Toulouse – Red Star : mariage arrangé, divorce inévitable

Dans sa riche histoire, le football français a connu de nombreux rapprochements entre clubs. Parfois l’oeuvre d’un dirigeant mégalomane, d’autres fois murement réfléchis par les pouvoirs politiques locaux, ces fusions ont toutes une histoire singulière que nos allons aborder en quatre épisodes. Premier volet avec le mariage entre le Toulouse FC et le Red Star en 1967, qui représente sans doute l’un des épisodes les plus invraisemblables de notre football.

Tout commence en 1961, lorsque Jean-Baptiste Doumeng devient propriétaire du TFC. Il est surnommé le « milliardaire rouge » en raison de deux particularités : en plus d’être membre du Parti communiste, il détient l’une des plus grandes fortunes d’Europe et du monde. Le rachat du club est dans la lignée de sa carrière politique, puisqu’il est maire du petit village de Noé – à 35 kilomètres de Toulouse – entre 1959 et 1977 et conseiller général du canton de Carbonne entre 1970 et 1976.

Jean-Baptiste Doumeng, un président ambitieux

L’homme est surnommé « le paysan » dans le milieu politique. Fils de métayer (exploitant agricole lié à un propriétaire foncier), il fait fortune au début de la Guerre froide en assurant l’échange entre des pommes de terre de sa région et des tracteurs tchécoslovaques. Le contexte de l’agriculture locale lui est donc plus que favorable dans son enrichissement et son influence. L’homme d’affaires ne s’arrête plus : de 1960 à 1981, sa richesse et son influence grandissante lui permettent de devenir l’un des plus grands patrons de l’agroalimentaire mondial. Il entretient des liens extrêmement forts avec l’URSS, et il est l’un des seuls hommes d’affaires étrangers à avoir un bureau à Moscou malgré le rideau de fer.

Il joue ainsi un rôle majeur dans la stratégie politico-commerciale à la fois européenne et soviétique lors de la Guerre froide. Il participe notamment à l’envoi de 150 000 tonnes de viande ou à l’approvisionnement massifs de produits laitiers pour l’URSS. Sa stratégie consistant à faire profiter les Européens de ces échanges était très appréciée. Plusieurs analystes et/ou détracteurs ont souligné ce qui était pour eux une contradiction entre son affiliation communiste très forte et son appât du gain. Pour répondre, il affirme dans l’émission « Droit de réponse » en 1982 : « Mes sociétés sont bien plus que milliardaires et elles ne sont pas communistes, et moi je suis communiste et pas milliardaire». Preuve de sa notoriété dans le monde communiste, Fidel Castro envoie une gerbe de fleurs à sa mort en 1987.

Pour revenir au TFC, c’est le président Puntis, très bonne connaissance de Jean Baptiste Doumeng, qui lui laisse sa place en 1961. Quatre ans avant l’arrivée de ce dernier, le TFC, vêtu de rouge et blanc, remportait la Coupe de France, en gagnant 6-3 face à Angers lors de la finale la plus prolifique de l’histoire.

Jean-Baptiste Doumeng en 1966 (© L’Équipe)

Le bilan sportif après le rachat est plutôt positif : sous la houlette de l’entraîneur Kader Firoud, figure emblématique du club, Toulouse termine à la quatrième place lors de la saison 65-66, se qualifiant pour la Coupe d’Europe des Villes de Foires, future Ligue Europa. Le système de jeu est plutôt défensif, et le talent du trio offensif Edimo-Baraffe-Dorsini fait souvent la différence. La saison suivante marque un tournant du club, notamment lors de cette fameuse Coupe d’Europe, le point d’orgue étant l’échec face aux Roumains de Pitesti, le 26 octobre 1966. Après une victoire 3-0 au Stadium, les Toulousains sont humiliés au retour et perdent 5-1 sur le terrain de la ville industrielle roumaine. En dépit de cette défaite, le club est dans une période faste, tant et si bien que le président passe tout près de signer la légende Lev Yachine.

Malgré la satisfaction d’avoir joué sur la scène européenne, les résultats en championnat sont en baisse au fur et à mesure des journées. Les blessures de Baraffe et Edimo lors de la Mitropa Cup, tournoi amical en URSS, n’aident pas. C’est en avril 1967 que tout se gâte : des conflits d’intérêt conséquents naissent entre Doumeng et Louis Bazerque, le maire SFIO (ancêtre du parti socialiste) de la Ville rose. Le 10 avril, le milliardaire rouge demande une aide financière à la commune, voyant que les comptes du club sont, comme les résultats sportifs, en chute libre. Le lendemain, il n’hésite pas à faire part de sa déception suite au refus de l’édile, allant jusqu’à publier un courrier officiel où il détaille les sommes d’argent engendrées par le football, qui profitent à la ville et aux commerçants.

C’est alors qu’il menace de quitter la ville, pour s’installer à Saint-Ouen, ville bien connue des amateurs de football puisqu’elle accueille le Red Star, et où la mairie est communiste. Après une rencontre avec Gilbert Zenatti, président du club francilien, Jean-Baptiste Doumeng prend l’improbable décision de fusionner avec le club de banlieue parisienne. Le Red Star offre des fonds, et met à disposition et stade Bauer et 15 appartements pour les joueurs. En échange, le TFC met à disposition… ses joueurs et son staff. C’est ainsi que les joueurs du TFC doivent s’installer à Saint-Ouen. Avant l’épisode, le club audonien est passé par tous les états : relégué en Division d’honneur en 1959, il a connu une ascension spectaculaire, grâce notamment à un coup de pouce financier de la mairie, et a retrouvé sa place en Première division cinq ans plus tard.

