A Clermont-Ferrand, rénover le Montpied pour exister
La réélection d’Olivier Bianchi à la tête de la municipalité de Clermont-Ferrand et de Clermont Auvergne Métropole devrait signifier la fin du « serpent de mer » qu’est la rénovation du Stade Gabriel-Montpied. L’édile socialiste était le seul candidat à la mairie clermontoise favorable au projet de rénovation qu’il avait lui-même présenté en 2019. Retour sur un projet qui ne fait pas l’unanimité, mais qui devrait finalement voir le jour.
Le stade Gabriel-Montpied, jamais achevé
A première vue, le stade Gabriel Montpied, situé dans les quartiers nord de Clermont-Ferrand, est surprenant. Une seule véritable tribune, dont l’architecture dotée d’une arche laisse imaginer un œil, placée entre les champs et un quartier de grands ensembles. Voilà pour la première impression d’un stade construit en 1995, dans lequel réside le Clermont Foot 63, pensionnaire de Ligue 2.
A sa construction, deux tribunes devaient se faire face. Il y aura finalement cette immense tribune, d’une capacité de près de 8000 places, et trois autres tribunes ouvertes, qui permettent au stade d’atteindre péniblement la jauge de 11 900 places. En 1995, la construction de la deuxième tribune est reportée. Tout comme en 2002, alors que le maire socialiste, Serge Godard, souhaite augmenter la capacité du stade à 30 000 places. En 2004, la Communauté d’agglomération reprend le projet mais le l’agrandissement, qui doit commencer en 2005, ne voit jamais le jour. En 2008, l’idée refait surface, sans plus de succès. Finalement, en 2014, sous la présidence d’Olivier Bianchi, le projet est relancé, sans pour autant être concrétisé.
Mais finalement, après deux votes serrés au Conseil métropolitain en février 2016, puis en mai 2018, un concours d’architecte donne à voir en novembre 2019 ce à quoi devrait ressembler le Montpied dans quelques années. Une première tranche devrait permettre au stade d’atteindre 16 200 places en 2024, puis deux autres tranches sont prévues afin d’atteindre les 30 000 places … Si le Conseil métropolitain vote à nouveau en faveur de ces agrandissements.
L’attractivité du territoire, raison d’être du stade
Ce projet d’agrandissement du stade Gabriel-Montpied s’inscrit dans la politique d’attractivité du territoire portée par la ville de Clermont-Ferrand et Clermont Auvergne Métropole depuis plusieurs années. Le territoire souhaite constituer un pôle majeur de la région Auvergne-Rhône-Alpes, à l’ouest de cette dernière. En effet, Clermont-Ferrand, qui a symboliquement perdu le statut de capitale régionale lors de la fusion des régions Auvergne et Rhône-Alpes, cherche à contrebalancer les pôles métropolitains régionaux que sont Lyon, Saint-Etienne ou encore Grenoble. Pour cela, la ville et la Métropole ont notamment choisi de miser sur le sport comme outil d’attractivité. Cette volonté se retrouve dans l’organisation interne de la Métropole et dans les mandats des adjoints à la mairie de Clermont-Ferrand. Ainsi, Christine Dulac-Rougerie, ancienne basketteuse professionnelle et élue depuis plusieurs mandats à la mairie, est première adjointe au maire en charge de « l’image et attractivité du territoire, tourisme, sport, grands évènements et coordination générale des politiques publiques ». Au sein de Clermont-Auvergne-Métropole, la Direction des Sports est dépendante de la DGA « Attractivité et ingénierie patrimoniale ».
