[EDITO] Les leçons de l’UEFA et de la FA dans la lutte contre le racisme
Le football est souvent perçu comme un excellent vecteur de changement social. Ses instances dirigeantes elles-mêmes en sont si persuadées qu’elles se pensent en première ligne dans la lutte contre le racisme et toutes autres formes de discrimination. Mais derrière le vernis des beaux discours et des slogans publicitaires prônant l’égalité des chances et l’inclusion des minorités ethniques à tous les niveaux, les actes frappent surtout par leurs faiblesses et leurs contradictions.
Deux poids deux mesures au sein de l’UEFA
Une manière d’éduquer sur le racisme dans le monde sportif consiste à punir les comportements racistes à tous les échelons de la scène sportive. Cela se traduit par des sanctions financières et/ou sportives pour les acteurs du sport, et plus occasionnellement par des amendes et/ou des interdictions de stade pour ses spectateurs. Mais que ce soit à l’échelle nationale, européenne ou internationale, ces sanctions, quand elles ont le mérite d’exister, sont tout bonnement ridicules.
Quelques exemples suffisent à illustrer ce problème. En 2012, la victoire 1-0 des U21 de l’Angleterre sur la Serbie a été gâchée par un certain nombre d’incidents incluant des chants racistes et des cris de singes de la part de supporters Serbes à l’encontre de joueurs noirs anglais. L’UEFA s’empare du dossier, contraint les U21 Serbes à jouer un match à huis clos et sanctionne la fédération serbe d’une amende de 80 000€. La même année, le Danois Nicklas Bendtner affiche sur son caleçon le logo d’une société de paris sportifs en célébrant son but lors d’un match face au Portugal. Impitoyable, l’UEFA lui inflige un match de suspension et une amende de 100 000€.
Cet épisode a bien valu à l’UEFA un grand nombre de critiques, mais ne lui a apparemment pas servi de leçon. Pour cause, quand Raheem Sterling, Callum Hudson-Odoi et Danny Rose ont été victimes d’insultes racistes de la part de supporters monténégrins avec l’équipe d’Angleterre en mars 2019, l’UEFA a condamné le Monténégro à jouer un match à huis clos et la fédération monténégrine à une amende de 20 000€. Un an plus tard, la même sanction est prononcée à l’égard de Tottenham pour avoir retardé le coup d’envoi du 1/8ème de finale de Ligue des Champions l’opposant à Leipzig de 3 minutes.
L’hypocrisie à peine dissimulée de la FA et de la Premier League
Cet été, la réémergence des questions raciales à travers le monde a conduit les instances dirigeantes du football anglais à rejoindre le mouvement Black Lives Matter. Cette initiative, qui est malgré tout bienvenue, tient pour l’instant plus de l’opportunisme et de la communication politique que d’un véritable désir de lutter contre le racisme ou les autres formes de discriminations.
« Nous resterons toujours fermes contre toutes formes de discrimination ». C’est en ces termes que la FA a lancé la campagne Black Lives Matter au sein de sa fédération. « La fédération anglaise condamne toutes formes de discrimination et s’est efforcée ces dernières années pour garantir un football à la fois divers et inclusif en Angleterre ». De son côté, la Premier League a souligné qu’il ne saurait y avoir de place pour le racisme, nulle part. Pour véhiculer le message, un logo BLM puis un badge sur les manches sont apparus sur les maillots des équipes de première division. Les joueurs ont également l’opportunité de poser un genou à terre quelques secondes après le coup d’envoi.
Ces différentes initiatives s’ajoutent aux actions de Kick it Out!, une organisation caritative financée par la FA et la PL et qui travaille avec les autorités anglaises du football, les clubs, les joueurs, les supporters et les communautés pour lutter contre toutes les formes de discrimination. On pourrait donc penser de la FA qu’elle est un modèle de bonnes pratiques en matière de lutte contre les discriminations. Ce serait faux de le croire.
En réalité, le football anglais est loin d’être le monde égalitaire qu’il défend. Sans même mentionner les problèmes d’inclusion de la communauté LGBTQ+, la communauté noire est en effet sous-représentée au-delà des joueurs. Sur les 500 joueurs de Premier League, un tiers sont noirs ; sur les 20 entraineurs, un seul est noir. Et plus on monte en responsabilités, plus la communauté noire tend à s’effacer du spectre. Face à ce problème dont elle est bien consciente, la FA a adopté en 2018 une mesure appelée la règle de Rooney qui oblige les équipes de D2 et la FA à interviewer au moins une personne des minorités ethniques.
L’objectif est d’avoir 11% de personnes issues des minorités ethniques au sein des directions et 20% d’entre elles au sein du staff de ses différentes équipes nationales d’ici 2021. La mesure est bienvenue et les objectifs sont nobles, mais la règle de Rooney a une brèche bien exploitée par les clubs : éviter la phase d’entretien des candidats en sélectionnant directement la personne qu’ils veulent. Même si un entretien a lieu, comment établir légalement le caractère discriminatoire de la décision d’un recruteur de ne pas retenir le candidat issu d’une minorité quand il peut aisément invoquer une multitude de raisons plus ou moins recevables pour la justifier ? En l’état, donc, la règle de Rooney est un coup d’épée dans l’eau, cela même sans considérer que la Premier League, le championnat le plus médiatisé du monde, n’y est pas concernée.
Ce juillet, la FA a elle aussi manqué le coche. Alors qu’elle est pour l’heure composée de 10 personnes blanches, elle a refusé à l’unanimité de faire de Paul Elliott un membre permanent du conseil d’administration et de créer deux sièges supplémentaires dans un but de diversification. Ancien joueur professionnel, membre du CA de Kick it Out! et du comité juridique de la FA, Elliott est pourtant reconnu pour ses compétences et son engagement dans la lutte contre les discriminations.
Pourquoi la lutte contre le racisme dans le football est vouée à l’échec
Depuis des années, le racisme est un véritable problème sociétal. Entre le déni et le manque de volonté et de moyens investis dans cette campagne, le football n’y échappe pas. Mais comment expliquer qu’en dépit d’une importante campagne antiraciste, le problème revienne si régulièrement gâcher la fête ?
L’inclusion des minorités ethniques à tous les niveaux du football européen n’est évidemment pas réalisable du jour au lendemain. C’est une cause noble qui demande un engagement moral, politique et financier de chaque instant. Pour que le football devienne le sport égalitaire qu’il prétend être, les démarches symboliques doivent perdurer, qu’elles relèvent d’un slogan pré-match, d’un badge sur la manche ou d’un genou posé au sol. Néanmoins, elles restent insuffisantes.
D’une part, elles ne parviendront jamais à effacer à elles seules les injustices subies par les minorités. D’autre part, elles ne masquent pas les incohérences des instances dirigeantes dans la lutte contre les discriminations. Tant que les conflits d’intérêts avec des sociétés de paris en ligne ou des diffuseurs télés seront plus sévèrement punis que les discriminations raciales, le message n’a aucune chance d’être reçu. Tant que les clubs ou les fédérations ne feront pas un véritable effort pour inclure à tous les niveaux une part de personnes issues des minorités proportionnelle à celle qui est la leur dans la société, le racisme systémique dans le football continuera de créer des injustices.
Le racisme est un problème si vaste qu’il ne concerne pas seulement les minorités ethniques, confessionnelles ou sexuelles, mais l’ensemble de la société. Chacun, à son niveau, doit s’y sentir concerné et être attentif à toutes les manières pernicieuses par lesquelles le racisme peut créer des injustices au sein de notre société. Vous êtes-vous déjà demandé, par exemple, pourquoi la foule en tribunes est-elle si blanche ?