France 2010, désastre footballistique et politique (2/2)
Désastre, scandale, humiliation, honte… Les qualificatifs n’ont pas manqué pour désigner le parcours catastrophique de l’équipe de France à la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud. Le 22 juin 2010, après sa défaite contre le pays hôte, c’est la tête basse que tout le groupe France s’est envolé pour Paris. Au-delà du terrain, cette triste épopée a pris une tournure dramatique dans les médias, et, par ricochet, dans le monde politique. Le mythe de l’équipe de France « black, blanc, beur » a laissé place à un groupe perçu comme étant composé de jeunes caïds millionnaires et nonchalants. Après notre premier volet, retour sur la célébrissime grève de Knysna et les multiples analyses, interprétations et conséquences de ce parcours chaotique.
France-Mexique, Anelka : quand des insultes de vestiaires passent au rang de scandale national
Au début du mois de juin 2010, l’équipe de France débarque à Knysna, son camp de base en Afrique du Sud. Si les Bleus, qualifiés pour la compétition sur le fil et piteusement défaits par la Chine en amical quelques jours auparavant, ne sont clairement pas favoris pour la victoire finale, leur poule composée du pays hôte, de l’Uruguay et du Mexique peut inviter à l’optimisme. Cependant, le climat s’alourdit considérablement à la suite du premier match contre l’Uruguay, conclu par un triste 0-0. Plusieurs joueurs refusent de se rendre en conférence de presse, et Raymond Domenech fait déjà part de comportements de défiance de la part de certains joueurs vis-à-vis du staff. Quand certains refusent de jouer au poste assigné par le sélectionneur, d’autres montrent peu d’efforts sur le terrain. Raymond Domenech déclarera plus tard dans son autobiographie en avoir eu marre des « jérémiades » de certains de ses joueurs.
Les médias ne se privent pas de mettre encore plus le feu aux poudres, faisant part de guerres d’egos à l’intérieur de l’équipe, comme entre Franck Ribéry et Yoann Gourcuff, suite notamment à une prétendue jalousie amoureuse, qui aurait provoqué la mise à l’écart du Bordelais. Le statut Gourcuff, considéré alors comme le nouveau chouchou du public, aurait rendu aigri et envieux ses coéquipiers. Mais au-delà des histoires personnelles, l’équipe de France connaît une véritable guerre de clans, opposant, selon des journalistes, des joueurs issus de quartiers sensibles (comme Ribéry et Anelka) à des joueurs provinciaux (le Niçois Lloris, le Nantais Toulalan ou le Breton Gourcuff).
Le second match face au Mexique, le 17 juin, se prépare ainsi dans une atmosphère hostile. Le niveau de jeu en première mi-temps est assez catastrophique, et la défense française craque inévitablement lors du second acte, sur un but de Chicharito Hernandez, laissé seul suite à une erreur de marquage d’Éric Abidal, pourtant expérimenté. Une faillite collective et individuelle. Une de plus. Le deuxième but, un penalty transformé par Cuauhtémoc Blanco, scelle la victoire mexicaine (2-0) et élimine quasiment les Bleus, pourtant finalistes de l’édition précédente, après seulement deux matchs.
Mais si cette rencontre est restée dans les mémoires, c’est avant tout à cause d’un incident survenu lors de la mi-temps. Après une discussion houleuse avec Nicolas Anelka, Raymond Domenech décide de le remplacer par André-Pierre Gignac, après avoir demandé plusieurs fois et sans succès à l’attaquant de Chelsea d’arrêter de décrocher sur le terrain. Selon L’Équipe, véritable relai entre les sportifs et le peuple français durant les grands évènements, cette discussion se serait conclue par une insulte du joueur envers son sélectionneur. Celle-ci, dévoilée par le journal en une dans son édition du lendemain, s’est avérée erronée, comme l’a confirmé Raymond Domenech plusieurs années après les faits.
Déjà extrêmement tendu, le climat devient irrespirable dans le groupe France. Roselyne Bachelot, Ministre de la Santé et des Sports, raconte son arrivée en Afrique du Sud et sa rencontre avec les joueurs au lendemain du fameux match contre le Mexique. « On m’a dit de ne pas adresser la parole aux joueurs, car ça allait les déconcentrer. La veille, ma conseillère m’a appelé exactement 17 fois pour me signaler qu’un incident était survenu dans le vestiaire, sans que j’en connaisse tout de suite la teneur ». Une énième preuve de la communication très compliquée entre le groupe et l’extérieur.