Dans le cadre de cette politique sportive comme vecteur d’attractivité, le stade Gabriel-Montpied représente un enjeu stratégique. La politique sportive de la Clermont Métropole s’appuie sur le soutien aux clubs sportifs de haut-niveau et sur les équipements sportifs. L’agrandissement du stade Gabriel-Montpied permettrait au Clermont Foot 63 de disposer d’un stade plus grand et plus accueillant. Dans sa configuration actuelle, le Montpied ne permet pas d’accueillir les spectateurs et supporters dans de bonnes conditions, ni de développer des recettes de billetterie à destination des entreprises et VIP. D’autre part, le stade Montpied n’est actuellement pas homologué pour la Ligue 1, et ce alors que la nouvelle direction du club et les joueurs ne cachent pas leur ambition de monter dans l’élite dans les prochaines saisons. Disposer d’un nouveau stade permettrait au Clermont Foot 63 d’envisager plus sereinement une montée, comme nous l’explique Nicolas Canizares, journaliste pour La Montagne : « C’est mieux d’avoir un outil plus grand et plus moderne pour un club. L’entraîneur s’est réjoui du projet, ça modernise le club, la pelouse, de meilleures infrastructures c’est toujours mieux. C’est sûr que le Montpied pourrait très bien être homologué pour la L1, mais ce n’est pas un outil qui mettrait en valeur la ville de Clermont à l’échelle de la L1. »
En complément du soutien aux clubs, la politique sportive de Clermont Auvergne Métropole passe par les équipements sportifs. La collectivité a maillé le territoire avec de nombreux équipements sportifs de proximité, avec l’Artenium, un dojo pouvant accueillir des compétitions nationales, le Stadium Jean-Pellez, homologué pour des compétitions internationales, et le Stade des Gravanches, un complexe sportif mobilisé par les centres de formation de l’ASM rugby et du Clermont Foot 63. Le stade Gabriel-Montpied apparaît ainsi comme le dernier équipement manquant sur le territoire pour attirer des évènements sportifs d’envergure. A titre d’exemple, Clermont-Ferrand ne pourra pas accueillir de match de la Coupe du Monde de rugby en 2023 qui se déroulera en France, car les villes hôtes doivent disposer d’un stade d’au moins 30 000 places, et ce alors que Clermont-Ferrand représente l’une des places fortes du rugby en France.
Malgré tout, certaines voix s’opposent à ce projet, arguant qu’un stade avec une telle capacité ne correspond pas aux besoins du club et du territoire. D’une part, car le Clermont Foot 63 présente une affluence moyenne de 3 300 spectateurs lors des matchs de Ligue 2, soit la 14e affluence du championnat. L’utilité d’un stade d’une telle capacité interroge de ce fait sur le territoire, car Clermont-Ferrand est davantage perçue comme une ville de rugby. Cet argument a notamment été mis en avant par la principale liste d’opposition à la majorité sortante lors des élections municipales de 2020. D’autre part, le territoire dispose déjà d’un écrin important, avec le stade Marcel-Michelin, propriété de l’ASM Clermont Auvergne, dont la capacité est légèrement inférieure à 20 000 places. Mais ces deux arguments ne sont pas forcément recevables pour Nicolas Canizares : « Un outil plus grand et plus récent attire plus de monde, quel que soit le niveau. On va gagner en affluence, sans remplir le stade forcément. En L1, un stade de 15000 places ferait le plein tout le week-end, mais ce ne sera pas forcément le cas avec 25 ou 30 000 places. Et le stade Marcel-Michelin n’est pas homologué pour la Coupe d’Europe à partir des quarts, il y a un cahier des charges à respecter et le Michelin ne répond pas à ce cahier des charges. Donc l’ASM va à Saint-Etienne ou au Groupama Stadium à Lyon. Le Montpied, c’est un stade municipal, donc ce n’est pas que le Clermont Foot, ça pourrait être la Coupe du Monde de rugby, le rugby à 7, l’Equipe de France de foot ou de rugby. »
Pour la collectivité, s’affranchir de Michelin
Mais à Clermont-Ferrand, la politique sportive, comme l’ensemble des politiques publiques, ne peut être menée de manière totalement indépendante. L’histoire de Clermont-Ferrand est en effet indissociable de l’histoire de Michelin, fleuron industriel français fondé en 1889 dans la préfecture du Puy-de-Dôme. Historiquement, Michelin est l’acteur central de la construction urbaine du territoire, reprise progressivement par les collectivités au fur et à mesure du désengagement local de la Manufacture et de son ouverture à l’international. La ville de Clermont-Ferrand a été construite avant tout depuis le 20e siècle pour répondre aux besoins industriels de Michelin. Ainsi, les rapports de force entre Michelin, la ville et l’intercommunalité ont produit un système de gouvernement urbain spécifique au territoire, avec une très forte proximité des élites politiques et économiques. L’action publique est ainsi produite en coordination entre Michelin et les collectivités, qui craignent de voir le principal employeur quitter le territoire.
Ce système de gouvernement urbain est également très présent dans le secteur du sport. En effet, dès 1911, Michelin créé une association sportive omnisports pour ses salariés, l’Association Sportive Michelin (ASM), devenue Association Sportive Montferrandaise en 1922. Avec plus de 6 400 licenciés, l’ASM est le principal acteur sportif du territoire, comme nous le confirme Nicolas Canizares « L’ASM, c’est vraiment un club très, très important dans la ville, c’est une entité ». L’ASM Omnisports détient également 99% des parts de la SASP ASM Clermont Auvergne, principale vitrine du sport professionnel à Clermont-Ferrand à travers le rugby. L’ASM, en tant qu’acteur sportif majeur du territoire, est propriétaire de nombreux équipements sportifs, comme le complexe sportif de la Gauthière, mais surtout le stade Marcel-Michelin. Ce stade, qui accueille les rencontres de de rugby, mais aussi des séminaires, des concerts ou d’autres évènements sportifs, représente un modèle d’équipement sportif pour le territoire. Situé en plein centre-ville à Montferrand, à proximité de l’usine historique Michelin de Cataroux, desservi par le tramway, entouré de commerces, disposant d’espaces de rencontre et de loges, il est parfaitement intégré à son environnement.
