grâce à son salaire et à son statut, le joueur dispose de ressources qui lui permettent de mener sa carrière autrement qu’avec l’aide du syndicat, comme avec des avocats ou des agents. Cette désaffection syndicale ne se traduit pas par une baisse du nombre total de syndiqués mais plutôt par l’intérêt des joueurs pour l’UNFP et la syndicalisation des jeunes. Les profils sociologiques des joueurs ont également évolué : cette nouvelle génération bénéficie d’un capital scolaire plus élevé, avec des parents issus de professions intermédiaires. Ils bénéficient des avancées obtenues par les anciens joueurs et ne voient donc pas l’intérêt de participer au syndicat. La perception plus individualiste de leur carrière est également due à l’environnement plus concurrentiel du fait du développement et de la professionnalisation de la discipline. La syndicalisation répond donc à une stratégie individuelle des joueurs en fonction de leur carrière, que ce soit à travers leur performance, leur salaire et leur âge. À cette époque, on constate que les joueurs en fin de carrière ou évoluant à des niveaux inférieurs ont beaucoup plus tendance à se syndiquer. On est donc bien loin de la vision associative originelle du football qui ne consacrait pas le métier de joueur comme une profession à part avec ses spécificités des années 50-60.
L’avènement du syndicalisme de service comme rempart
Pour faire face à cette baisse d’adhésion, l’UNFP va de plus en plus se tourner vers des formes d’incitations sélectives différentes de celles d’autrefois. Puisque les joueurs ne voient plus le réel intérêt à se syndiquer, l’UNF développe des services pour les fidéliser. Cette logique de fonctionnement permet une certaine proximité avec l’adhérent et un fort taux de syndicalisation. Ces services recouvrent les différents aspects de la carrière qui ne sont pas pris en charge et ont pour objet la défense des intérêts catégoriels de la discipline. En 1988, la création d’un contrat d’assurance voit le jour avec Europ Sports Assur. On note également l’avènement de prestations dans le conseil de patrimoine en 1990 et la reconversion en 1991. Tous ces services proposés par l’UNFP permettent au syndicat de maintenir une attractivité pour les footballeurs professionnels et surtout de se développer économiquement de façon indépendante par rapport aux instances fédérales. Le syndicat conserve toujours son rôle de défenseur des intérêts des joueurs et des missions traditionnelles de représentation, comme en 1991. Au début des années 90, l’UNFP compte 10 salariés. Ils sont environ 50 aujourd’hui. En parallèle, le syndicat investit les centres de formation afin de faire adhérer très tôt les sportifs.
L’essor de l’UNFP et de son influence a permis à ses membres les plus influents d’accéder aux organes décisionnels du football français. Ce phénomène ne se cantonne pas à l’UNFP. En effet, il apparait de plus en plus que les anciens joueurs de football accèdent à ces postes en vertu de leur « culture foot ». Le football doit être géré par les footballeurs, ce qui dénote par rapport aux années 60 et la toute-puissance des dirigeants de club et des instances fédérales qui voulaient circonscrire la pratique du football au divertissement. Ces anciens joueurs, également à travers l’UNFP, souhaitent davantage développer leur discipline devenue une économie à part entière. Malgré l’individualisation des carrières, il reste que la gouvernance des instances et des acteurs du football revient aux anciens footballeurs, créant un forme d’ « esprit de famille ».
Aujourd’hui, le syndicat aide surtout les joueurs les plus précaires, notamment lorsqu’ils sont au chômage, ce qui tend à créer au sein de ce groupe des sous-groupes en fonction du niveau avec une identité et des intérêts différents. L’accès d’anciens footballeurs, ayant des carrières en général modestes, aux institutions a permis de recentrer l’action syndicale autour d’eux. La « culture foot » rassemble donc des individus ayant eu un passé commun dans le football, formant une véritable « famille » unie pour préserver les acquis sociaux de leur discipline. Selon William Gasparini, il y a « un esprit de corps partagé malgré la nature concurrentiel de leur profession ». Le syndicalisme de services promu par l’UNFP a donc permis de garder une emprise sur la discipline, en maintenant l’intérêt des joueurs et donc le nombre d’adhérents, mais également de poursuivre le développement de la profession et l’apprentissage de la gestion d’une carrière.
Longtemps contestés par les dirigeants de clubs, les droits des joueurs de foot, et plus largement ceux des sportifs de haut niveau, sont aujourd’hui circonscrits dans diverses chartes et dans le droit du sport. De plus, la création en 1992 de la Fédération nationale des associations et syndicats de sportifs (FNASS) a permis de rassembler les syndicats des joueurs de basket-ball, de football, de rugby, de handball et des cyclistes sous une même bannière. Ce syndicat négocie la Convention collective nationale du sport (CCNS) portant sur l’organisation, la promotion et l’enseignement des disciplines sportives en France. Cette dernière a également permis de renforcer le rôle et la visibilité de ces syndicats, et d’une certaine manière de les institutionnaliser pour de bon. À travers ces multiples organisations, les sportifs ont réussi à faire reconnaitre leur profession avec une spécificité malgré l’essence traditionnellement associative du sport. Cette série d’articles sur la syndicalisation des joueurs de football professionnel est donc terminée et aura permis de mettre en lumière des événements méconnus de l’histoire du football français.