Pendant que le capitaine Patrice Evra évoque un « traître » ayant rapporté les supposées paroles d’Anelka à la presse et appelle à son élimination, Franck Ribéry tente d’apaiser les tensions par la sincérité, en exprimant son mal-être dans l’émission Téléfoot. Son discours, son état physique (gorge serrée, tristesse apparente) ainsi que l’aspect improvisé de sa venue montrent l’envie du joueur de casser les fantasmes, créés selon lui par les médias. Il nie notamment tout problème entre lui et Yoann Gourcuff, et demande explicitement à ce que les médias cessent leurs spéculations et la diffusion de rumeurs afin de laisser le groupe France préparer son dernier match contre l’Afrique du Sud.
Dans les différents articles de L’Équipe, on assiste à un déferlement de déclarations plus tapageuses les unes que les autres au lendemain de l’incident entre Anelka et Domenech.« Nicolas Anelka aime sans doute le football, mais pas autant qu’il ne s’aime lui-même », « Pas de tristesse, pas de désolation, surtout pas de colère. Ce serait trop donner à ces hommes qui ne savent rien offrir», ou encore « en attendant, rendons un hommage goguenard aux seules trompettes (les joueurs) capables de concurrencer les vuvuzelas depuis le début de la Coupe du monde ». La presse, en particulier sportive, joue ainsi un rôle majeur dans le sentiment de détestation générale du peuple envers son équipe nationale. Si certains joueurs s’en amusent, à l’image du principal concerné Nicolas Anelka, qui refuse de présenter ses excuses, qualifie alors les dirigeants de la FFF de « clowns », c’est tout un groupe qui doit en assumer les conséquences, malgré des tentatives d’apaisement, que l’on pourra – au choix – qualifier de sincères, bienveillantes, vaines, ou maladroites. À la suite de cet incident, Anelka est exclu du groupe et doit retourner en France.
La grève de Knysna, le bouquet final
Le 20 juin 2010, la bien triste épopée de l’équipe de France prend une tournure encore plus rocambolesque. Après avoir salué les supporters venus en nombre pour recevoir les autographes et salutations des joueurs, ces derniers décident de remonter dans leur bus au lieu de s’entraîner. À l’intérieur du véhicule, rideaux baissés, ils décident au bout d’une demi-heure de transmettre une lettre au sélectionneur. Raymond Domenech lit ainsi, devant des journalistes et des téléspectateurs médusés, la lettre rédigée par les joueurs de l’équipe de France marquant leur refus de s’entraîner. Cet épisode symbolise la contestation vive suite à l’exclusion de Nicolas Anelka. On y voit une fois de plus une communication désastreuse entre joueurs et membres de la fédération.
« Àla demande du groupe, le joueur mis en cause a engagé une tentative de dialogue, mais nous déplorons que sa démarche ait été volontairement ignorée ». À la fin de la lecture de la lettre, qui reste un (tristement) célèbre moment de direct, le sélectionneur part sans prononcer le moindre mot.
L’effet médiatique est immédiat. D’anciens joueurs de l’équipe de France et de nombreuses personnalités politiques craignent les dommages collatéraux, comme la démotivation et le désintérêt des jeunes pour le football. Le centre de formation d’Aubervilliers, célèbre pour avoir fait éclore de multiples joueurs au haut niveau, fait aussi part de sa colère et de son inquiétude, en rappelant l’importance du football comme vecteur d’ascension sociale pour les jeunes issus de quartiers populaires.
Cerise sur le gâteau, l’équipe de France s’incline 2-1 contre l’Afrique du Sud, au terme d’un match d’une pauvreté abyssale, qui scelle définitivement son élimination dès le premier tour de la compétition. Comme si cela ne suffisait pas, Raymond Domenech refuse de serrer la main de l’entraîneur sud-africain à la fin du match, suite aux déclarations de ce dernier sur le match de barrage contre l’Irlande. Si l’image de l’équipe de France n’était pas suffisamment ternie, c’est désormais chose faite.
Une mauvaise gestion politique globale ?
Au niveau de la fédération, les conséquences de ce fiasco sont lourdes. Raymond Domenech est licencié le 5 septembre 2010 pour « faute grave ». Le motif comprend, entre autres, le refus de serrer la main du sélectionneur sud-africain, la lecture de la lettre des joueurs ou encore le silence vis-à-vis de la fédération au sujet des insultes proférées par Nicolas Anelka. Les conséquences sont aussi économiques. Le 20 juin, le Crédit Agricole cesse de diffuser son spot publicitaire Prévoyance, rassemblant une bonne partie des joueurs de l’équipe.
