Afrique du Sud : le Mondial 2010, un tournant majeur pour le pays?
Dix ans après la Coupe du monde 2010, se pose la question de l’impact que cette compétition a eu pour le pays organisateur, l’Afrique du Sud. Le Mondial, perçu comme « le symbole de tout un continent », a-t-il bénéficié au football africain et à l’aura sud-africaine dans le monde ? Bilan économique et politique.
En 2004, l’organisation de la Coupe du monde 2010 est octroyée par la FIFA à l’Afrique du Sud. Cette décision s’inscrit dans le cadre de la rotation continentale pour la tenue de la compétition, mesure obtenue en 2000 lors du Congrès de la FIFA par Sepp Blatter, alors président de la fédération internationale. Pour Jérôme Champagne, ancien directeur des relations internationales de l’instance, « en réservant aux fédérations de football africaines la possibilité de présenter leurs candidatures, la FIFA a adopté une vraie position “politique” », visant à « corriger les injustices ».
Mais la candidature de l’Afrique du Sud pour l’organisation de la Coupe du monde 2010 était réfléchie et résultait d’une politique de long terme. Le pays était fort de l’organisation du Mondial de rugby en 1995 et de celui de cricket en 2003. La nation arc-en-ciel n’était pas la première en Afrique à candidater à l’organisation d’une Coupe du monde. Dès la fin des années 1980, le Maroc s’était présenté pour les Mondiaux 1994 et 1998. En 2000, lors de l’attribution du pays hôte pour la compétition en 2006, le Maroc et l’Afrique du Sud étaient candidats. L’Afrique du Sud avait alors « perdu » face à l’Allemagne, 11 voix contre 12.
Lors de l’attribution de la Coupe du monde 2010, l’Afrique du Sud a devancé le Maroc et l’Egypte. Pour beaucoup, le pays a bénéficié de son expérience dans l’organisation de compétitions sportives ainsi que de « son lobbying et sa pugnacité ». Selon Jérôme Champagne, l’attribution de la compétition au pays était « l’expression de la reconnaissance de la FIFA et la considération que porte le football mondial » au football africain. La Coupe du monde 2010 en Afrique était censée être « un coup de pouce » à la fois footballistique et politique. La compétition était « annoncée comme un tournant majeur pour le pays hôte et pour tout le continent ». En effet, cette première mondiale en terres africaines devait contribuer à l’amélioration des infrastructures et à la professionnalisation du football sur le continent.
La compétition annoncée comme « un tournant majeur pour le pays hôte »
Organiser le Mondial 2010 était pour l’Afrique du Sud un moyen de briller sur la scène internationale. Le pays voulait également défendre sa place au sein des pays émergents (les fameux « BRICS » – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), en organisant un événement sportif d’une telle ampleur. Pour le chercheur Thierry Vircoulon, l’organisation de la compétition internationale visait à « montrer que l’Afrique du Sud » pouvait « jouer dans la cour des grands ». Autrement dit, le pays voulait faire du football et de l’organisation du Mondial, un vecteur de « soft power » à l’international. Avec l’organisation de la Coupe du monde, l’Afrique du Sud a voulu montrer à la communauté internationale sa puissance et sa capacité à jouer les premiers rôles dans les instances.
De plus, qui dit Coupe du monde, dit supporters qui vivent, mangent et dorment loin de chez eux, de quoi faire les beaux jours du tourisme du pays organisateur. Il y avait ainsi également un enjeu économique dans l’organisation du Mondial. L’Afrique du Sud comptait sur les retombées dans le secteur du tourisme, de la restauration, et même pour les vendeurs de rue. L’organisation de l’événement était à la fois « un calcul politique et économique », pour Thierry Vircoulon. Selon ce dernier, « le modèle du miracle sud-africain » connaissait une crise à l’aube des années 2010. L’organisation du mondial devait porter un nouveau souffle.
Des dépenses publiques sud-africaines importantes pour l’organisation du Mondial
Les auteures Susann Baller et Martha Saavedra soulignaient en 2010 que « la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud est au croisement des significations, des actions et d’aspirations politiques multiples, et que des intérêts locaux et nationaux s’y entremêlent ». D’ailleurs, lors de son discours pour la nouvelle année 2010 adressé à son peuple, le président sud-africain de l’époque Jacob Zuma évoquait « l’année la plus importante » pour son pays. Et le dirigeant de rappeler son « engagement pour l’unité et la construction nationale ». Il a également présenté l’année comme étant celle « durant laquelle nous travaillons ensemble pour faire de la Coupe du monde un tournant majeur pour la promotion de notre pays ».
Certains observateurs ont toutefois vu dans le récit sud-africain sur l’organisation du mondial « une mise en scène » voire « une mascarade ». Le journaliste Christophe Merrett, spécialiste de l’histoire du sport en Afrique du Sud, précisait en 2010 que « les médias sud-africains profitent et participent de ce mythe de la construction nationale à travers le sport, et les contribuables paieront très cher cet “acte de prostitution nationale” qui laissera comme héritage un ensemble de stades coûteux, véritables “éléphants blancs” ». L’Afrique du Sud a effectué 3,3 milliards d’euros de dépenses publiques pour l’accueil de la Coupe du monde, avec l’agrandissement d’aéroports dans les grandes villes, la mise en place d’infrastructures pour le transport urbain, sans oublier la construction des stades.
Des accusations de corruption
Quelques mois après la fin de la compétition, le bilan économique établi s’est avéré bien moins optimiste que ce qu’espéraient les dirigeants sud-africains. La contribution de l’évènement au taux de croissance de l’économie sud-africaine en 2010 n’aurait pas dépassé 1%. La construction des stades et leur entretien ont été financés par les contribuables sud-africains. Par ailleurs, de graves soupçons ont plané sur l’attribution de la compétition. En effet en 2015, dans le contexte du « Fifagate » suite à une enquête de la justice américaine, la nation arc-en-ciel a été accusée d’avoir corrompu des membres de la FIFA afin d’obtenir les voix nécessaires à l’obtention de la Coupe du monde 2010. De plus, il semble difficile d’établir si le Mondial a réellement servi les intérêts géopolitiques sud-africains à travers le monde. À l’aube de la décennie 2020, l’Afrique du Sud n’a plus le visage d’un jeune État émergent. Une crise économique traverse le pays depuis plusieurs mois, qui ne s’améliore pas en raison de la crise sanitaire actuelle. La situation économique et politique du pays s’est détériorée suite aux scandales de corruption qui ont rythmé les dernières années de la présidence de Jacob Zuma, à la tête du pays de 2009 à 2018.