« Rapprocher Toulouse et Saint-Ouen, personne ne l’avait rêvé. Doumeng l’a fait ! »

Le match du TFC qui suit l’annonce du « transfert » du club, n’attire que 1 500 personnes. Contre Sedan, les futurs ex-toulousains s’inclinent 3-2. Le club joue sa dernière rencontre au Stadium le 28 juin 1967, pour le match retour du barrage pour le maintien qui l’oppose à Bastia. C’est le Red Star qui subira les conséquences de ce résultat, car l’équation est simple : si le TFC parvient à se maintenir en première division, le Red Star – redescendu la saison précédente – y jouera puisqu’il prendra la place de Toulouse la saison suivante.

Pour André Guiseppin, le gardien de l’époque, il n’est pas question de tomber dans une guerre de clans au sein de l’équipe. En effet, les joueurs sont alors sous contrat avec le club toulousain jusqu’à leurs trente-cinq ans. Ils doivent jouer, et sauver leur équipe, malgré les dissidences entre ceux qui acceptent de déménager à Saint-Ouen la saison suivante, et ceux qui refusent d’avance. Il déclare dans une interview : « On était tous solidaires, ceux qui partaient au Red Star et les autres. C’était notre intérêt, il fallait se faire voir ». Grâce à Pierre Dorsini, le TFC s’impose 1-0. Le journal La Dépêche du Midi parle alors d’un environnement hostile à l’égard du club, évoquant même « une atmosphère de vendetta corse ». Le quotidien régional toulousain titrera même ironiquement « Un but de Dorsini a placé le Red Star en Première Division ».

Juste après cette période mouvementée, certains joueurs semblent résignés. Ce même Dorsini, pilier du club et surnommé « monsieur un but par match », prend sa retraite sportive. Il déclare dans L’Equipe : « Ou on allait au Red Star ou on se retrouvait à la rue. J’avais trente-trois ans, j’attendais mon quatrième enfant, et ça ne m’intéressait pas d’aller à Paris, alors j’ai arrêté le foot pro et je suis devenu chef de chantier ». D’autres joueurs, comme Jean Petit, refusent de déménager à 700 kilomètres de Toulouse. Leur motivation les pousse à s’engager pour Bagnères-de-Luchon, club de troisième division situé à 150 kilomètres de la Ville rose. Toulouse, véritable dindon de la farce, n’a alors plus de club.

Les médias locaux, eux aussi résignés et consternés par ce transfert hallucinant, ne veulent pas parler de « fusion ». Ils préfèrent les termes « aspiration de club », « déménagement » ou même « vol de club ». Patrick Bourdreault, journaliste de la Dépêche du Midi, parle de « sabotage pur et dur ».

© La Dépêche du Midi
Un même club, deux perdants

En effet, le Red Star Olympique Audonien, devenu Red Star FC à l’aube de la saison 67-68 – la première sous Doumeng – connaît très vite une période terne. Sous la houlette de l’entraîneur franco-algérien Jean Avellaneda, le club hybride passe la majeure partie de son temps dans la deuxième partie du championnat. En six saisons, le club ne se classe jamais au-delà de la treizième place. En 1973, le Red Star est même relégué en deuxième division, ce qui conduit à la démission de Jean-Baptiste Doumeng. C’est alors le début des difficultés pour le club audonien, qui remonte par la suite grâce à un recrutement extrêmement coûteux, avant une nouvelle relégation à la fin de la saison 74-75. Malgré l’aide financière importante des pouvoirs publics, la présence de Roger Lemerre sur le banc et la solidarité de ses supporters, le club continue sa chute, jusqu’à ce que la mairie annonce son désengagement lors de l’été 1977.

Un an plus tard, le Red Star dépose le bilan. C’est plus précisément le 23 mai 1978 qu’il disparaît de la circulation. Du côté de Toulouse, la fin est plus joyeuse : après trois saisons sans club professionnel, Lilian Buzzichelli, président d’un club corporatif d’entreprise, avec l’aide d’industriels de la région, fonde l’Union Sportive Toulouse (UST). Pierre Dorsini, comme un symbole, en devient l’entraîneur en 1972. L’UST, avec son maillot sang et or, connaît une forte ascension, en parvenant à obtenir l’aide de la commune mais aussi d’entreprises pour améliorer sa santé financière et sportive : Pierre Baudis, maire de Toulouse de 1971 à 1983, accepte de participer à la reconstruction du club. Le constructeur immobilier Malardeau Realisation investit également d’importantes sommes d’argent. En 1979, le club retrouve l’appellation TFC. Il retrouve la D1 en 1982, ainsi que son maillot violet, aujourd’hui emblématique.

Robert Pintenat, international français, capitaine de l’UST à partir de 1979 (© Wikipedia)

Jean-Baptiste Doumeng décède en avril 1987. Trois ans avant sa mort, l’article 39 des règlements généraux de la FFF apparaît, indiquant : « une fusion ne peut être réalisée qu’entre deux ou plusieurs clubs d’un même district ». Cet épisode, rocambolesque, montre à quel point le football reste immortel, au contraire de ceux qui décident de le tuer.