Le foot à Paris : entre fusions éphémères et fissions, mais sans effusion
L’avènement d’une deuxième équipe parisienne est un marronnier du journalisme sportif. Ce n’est pas demain que le Paris FC de l’irrégulier Ménez, actuellement en Ligue 2, rivalisera avec l’ogre Paris Saint-Germain. Sauvé sur le fil de la relégation en National par l’arrêt brutal du championnat, l’ex du PSG n’est pas près de retrouver le Parc avec ses nouvelles couleurs, alors que le dernier derby parisien remonte à un match entre le PSG et l’éphémère Matra Racing à la fin des années 80. Pourquoi une telle disette pour une région qui produit pourtant la plupart des talents de l’équipe de France, que les clubs de l’Hexagone et étrangers s’arrachent de plus en plus tôt ?
Paris comme le révélateur de la culture foot française
Si les produits individuels ne manquent pas – Paul Pogba de Roissy-en-Brie (Seine-et-Marne), Benjamin Mendy de Longjumeau (Essonne), Riyad Mahrez de Sarcelles (Seine-Saint-Denis) rien que pour la scintillante Premier League, les produits collectifs que sont les clubs, eux, manquent. Si le premier a récemment avoué avoir été supporter d’Arsenal plus jeune, les deux autres franciliens ont des atomes crochus avec le rival marseillais, ce qui devrait être un péché capital dans toute région de foot. Il n’en est rien. Et si la réciproque est aujourd’hui vraie avec des jeunes marseillais, elle ne l’était en revanche pas avec des Phocéens nés au début des années 90 comme les trois compères de Premier League. L’évidence est là : Paris a sûrement les plus beaux monuments du monde, qui la font briller aux quatre coins globe, mais ce n’est pas une ville de foot. Rome, Madrid, Lisbonne, Moscou, Athènes et évidemment Londres sont des capitales européennes à la culture foot forte et structurante. En Europe, Berlin est sûrement une exception même si le Hertha affiche de nouvelles ambitions, via le recrutement de Lucas Tousart, et que les gauchistes romantiques de l’Union sont récemment montés en Bundesliga.
Si la densité et la petite taille de Paris n’aident pas, les causes sont plus profondes. Allons plus loin. Dans un pays aussi jacobin et centralisateur, le manque de culture foot de sa capitale révèle un manque de culture foot global, quelques îlots de l’archipel mis à part.
Le foot à Paris : « Il a voulu prendre l’aile, mais il s’est fait couper l’aile »
Produit d’une modernité industrielle cosmopolite, le football prend à Paris dès les années 1890 au sein des élites économiques. Sa simplicité facilite son universalité, alors symbole de modernité au XIXe siècle. Une anglophilie ambiante s’empare des élites continentales, qui découvrent entre autres le football. Les joueurs des White Rovers de Paris, fondé en 1891, parlent anglais entre eux, malgré leurs différences de nationalités. S’en suit une multiplication de clubs parisiens dont la plupart ont aujourd’hui disparu de la carte, du moins celle du football professionnel : le Standard Athlectic Club (1892), l’Union sportive de Paris (1894), l’Olympique de Paris (1896, soit trois ans avant la création de l’homonyme marseillais), ou encore le Red Star (1897). Cette anglophilie originelle du football, constatée via les noms donnés (« athletic », « red star », « rovers »…), n’est pas monolithique pour autant. La création du Stade Français en 1883 par des lycéens de Saint-Louis (6e arrondissement) répond au « Racing » Club créé en 1882 par leurs homologues de Condorcet (9e arrondissement).
Ces clubs parisiens sont ensuite des protagonistes de la Coupe de France, lancée en 1917, et prennent position dans les querelles de clocher du début du football français, entre l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFGSA), la Fédération gymnastique et sportive des patronages de France (FGSPF, tendance cléricale) ou la Ligue de football association (LFA). Une fois la Coupe de France installée dans le paysage du football français, les clubs parisiens participent aux premiers championnats professionnels à partir de 1932.