Depuis le début des années 2000, toutefois, la présidence de l’ASM Omnisport a multiplié les appels du pied en direction des collectivités, afin qu’elles participent à son financement, au regard du rôle social joué par cette dernière au sein de la cité. En contrepartie, la SASP ASM a pris le nom de ASM Clermont Auvergne, afin de faire profiter le territoire de son rayonnement sportif, et participer à la politique d’attractivité. On retrouve ainsi ici la logique de coordination dans les politiques publiques entre les collectivités et la Manufacture.
Mais dans la quête d’attractivité, le stade Marcel-Michelin présente un défaut majeur : sa jauge. Limitée à 19 350 spectateurs depuis la dernière extension en 2019, la capacité d’accueil du stade ne permet pas d’accueillir des évènements sportifs d’envergure internationale, comme la Coupe du Monde de rugby, ni même les quarts et demi-finales de Coupe d’Europe de l’ASM. D’autre part, la politique d’attractivité par le sport de Clermont-Ferrand ne peut reposer sur un équipement privé, appartenant à la Manufacture avec qui la collectivité entretient des rapports de coopération mais aussi de conflits, selon les enjeux. La gouvernance politique du territoire apparaît donc comme un nouvel éclairage dans la volonté de la Métropole de rénover le stade Gabriel-Montpied : s’affranchir de Michelin dans la mise en œuvre de sa politique sportive. En construisant (peut-être) un stade de 30 000 places, Clermont Auvergne Métropole disposerait de son propre outil sportif, lui permettant d’accueillir d’importants évènements sportifs nationaux ou internationaux, tout en permettant à l’ASM Clermont Auvergne de ne pas délocaliser des matchs majeurs chaque saison. Compromis, toujours.
La localisation du stade Gabriel-Montpied permet également à la Métropole de retravailler le rapport de force qu’elle entretient avec Michelin. Le stade Gabriel-Montpied se situe en effet dans les quartiers nord de Clermont-Ferrand, des quartiers d’habitat collectif construits en partie pour répondre aux besoins en main d’œuvre de Michelin. Ces quartiers, qui sont aujourd’hui classés comme Quartiers Prioritaires de la Politique de la Ville (QPV), font l’objet d’un programme de rénovation urbaine visant à les transformer afin de diversifier l’habitat et les usages du quartier, en intégrant notamment des activités économiques. Le Grand Stade est donc depuis plusieurs années mobilisé comme argument pour renforcer ce processus et diversifier les usages des quartiers nord, que ce soit de la part des élus ou de l’ancien président du club, Claude Michy. Toutefois, pour Nicolas Canizares, cet argument est davantage politique, et ne se traduit pas dans les faits pour l’instant : « C’est vrai, depuis quelques années, tout a été fait au niveau des transports pour favoriser l’accès au stade, il y a eu le prolongement de la ligne de tram. Mais à part l’accessibilité, il n’y a jamais rien qui a été fait autour du stade pour donner une meilleure image des quartiers nord de Clermont. Il faudrait attendre des choses à ce niveau-là, et davantage que des phrases ‘C’est pour ne pas oublier les quartiers nord’ ». La rénovation du Montpied semble donc également être un moyen pour la collectivité de se réapproprier le développement du territoire, confisqué de nombreuses années par Michelin pour répondre à ses besoins.
La rénovation du stade Gabriel-Montpied apparaît comme un mirage depuis près de vingt ans à Clermont-Ferrand. Ce projet, davantage politique que sportif, vient répondre aux besoins des collectivités : développer l’attractivité de Clermont-Ferrand, et faire évoluer le rapport de force entre les collectivités et Michelin sur territoire. La réélection d’Olivier Bianchi à la tête de la commune, en 2020, devrait permettre au Montpied de disposer d’une deuxième tribune, et de préfigurer un futur stade de 30 000 places. A moins que la crise sanitaire liée à la Covid-19 ne remette une nouvelle fois en cause l’agrandissement, dont le financement pour la seule phase 1 est estimé à 24M€.