Raymond Domenech, vivement critiqué durant la compétition, est évidemment le premier montré du doigt pour expliquer cet échec. Roselyne Bachelot, à l’Assemblée nationale, prononce un discours célèbre, décrivant l’équipe de France comme un groupe où « des caïds immatures commandent à des gamins apeurés, un coach désemparé et sans autorité, et une Fédération française de football aux abois». Dans une interview accordée à l’émission Affaires sensibles de France Inter, elle exprime à nouveau sa déception vis-à-vis du comportement du sélectionneur, et le fait qu’il n’ait pas su remobiliser son groupe. Interrogé par RMC, Éric Abidal enfonce le clou, en expliquant que l’entraîneur a bien été contacté par les journalistes de L’Équipe la veille de la publication de la fameuse une. L’ancien défenseur du FC Barcelone déplore le fait que l’entraîneur ne se soit pas vigoureusement opposé à cette publication. « Il ne nous a pas protégés », regrette-t-il presque paradoxalement.
Au-delà des terrains, la question de l’organisation globale est aussi abordée. Pour Vincent Duluc, dans un article paru dans L’Équipe après le match contre le Mexique, « la faillite en marche est celle d’un sélectionneur, d’un système fédéral et d’une génération de faux cadres ». La FFF et l’entraîneur ont clairement manqué à leur devoir, en ne définissant pas de joueurs cadres réels. Cette analyse est alors partagée par les dirigeants de la fédération, qui regrettent avoir laissé trop de responsabilités à l’entraîneur. Dans « Le livre noir des Bleus », sorti en 2012, le même Vincent Duluc analyse les failles politiques du groupe France, en évoquant la grève comme un problème de pouvoir classique, de « question de savoir qui commande, qui parle et qui se tait ». Encore un reproche que l’on pourrait faire au sélectionneur, censé avoir un rôle central dans la chaîne de commandement.
Or, Raymond Domenech, déjà au courant de ce types de reproches qui lui avaient été faites par le passé, s’en expliquait dans une interview accordée à l’Express en 2009. Il y apportait une réponse aussi surprenante qu’intéressante, en exprimant le fait qu’il ne voulait pas être un « dictateur », et qu’il revendiquait même un retour à la « République des joueurs ». Lorsque le journaliste lui demandait s’il s’agissait d’un réveil de son passé anarchiste, l’entraîneur répondait sans hésiter : « si une énergie bouge, quitte à provoquer parfois des étincelles, je dis bravo ». Cette mentalité semblait toutefois en totale opposition avec la mentalité attendue d’un cadre d’une sélection nationale. Les enjeux politiques et économiques d’un évènement comme la Coupe du monde de football requièrent, dans l’imaginaire collectif, une rigueur, un cadre et une structure très forts. Et une vision libertaire du collectif comme la concevait Raymond Domenech détonnait et bousculait trop la gestion traditionnelle d’un groupe de footballeurs.
Au-delà de la transformation de cet évènement en enjeu de débat public, c’est toute la classe politique qui a pris l’affaire à bras le corps. Roselyne Bachelot a regretté les ingérences politiques survenues durant l’évènement. La ministre Rama Yade s’est par exemple plainte du luxe de l’hôtel de Knysna dans lequel logeait le groupe France. Mme Bachelot a notamment déclaré regretter que les insultes d’Anelka ne soient pas restées « une affaire de vestiaire ». Cette analyse peut être mise en perspective avec le fait que la fédération ait annoncé, avant même le début de la compétition, que Raymond Domenech ne serait dans tous les cas pas reconduit à son poste, et que Laurent Blanc prendrait sa place. Une erreur de communication de plus.
Après la Coupe du monde, le chef de l’État Nicolas Sarkozy rencontre Thierry Henry à l’Élysée, puis avant de recevoir plusieurs membres du gouvernement, dont Roselyne Bachelot, François Fillon et Rama Yade. Ensemble, ils décident qu’aucune prime ne sera reversée aux joueurs de l’équipe de France. Enfin, le président de la FFF Jean-Pierre Escalettes démissionne, remplacé un an plus tard à l’actuel président Noël Le Graët.
Cet évènement qui fait désormais partie des heures sombres du football français a laissé place à une reconstruction lente mais efficace. Le premier match post-Knysna en Norvège se déroule ainsi sans aucun mondialiste, et avec de nombreux novices. Certains d’entre eux, comme Aly Cissokho ou Rod Fanni, honorent à cette occasion l’une de leur seule cape avec les Bleus. D’autres, comme Yohan Cabaye, Adil Rami ou Blaise Matuidi, intègrent un groupe France duquel ils deviendront des joueurs importants. Pour les bad boys de Knysna, il faudra attendre quelques temps. Mais certains d’entre eux, à l’instar de Patrice Evra ou Franck Ribéry, portent à nouveau le maillot frappé du coq dès l’année suivante. Jusqu’à participer au barrage historique contre l’Ukraine en 2013. Le début d’une autre histoire, cette fois autrement plus glorieuse.