L’après-guerre marque le début de la lente mort des clubs de la capitale et le début du néant footballistique de Paris intramuros. Les fusions sont souvent la solution de dernier ressort, à l’image du mariage entre le Stade Français et le Red Star qui ne tient qu’entre 1948 et 1950. Le club séquano-dionysien vivote et se perd dans une nouvelle fusion ratée avec le Toulouse Football Club. Malgré des résultats satisfaisants entre 1950 et 1960, le Racing Club de Paris est quant à lui contraint à une fusion tout aussi fantasque avec l’UA Sedan-Torcy en 1966, un échec qui poussera le club à abandonner le professionnalisme la même année. Seul rescapé de cette hécatombe, le Red Star entame seul la traversée du désert du football parisien.
Consciente du sujet, la FFF s’en saisit et devient fer de lance de la création du Paris Football Club en 1969. Inspiré par un entretien avec l’historique président du Real Madrid Santiago Bernabeu, le dirigeant du PFC Guy Crescent développe un club partiellement financé par une collecte. La FFF en fait une affaire personnelle. Encore faut-il une équipe, un stade, une structure pour ce club néophyte. Bref, faire un club alors que la reprise approche. Récemment promu en Division 2 pour la saison 1969/1970, le Stade Saint-Germain est le gendre idéal. La fusion de juin 1970 donne naissance au « Paris Saint-Germain FC ».
Le club commence alors la saison 1970/1971 de Division 2, de laquelle il sort vainqueur. L’élite du football français lui tend les bras. Les choses deviennent sérieuses au point où le Conseil de ville de Paris demande au club d’adopter un nom pleinement estampillé « parisien ». Malgré la menace de la fermeture du robinet des subventions et des portes du Parc des Princes (dont les travaux de rénovation viennent de se terminer), le nouveau nom « Paris Football-Club » est refusé par l’assemblée générale du PSG. Le Paris FC, par ses ex-dirigeants, demande le divorce, dont il sortira vainqueur en gardant le statut professionnel, donc le droit de disputer la Division 1. Le Paris SG repart en Division 3, qu’il disputera au Camp des Loges. Le chassé-croisé se fait ironiquement en 1974 lorsque le Paris FC descend et que le désormais ambitieux PSG de Daniel Hechter monte dans une division qu’il n’a pas quitté depuis.
En 1982, l’homme d’affaires Jean-Luc Lagardère rachète le Paris FC, qu’il vêtit des couleurs du Racing, en accord avec la direction des racingmen, et décide de se frotter au puissant PSG, désormais dirigé par Francis Borelli. Malgré les réticences initiales des ex-dirigeants du Racing, il parvient finalement à faire fusionner le club ciel et blanc et le Paris FC l’année suivante. En 1984, le Racing retrouve la Division 1, non sans ambitions. Mais rapidement désabusé par le manque de résultats et d’engouement populaire malgré les vedettes recrutées (l’emblématique Fernandez, le talentueux Francescoli, l’international français Bossis, le fameux Madjer), Lagardère annonce en avril 1989 qu’il se désengage du club.
Le PSG et le reste
Et depuis ? Pas grand-chose à vrai dire. L’US Créteil-Lusitanos a certes évolué en Ligue 2 au début des années 2000 et brièvement entre 2013 et 2016, mais sans plus. Ces dernières années, le Red Star fait lui l’ascenseur entre la Ligue 2 et le National, même si la perspective d’un nouveau Bauer est un signe d’ambition. Cela nous ramène une nouvelle fois au Paris FC, car après de longues années en National, le club du 13e arrondissement apparait comme le « petit » le plus susceptible de pouvoir un jour boxer sur le ring du Parc. Les reportages sur l’éclosion et le développement du désormais « petit frère » assigné du PSG ne manquent pas, malgré une absence d’assise populaire, qu’il est difficile d’obtenir quand l’on joue dans le peu chaleureux stade Charléty. Cette focalisation médiatique, virant parfois à l’acharnement thérapeutique, sur la non-existence d’un derby parisien ou francilien digne de ce nom est symptomatique du manque de tradition footballistique parisienne.
Alors que faire ? L’inventer ? En terres franciliennes, le PSG semble bien tranquille pour encore de nombreuses années.